Publicité

Bélarus : l'opposition peine à se libérer du joug autoritaire

Reporter pour l'émission Insiders, Valérie Gauriat s'est rendue au Bélarus, à l'occasion des commémorations le 25 mars dernier, du Jour de la Liberté qui étaient autorisées pour la première fois par les autorités. Elle a eu l'opportunité rare de rencontrer opposants, militants et officiels et a pu apercevoir de fragiles lueurs de démocratie. Le 25 mars dernier, la foule était venue par milliers à Minsk, capitale du Bélarus, pour célébrer le centenaire de la proclamation en 1918 de la République populaire bélarusse qui fut balayée, quelques mois plus tard, par les bolcheviks. C'était la première fois qu'une commémoration officielle du jour dit de la "Liberté" , associé à l'opposition par le Président Alexandre Loukachenko, était autorisée. La fête nationale officielle commémore en juillet, la libération du joug nazi en 1994. Mais pour beaucoup, le 25 mars, ou BNR , est le vrai symbole de l'identité belarusse. Tout comme l'ancien drapeau blanc-rouge-blanc, remplacé en 1995. L'étendard, longtemps interdit, avait ce jour là droit de cité, dans le périmètre balisé des célébrations. "J'espère que ce sera peut-être le début de la liberté pour nous parce que nous les Bélarusses, nous ne sommes pas libres au Bélarus," affirme un manifestant. "On a une vraie dictature" "L'événement a attiré des milliers de personnes aujourd'hui sur cette place, souligne notre reporter Valérie Gauriat avant d'ajouter : Mais pour ceux qui ont tenté de se réunir ce matin dans une autre partie de la ville, les choses ne sont pas déroulées aussi calmement." Une heure avant le début des festivités autorisées par le régime, une autre manifestation, interdite cette fois, tournait court . Quelques dizaines d'opposants au régime ou simples citoyens s'étaient rassemblés sur une autre place de la capitale pour défiler ensemble avec des slogans politiques, jusqu'au lieu des célébrations. "Des personnes ont essayé de se rassembler avant les célébrations du BNR, mais elles ont été arrêtées, les unes après les autres," constate Valérie Gauriat. Ce jour-là, plusieurs dizaines de personnes sont arrêtées à Minsk et à travers le pays . "Aujourd'hui, c'est la fête ! Pourquoi arrêter des gens ? Non ! lance une vieille dame. On a une vraie dictature, on n'a ni liberté d'expression, ni travail décent pour les gens." Un mécontentement auquel le célèbre opposant, ex-candidat aux présidentielles de 2010, Mikalai Statkevich veut répondre. "Un système d'écoute" Nous l'avions rencontré quelques jours plus tôt, avec son épouse Maryna Adamovich. Tous deux s'étaient cloîtrés chez eux depuis plusieurs jours pour éviter une possible arrestation avant la journée du 25 mars. Le couple est sous surveillance constante. Ils nous accueillent chez eux. Nous constatons que la radio est allumée en permanence. "Il y a un système d'écoute, alors on fait du bruit pour qu'ils nous entendent moins ! " nous explique Maryna Adamovich. Mikalai Statkevich, président du Parti social-démocrate bélarusse, avait été arrêté lors de la répression sévère de manifestations massives contre la réelection de Loukashenko en 2010. Sa libération, avec plusieurs autres prisonniers politiques en 2015, avait entraîné la levée de la plupart des sanctions européennes à l'encontre du Bélarus. Mais la répression n'a jamais cessé selon l'opposant qui nous dit avoir passé au total, huit ans de sa vie en prison. "Ce n'est pas un pays libre et le peuple n'a aucune influence ici sur le pouvoir, il y a toujours des prisonniers politiques et ils sont torturés, fait remarquer Mikalai Statkevich. C'est un pays étouffant où on a du mal à respirer, la peur règne ici tout le temps, poursuit-il. Si personne ne rappelle la liberté au pays, si personne ne lutte pour elle, alors les gens oublient que la liberté existe, dit-il. La société se délite et le pays devient une proie facile pour n'importe quelle force extérieure : maintenant, Loukashenko est pris en charge par Poutine et Poutine est beaucoup plus populaire que Loukashenko au Béarus ; ce qui rend l'annexion potentielle du Bélarus très facile et très séduisant pour Poutine," estime-t-il. On veut un avenir normal pour notre pays, c'est pour cela qu'on continuera à sortir dans les rues," souligne-t-il. Arrestation d'opposants Notre interview est soudain interrompue par un coup de téléphone. On informe nos interlocuteurs que trois des principaux opposants au Bélarus viennent d'être arrêtés. Les appels s'enchaînent. Maryna Adamovich répond : "Oui, on est à la maison, on essaiera... Chez nous, précise-t-elle, il y a euronews, je