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"Le Baltringue", ou les premiers pas contrariés de Vincent Lagaf' au cinéma

Vincent Lagaf' sur le tournage du
Vincent Lagaf' sur le tournage du

Au mitan des années 2000, Vincent Lagaf' enchaîne les succès à la télévision avec Le Bigdil (1998-2004) et Crésus (2005-2006). Lassé par le petit écran, l'animateur vedette de TF1 veut se diversifier. Il change de look, se rase le crâne et cesse de porter ses fameux costumes bariolés. Son rêve: percer dans le cinéma. Son arme secrète: Le Baltringue, une comédie d'action co-écrite par ses soins. "Voilà qu'un nouveau chapitre du grand livre est en train de s'ouvrir...", déclare-t-il tout fier le 25 mai 2008 dans les colonnes de TV Magazine.

Le rêve s'est vite écroulé. Sorti en janvier 2010, Le Baltringue est assassiné par la critique et ne séduit que 41.109 spectateurs. Une dizaine d'années plus tard, le film occupe une place de choix sur le site de référence Nanarland. Pour l'ancien animateur, le souvenir de cet échec est si cuisant qu'il a refusé de répondre à nos questions.

L'idée du Baltringue est simple. Il s'agit à la fois de s'inscrire dans la lignée des duos antagonistes de Francis Veber et de transposer au cinéma l'image de présentateur exubérant de Lagaf', comme l'a fait l'humoriste Gad Elmaleh avec son personnage culte de Chouchou. L'histoire du Baltringue - un présentateur à succès embarqué dans une affaire d'espionnage - apparaît presque comme une mise en abyme de sa nouvelle vie rêvée de star de cinéma.

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"L'autre idée," complète Stéphane Méferti, le co-producteur du Baltringue, "c'était de faire un film situé dans les banlieues, dans le cadre de la diversité." Issu du milieu associatif, Méferti est le président de l'association rouennaise Débarquement Jeune, qui vise à favoriser l'insertion des jeunes de cités dans la société. Méferti et Lagaf' se connaissent depuis le début des années 1990: "Il a toujours été là [pour l'association]. Il est venu faire des concerts. C'était naturel qu'on l'accompagne sur un projet de film."

Un million de la poche de Vincent Lagaf'

Le projet met deux ans et demi à décoller: "On nous a regardés comme des martiens", se souvient le producteur. Personne ne voit en Lagaf' un acteur. L'animateur a pourtant commencé en faisant de la scène. Et avant Le Baltringue, il a même envisagé de faire ses armes dans un téléfilm. En lice pour décrocher le rôle principal de Camping Paradis, il a dû s'incliner face à Laurent Ournac.

Une société, Wesh Wesh Productions, est créé spécialement pour monter Le Baltringue. Canal+ et France 2 finissent par se constituer comme coproducteurs. Le budget est de 4 millions d'euros, dont un million de la poche de Vincent Lagaf'.

L'écriture du scénario, avec Bibi Naceri, prend un an: "Il y a eu quinze moutures et Cyril Sebas [le réalisateur du film] en a finalisé l'écriture", déclare Lagaf' en 2008 à TV Magazine, avant d'ajouter: "En fait, ça a été une vraie galère." Le titre, quant à lui, vient tout seul. "C'est une idée de Vincent Lagaf', ça allait bien avec le projet. C'est vraiment un baltringue dans le film. C'est un mot qui passe partout", estime Stéphane Méferti.

"Le réalisateur, c'était l'empereur des baltringues!"

Chris Nahon, réalisateur du Baiser mortel du dragon avec Jet Li, est pressenti dans un premier temps pour mettre en scène Le Baltringue et écrit les grandes lignes de l'histoire. Un mois avant le début du tournage, Nahon quitte le projet, séduit par une offre plus alléchante. Son premier assistant, Jacques Eberhard, qui devait le remplacer, le suit quinze jours plus tard.

L'implication réelle de Chris Nahon est assez nébuleuse. Contacté par nos soins, il dénonce "une mauvaise utilisation" de son nom: "Je n'ai rien écrit sur ce film. On s'est vus pour en parler, puis on ne s'est pas entendus. Je suis parti à l'étranger, donc je n'ai pas suivi l'affaire, et je me suis retrouvé au générique de ce film avec lequel je n'ai rien à voir."

Méferti assure de son côté que Nahon était bien au courant de la situation. Il précise avoir racheté ses droits sur l'histoire du Baltringue et avoir mentionné Nahon au générique pour cette raison: "Il ne faut pas avoir honte d'avoir apporté un regard sur un projet s'il ne vous plait pas à la fin."

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Le tournage approche et Le Baltringue n'a pas de metteur en scène. Cyril Sebas, réalisateur de Gomez vs Tavarès et de plusieurs clips pour Johnny Hallyday, accepte l'offre, mais il sera peu présent sur le tournage: "Il a fait son taf. Il est venu, il a fait ce qu'il avait à faire, mais il ne s'est pas non plus impliqué plus que ça", indique Stéphane Méferti. Vincent Lagaf' est moins diplomate le 21 mai 2016 sur le plateau de Salut Les Terriens:

"Ca m'a permis de découvrir vraiment la haine - la haine pure et simple que j'ai eue contre ce putain de réalisateur, qui m'a chié le bordel", balance l'ancien animateur. "Je l'ai pris pour un mec qui tenait la route, alors que c'était l'empereur des baltringues! [C'est] un mec qui tournait à deux kilos par jour."

