Bac au contrôle continu: certaines notes ont-elles été revues à la hausse?

Des lycéens devant les résultats du bac au lycée Fresnel à Paris le 5 juillet 2019 (photo d'illustration) - Stéphane de Sakutin-AFP
Des lycéens devant les résultats du bac au lycée Fresnel à Paris le 5 juillet 2019 (photo d'illustration) - Stéphane de Sakutin-AFP

Alors que les livrets des élèves de terminale sont transmis au plus tard ce vendredi aux jurys du baccalauréat, certains représentants d'enseignants dénoncent une inégalité de traitement entre les candidats. Cette année, en raison de la pandémie de covid-19 et de la situation sanitaire inédite, les épreuves finales du bac et celles anticipées de français sont exceptionnellement évaluées par le contrôle continu.

"C'est parti dans tous les sens"

En principe, ne doivent être prises en compte que les évaluations des deux premiers trimestres, le ministre de l'Éducation nationale ayant assuré que les notes du travail scolaire effectué durant le confinement ne seraient pas prises en compte pour le bac. Mais dans les faits, les choses seraient un peu différentes.

C'est ce que dénonce Claire Guéville, responsable du secteur lycée au Snes-FSU - le premier syndicat du secondaire. "Il y a eu des arrangements et des aménagements localement pour compenser des notations jugées trop faibles ou ne reflétant pas le niveau de l'élève", pointe-t-elle pour BFMTV.com. Le problème selon elle: les pratiques ont été différentes d'un établissement à l'autre, créant une rupture d'égalité entre les candidats.

"Certains établissements n'ont gardé que les notes des deux premiers trimestres mais d'autres ont pris davantage de libertés. Chacun a fait comme il pouvait et comme il pensait juste, parfois en toute bonne foi. Mais c'est parti dans tous les sens."

"Mérite" et "engagement"

Cette représentante du Snes-FSU évoque ainsi des chefs d'établissement qui auraient demandé à leurs enseignants d'établir une note "au mérite", d'autres appelant à évaluer "l'engagement" de l'élève. "Il a aussi parfois été demandé de fabriquer une note plus conforme aux résultats auxquels les élèves auraient pu prétendre." Concrètement: augmenter la moyenne de quelques points. La FCPE, une fédération de parents d'élèves, s'est indigné de l'attribution de ces notes de "potentiel", de "performance" et "d'implication". Plusieurs enseignants ont également témoigné pour Le Parisien de ces petits arrangements avec les notes.

Quant au travail scolaire effectué depuis la fermeture des établissements mi-mars, le ministère a indiqué que l'assiduité pouvait s'apprécier "par la régularité de remise des devoirs et le soin donné à ceux‐ci" sans pour autant pénaliser les élèves n'ayant pas accès aux outils numériques. "Le jury du baccalauréat peut également, pour l'établissement des notes définitives, s'appuyer sur l'avis de l'établissement qui valorise l'engagement dans les apprentissages, les progrès et l'assiduité du candidat sur l'ensemble de l'année." Mais pas de note pour autant.

Claire Guéville assure que certains enseignants auraient cependant eu pour consigne d'ajouter une note à ces appréciations. "L'objectif évidemment c'est de valoriser l'engagement des élèves", remarque-t-elle. Et pour ceux qui n'ont pas eu les conditions matérielles, sociales ou familiales pour pouvoir travailler convenablement, "cela crée une distorsion". "À partir du moment où on valorise certains élèves, il y a une forme de pénalisation pour les autres."

Des notes "prédictives"

Cette représentante du Snes-FSU évoque également un autre cas de figure qui aurait été mis en place dans un lycée parisien prestigieux. "Les enseignants et le directeur d'établissement se sont mis d'accord pour donner une note prédictive pour chaque matière, note que l'élève aurait pu espérer aux épreuves, selon leurs propres estimations." Une prévision de mention à laquelle l'élève aurait pu prétendre aurait également été indiquée dans le livret.

L'objectif: donner des indications aux jurys qui examineront les dossiers des lycéens. Pour trancher, ils détiendront les livrets des élèves mais pourront aussi consulter les résultats des établissements obtenus lors des trois dernières éditions du bac ainsi que les taux de mention. Pour Alexis Torchet, le secrétaire national du Sgen-CFDT qui représente tous les personnels de l'Éducation nationale, ces pratiques de révisions de note sont doublement pénalisantes.

"Cela risque de nuire aux lycéens, qui passent certes le baccalauréat mais qui préparent surtout, pour nombre d'entre eux, leur entrée dans l'enseignement supérieur, juge-t-il pour BFMTV.com. Et cela porte atteinte au crédit du contrôle continu et à la valeur du bac 2020. Les lycéens méritent mieux que ça."

Une "part d'injustice"

Le directeur du lycée privé Stanislas, à Paris - 100% de mentions au bac dont 98% de "très bien" et "bien" - avait alerté au mois d'avril sur "la part d'injustice" que représentait un bac attribué au contrôle continu. "Les notations de contrôle continu sont différentes d'un établissement à un autre, expliquait-il au Figaro. Certains lycées ont des notations assez rigoureuses et exigeantes, qui collent assez bien aux attentes de l'enseignement supérieur. Elles pourraient être minorées par rapport à ce que nos élèves obtiennent habituellement au baccalauréat en juin."

Plus que les écarts de notation, c'est le principe même de bac au contrôle continu qui pose problème, estime Alexis Torchet, du Sgen-CFDT. Ce qu'il déplore: que ces notes censées évaluer la progression d'un élève sur une année finissent par compter pour le bac.

"On découvre ou on redécouvre qu'il y a, dans certains établissements, des écarts entre les notes du bulletins et celles obtenues aux épreuves du bac. Mais quand bien même, il n'y a pas de standard d'évaluation nationale, il y a de toute façon une différence de notation entre les établissements et même entre les enseignants d'une même discipline.

Le conseil de classe, plutôt qu'un jury, aurait été plus à même d'évaluer les élèves."

L'arrondi au point supérieur

Quoi qu'il en soit, Jean-Rémi Girard, président du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc) et enseignant de lettres modernes à Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, assure que "globalement", les enseignants et personnels de direction ont essayé de trouver la solution la moins désavantageuse pour leurs élèves, déclare-t-il à BFMTV.com.

"Si certains devoirs ont eu lieu après le deuxième trimestre, dans la première semaine de mars juste avant le confinement, et que les notes amélioraient la moyenne de l'élève, elles ont été prises en compte. Contrairement à une note particulièrement mauvaise."

Sans compter l'arrondi au point supérieur: chaque note de chaque matière est arrondie au point supérieur. Un élève avec 9,1/20 se retrouve donc avec 10. Les textes officiels insistent sur le fait que le bac a été organisé cette année dans un "esprit de bienveillance" vis-à-vis des candidats.

La délibération finale du jury d'examen se tiendra le 6 juillet avant une publication des résultats le lendemain.

Article original publié sur BFMTV.com