Banquiers et comptables chypriotes se préparent au chômage ou à l'exil

Photo Par Patrick Baz - Avec la restructuration soudaine et drastique du secteur bancaire chypriote, acceptée par Nicosie en contrepartie d'un plan de sauvetage européen, les salariés des très nombreuses banques ou sociétés d'audit de l'île craignent le chômage, et certains envisagent un exil

Avec la restructuration soudaine et drastique du secteur bancaire chypriote, acceptée par Nicosie en contrepartie d'un plan de sauvetage européen, les salariés des très nombreuses banques ou sociétés d'audit de l'île craignent le chômage, et certains envisagent un exil. "Nous avions une vie agréable grâce à nos salaires", reconnaît Thenia Chrysafis, qui travaille depuis 30 ans chez Laïki, la deuxième banque du pays, promise à la liquidation. "Maintenant tout a changé". "La situation est particulièrement difficile pour nous qui travaillions tous deux dans la même banque", s'inquiète Mme Chrysafis, qui se prépare à chercher un nouvel emploi. C'est à la Laïki qu'elle a rencontré son mari, cadre dans la même banque. "Je prépare mon CV pour l'envoyer dans des pays arabes. Dubaï, Abou Dhabi, le Qatar. Quelque part où je puisse trouver un emploi, que puis-je faire d'autre?", se désole ce dernier, Andreas Chrysafis. Le secteur bancaire génère environ un tiers du PIB chypriote et emploie près de 13.000 personnes dans le pays, soit environ 1,5% de la population. A elle seule, Laïki compte 2.300 salariés sur l'île, et Bank of Cyprus, l'autre banque visée par la restructuration, 3.300. Fotoula Voskou, qui travaille à Laïki depuis 25 ans, assure que les salariés sont tombés de haut. "Nous ne pensions jamais qu'une telle chose pourrait arriver, nous avions un travail et un bon employeur", souligne-t-elle. Avec le développement ces 30 dernières années du rôle de l'île comme plateforme financière, nombre de Chypriotes sont devenus banquiers, comptables ou avocats, des professions très rémunératrices et considérées jusqu'à récemment comme garanties. Les syndicats assurent cependant qu'il est possible de restructurer le secteur bancaire sans licencier. "Notre but est qu'il n'y ait aucun licenciement sec, uniquement un plan de départ à la retraite anticipée", souligne Panicos Stavri, du syndicat des banquiers Etyk, qui se préoccupe surtout actuellement de protéger les fonds de pension des salariés. "Notre siège nous a indiqué qu'aucun emploi n'était menacé", assure Marilena Ktemas, syndicaliste employée de Laïki. "Mais personne ne peut dire s'il y aura des baisses de salaires ou d'autres mesures", ajoute-t-elle, rappelant que les salaires ont déjà été baissés en octobre, de 12,5% en moyenne. Mais l'économiste Louis Christofides, spécialiste du travail à l'Université de Chypre, est beaucoup moins confiant. "Il va y avoir de très importantes suppressions de postes dans ces deux banques d'ici peu", estime-t-il, soulignant que le taux de chômage, qui atteignait presque 15% en janvier, "va probablement doubler dans l'année à venir". Car au-delà des professions touchées par la fuite massive de capitaux étrangers, c'est toute l'économie chypriote qui est déstabilisée par les mesures prévues dans le cadre de la restructuration bancaire: limitation des mouvements de capitaux et décote majeure de certains dépôts bancaires. Une avocate dont le cabinet travaillait largement avec des investisseurs étrangers a ainsi déjà pris sa décision. "Nous partons", dit-elle. "Nous avons déjà eu une baisse de salaire de 30% en octobre, et le patron vient de nous dire qu'il ne pourrait sans doute pas garder tout le monde". "Tous les secteurs vont souffrir", estime M. Christofides, soulignant que les gel ou la décote des comptes au-delà de 100.000 euros dans les deux plus grandes banques du pays va inévitablement se traduire par des faillites d'entreprises. "Si leurs fonds ne sont pas disponibles, nombre de sociétés ne pourront pas continuer leur activité", et devront licencier, explique-t-il, anticipant un "désastre".