Lagaf' fait ses cascades

Le tournage démarre en juin 2008, en Normandie, entre Forges-les-eaux, Oissel, Saint-Étienne-du-Rouvray et Rouen. La majorité des prises de vues se déroule à la Sablière, "un des quartiers les plus chauds de Rouen", précise Méferti. Au casting figure Philippe Cura (le colosse de Caméra Café) et plusieurs seconds couteaux du cinéma français comme Jo Prestia (Irréversible) et Ken Samuels (OSS 117 2, Les Tuche 2).

Le reste du casting est composé d'habitants de la région: "Le but était que les habitants participent au projet de A jusqu'à Z, pour leur faire comprendre comment un film est fabriqué. Les mamans s'occupaient du catering", raconte Stéphane Méferti. Lagaf' est très impliqué sur le tournage, adoptant un rôle de grand frère auprès des jeunes du quartier: "La plupart de ces jeunes ont bien grandi aujourd'hui, ils ont des enfants et ils parlent toujours de cette expérience."

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Comme à la grande époque du Bigdil, Vincent Lagaf' insiste pour ne pas être doublé dans les scènes d'action. Il fait appel, pour lui prêter main-forte, à Alain Brochery, la doublure de Robert de Niro dans Ronin et le coordinateur des cascades de La Mémoire de la peau. Sa présence sur Le Baltringue n'est pas un hasard: Brochery a travaillé cinq ans au Bigdil en tant que chef cascadeur:

"J'ai mis au point tous les jeux dangereux pour les candidats. On inventait les jeux, on les réglait avec les cascadeurs pour que tout soit bien sécurisé. Vincent commençait lui aussi chaque émission avec une cascade qu'il faisait lui-même. C'est un mec sportif. Il fait du jet ski, du ski… Ça n'a pas été très difficile de l'amener loin dans les actions."

Pour les besoins d'une course poursuite du Baltringue, Lagaf' est traîné au sol, accroché à une voiture de golf: "C'est vraiment lui qui l'a fait! On filmait de façon à ce que l'on voie que ce soit bien lui", indique Alain Brochery'. "Il l'a joué à l'américaine. Il me laissait libre sur le scénario de la scène. En France, les metteurs en scène n'aiment pas ça. Ils ont l'impression qu'on leur pique leur travail, alors que le chef cascadeur sait ce qu'est une focale, quel angle choisir, comment il faut tourner."

"Les gens de la profession n'ont pas cru que le film sortirait au cinéma"

La sortie du Baltringue, prévue initialement au printemps 2009, est décalée en octobre. Malgré un tournage mouvementé, Lagaf' croit en cette nouvelle vie d'acteur. "Moi, personnellement, j'ai pas trouvé ma prestation nulle à chier [dans Le Baltringue]", expliquera-t-il dix ans plus tard dans Salut les terriens. Le 9 janvier 2009, preuve qu'il a toute confiance en son avenir de comédien, il débute les représentations de Pourquoi moi ?!, pièce d'Olivier Lejeune sur un homme qui tente de reconquérir la femme qui l'a quitté.

Là encore, il s'agit de retrouvailles. Lagaf' connaît Olivier Lejeune depuis 1987, du temps de La Classe de France 3. Pourquoi moi ?! marque le grand retour de Lagaf' sur les planches, treize ans après Le Surbook, une comédie de Danielle Ryan et Jean-François Champion jouée au Théâtre de la Michodière. Une centaine de dates sont retenues.

Dans la foulée, Lagaf' accepte de revenir sur TF1 pour prêter main forte à la chaîne dont les audiences sont en baisse. Sa nouvelle version du Juste Prix, programmée entre le 27 juillet et le 21 août, fait un carton, "mais ça n'a pas plu aux équipes de Canal", révèle Méferti. Le Baltringue, prévu pour octobre, change alors de date, et atterrit le 27 janvier 2010, face à La Princesse et la grenouille de Disney et Océans de Jacques Perrin.

Les places sont chères au box office et Le Baltringue est déjà condamné. La semaine précédente étaient déjà sortis le nouveau film des frères Coen (A serious man) et Gainsbourg (vie héroïque) de Joann Sfar. Face à la concurrence, Le Baltringue semble appartenir à un autre monde. Le film, qui reste trois semaines à l'affiche, connaît une distribution chaotique: "À Limoges, il y avait des affiches 4x3 du film et le film était projeté dans la ville d'à côté", dénonce Méferti.

Le producteur n'est cependant pas déçu. "Ce qui compte, c'est le résultat", déclare-t-il. "Les gens de la profession m'ont dit qu'ils n'auraient jamais cru que j'irais jusqu'au bout. Ils n'ont pas cru que le film sortirait au cinéma." Malgré le flop du film, "il y a un peu de respect qui s'est installé" et Stéphane Méferti a pu produire Nicostratos le pélican (2011), un film avec Emir Kusturica et François-Xavier Demaison distribué par Disney.

Méferti a depuis travaillé avec Iggy Pop sur un projet de film qui ne s'est pas concrétisé, et il planche depuis plusieurs années avec la réalisatrice Aline Isserman sur un biopic consacré au groupe de rap Ministère A.M.E.R. Vincent Lagaf', quant à lui, n'a plus de projets au cinéma, mais a joué dans le téléfilm Cher radin! (2012), puis au théâtre dans Le Jeu de la vérité (2019) de Philippe Lellouche et enfin dans Fort Boyard Mégagaf, un super héros qui chevauche un Flyboard. Les rêves d'action sont toujours là, mais plus sur grand écran.

Article original publié sur BFMTV.com