L'Irak annonce une opération pour "libérer la province d'Anbar"

BAGDAD (Reuters) - Les milices chiites irakiennes ont annoncé mardi qu'elles allaient mener avec les forces gouvernementales une opération de grande envergure visant à libérer la province majoritairement sunnite d'Anbar, à l'ouest de Bagdad, de l'emprise du groupe djihadiste sunnite Etat islamique (EI). Ahmed al Assadi, un porte-parole des milices chiites Hachid Chaabi (Comités de mobilisation populaire) a précisé pendant une conférence de presse retransmise à la télévision d'Etat que les miliciens seraient aux commandes de cette opération baptisée "Labeïk ya Hussein". Cette expression extrêmement connotée religieusement, que l'on peut traduire par "Je réponds à ton appel, ô Hussein", se réfère à l'appel à l'aide lancé par l'imam Hussein, le troisième imam chiite, à la bataille de Kerbala, en 680. Hussein y trouva la mort, que les chiites commémorent chaque année par le deuil de l'Achoura. Ce cri de ralliement illustre la confessionnalisation croissante du conflit irakien, le gouvernement de Bagdad, qui avait dans un premier temps évité de faire appel aux milices chiites réputées pour leur brutalité, prenant le risque de s'aliéner davantage les tribus sunnites qui ne soutiennent pas encore l'EI. "L'opération Labeïk ya Hussein est dirigée par les Hachid Chaabi en coopération et en coordination avec les forces armées", a déclaré le porte-parole. "Nous pensons que la libération de Ramadi ne prendra pas longtemps." Le Pentagone a estimé mardi que le choix du nom de cette opération n'était pas heureux et n'aiderait pas les milices chiites. "UNE QUESTION DE JOURS" ? Les miliciens chiites et l'armée irakienne ont lancé samedi une contre-offensive visant à reprendre Ramadi, le chef-lieu de la province d'Anbar, tombé le week-end précédent aux mains de l'EI, et dans un premier temps à arrêter la progression des insurgés sunnites en direction de Falloudja et, au-delà, Bagdad. Ahmed al Assadi n'a pas voulu préciser combien de miliciens, pour la plupart entraînés et armés par l'Iran, participent à l'opération en cours. "Ils sont nombreux", a-t-il dit. Le Premier ministre Haïdar al Abadi a promis que la reconquête de Ramadi ne serait qu'une question de jours. La chute de Ramadi a été suivie par un autre succès de l'EI en Syrie, où la ville de Palmyre est tombée aux mains des djihadistes. Le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, a estimé dimanche que les forces régulières irakiennes n'avaient montré aucune volonté de défendre Ramadi face à l'EI. Pour Haïdar al Abadi, le chef du Pentagone a été "mal informé". Voulant calmer le jeu, le vice-président américain Joe Biden a téléphoné lundi au Premier ministre irakien pour l'assurer de l'appui de Washington dans la lutte contre l'EI et saluer "la bravoure" des forces irakiennes. LES USA SOULIGNENT LA FRAGILITÉ DE L'ARMÉE IRAKIENNE Mardi, cependant, le porte-parole du Pentagone Steve Warren est revenu sur le sujet et a souligné qu'entre autres problèmes qui avaient conduit l'armée irakienne à se retirer de Ramadi, "le moral bas des troupes" avait joué un rôle, tout comme les problèmes au sein des structures de commandement de l'armée. "De nombreux facteurs ont conduit les forces de sécurité irakiennes à se retirer de Ramadi", a dit le colonel Warren, en faisant remarquer que les effectifs de l'armée étaient "nettement plus importants que ceux de l'ennemi; malgré cela, les soldats ont choisi de se retirer". Interrogé sur les propos tenus par Ashton Carter, le porte-parole de la Maison blanche Josh Earnest a déclaré que les troupes irakiennes manquaient parfois de volonté de se battre. "C'est un problème que nous avons effectivement déjà rencontré dans le passé", a-t-il déclaré. Le gouvernement de Bagdad, dominé par les chiites majoritaires dans le pays, a réussi à persuader des chefs de tribus sunnites d'accepter l'aide des miliciens chiites mais la méfiance perdure après des années de violences confessionnelles au cours desquelles des atrocités ont été commises des deux côtés. Pour le général iranien Qassem Soleimani, commandant de la force d'élite Al Qods engagée en Irak contre l'EI, les Etats-Unis et toutes les autres puissances ont échoué dans leur stratégie face aux djihadistes sunnites. "Aujourd'hui, dans le combat contre ce phénomène dangereux, personne n'est présent à l'exception de l'Iran", a-t-il dit. "Obama n'a jusqu'à présent pas fait la moindre chose pour affronter Daech: cela ne prouve-t-il pas que l'Amérique n'a aucune volonté de l'affronter ?", a-t-il poursuivi en utilisant l'acronyme arabe de l'organisation Etat islamique. "Comment l'Amérique peut-elle prétendre protéger le gouvernement irakien quand à quelques kilomètres de là, à Ramadi, des meurtres et des crimes de guerre sont commis sans qu'elle ne fasse rien ?", a insisté le général Soleimani. La France a appelé de ses voeux mardi un renforcement rapide de la mobilisation internationale contre les djihadistes de l'Etat islamique qui continuent leur progression en Irak et en Syrie malgré les frappes de la coalition arabo-occidentale. "Sur l'Irak comme sur la Syrie, la mobilisation internationale doit se renforcer très vite sinon je le dis, on va vers une partition de l'un ou l'autre pays, voire des deux, avec de nouveaux massacres et des conséquences désastreuses", a-t-il dit à l'Assemblée nationale. (Bureau de Bagdad, Isabel Coles à Erbil et Sylvia Westall à Beyrouth; Tangi Salaün, Henri-Pierre André, Guy Kerivel, Eric Faye et Nicolas Delame pour le service français)