pense qu'ils ne feront rien." Quatre jours plus tard, l'opposant est finalement arrêté devant chez lui alors qu'il tentait de se rendre à la marche interdite du 25 mars. Au moment où les policiers l'ont emmené, il a crié : "Vive le Belarus !" avant d'embrasser sa femme. La plupart de ceux qui ont été interpellés ce 25 mars seront relâchés le soir même. Le musèlement de la contestation aura été moins violent qu'à la même époque l'an dernier. La rue avait rejoint l'opposition pendant plusieurs semaines après l'entrée en vigueur d'un décret imposant une taxe aux personnes sans emploi, dite taxe parasite. Simples citoyens, militants, journalistes, plusieurs centaines de personnes avaient alors été arrêtées. Le décret a finalement été aboli en janvier dernier. Les sans emploi pourraient devoir payer leurs charges sociales Nous avons rendez-vous dans les locaux de l'unique syndicat indépendant du pays REP où l'on offre soutien et conseil juridique aux travailleurs abusés. Vladimir Dmitrievich et Dmitry Denisov sont devenus militants malgré eux après avoir été visés par la taxe parasite . Vladimir Dmitrievich, ancien ingénieur, avait manifesté en 2017, pour la première fois de sa vie. "J'ai été arrêté et mis en cellule sans lumière, sans ventilation, sans explications, sans avocat, sans le droit d'informer mes proches, raconte-t-il. J'ai reçu une amende maximale de 350 euros, ce qui a pesé fortement sur mon budget familial et avec une étiquette d'opposant, c'est devenu encore plus difficile de trouver du travail," fait-il remarquer. Dmitry Denisov indique pour sa part : "Avec le décret n°3, je suis devenu plus attentif aux nouvelles politiques et j'ai commencé à étudier les lois pour savoir comment me protéger." Comme beaucoup au Bélarus, les deux hommes travaillent à l'étranger pour subvenir à leurs besoins. Avec la crise, les revenus ont plongé et les emplois sont rares. Un décret en préparation suscite de nouvelles inquiétudes : il pourrait cette fois, imposer aux sans emploi de payer intégralement leurs charges sociales. "La famille qui gagne assez d'argent a d'autres choses en tête, elle pense librement, le pouvoir autoritaire n'en a pas besoin, assure Gennadi Fedynitch, président du syndicat REP. Quand les gens partout vivent dans la semi-pauvreté, la misère, il ne pensent pas à des choses globales, ils ne pensent qu'à survivre : c'est la différence entre une démocratie et un régime autoritaire," s'indigne-t-il. Le syndicat dérange. Les locaux sont sous séquestre et des centaines de ses adhérents font l'objet d'enquêtes. Quelques jours après notre rencontre, Dmitry Denisov sera lui aussi arrêté lors du rassemblement interdit du 25 mars. "Avancer très prudemment pour maintenir la stabilité de la société" L'espace de la contestation reste plus que restreint au Bélarus où le KGB qui dispose d'un imposant QG à Minsk existe encore sous ce nom. La libre expression comme les médias sont sous haute surveillance. Mais le régime autoritaire d'Alexandre Loukashenko semble vouloir lâcher du lest. Depuis l'annexion de la Crimée par la Russie dont le pays dépend économiquement, Minsk n'a jamais autant voulu plaire à l'Union européenne. Le régime doit améliorer son palmarès au chapitre des libertés, admet le ministre des affaires étrangères. Des changements sont en vue, mais il faut ménager Moscou. "On ne peut pas aller se coucher un soir dans l'Union soviétique et se réveiller le lendemain matin dans un Etat européen totalement démocratique, affirme Vladimir Makei, ministre des Affaires étrangères de la République du Bélarus. Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas apprendre, mais nous aimerions replacer la situation dans un contexte plus large parce qu'aujourd'hui, nous envisageons de possibles changements dans notre Constitution, précise-t-il. La situation au Bélarus et autour du Bélarus a changé, en ce qui concerne par exemple, les problèmes de sécurité, comme la crise en Ukraine : c'est pour cela que les autorités du Bélarus aimeraient avancer très prudemment pour maintenir la stabilité de la société," conclut-il. Une prudence dont une partie de la jeunesse se lasse. "Pas de progrès, pas d'indépendance, pas d'avenir et beaucoup de policiers" Nous rencontrons une jeune femme prénommé Ksenia dans le métro de Minsk. Elle y vient régulièrement jouer du violon pour arrondir ses fins de mois. Le reste du temps, elle travaille comme enseignante dans un village situé à une centaine de kilomètres de la capitale. Nous la retrouvons chez elle à son retour de l'école. Son salaire de 200 euros par mois lui permet tout juste de subvenir à ses besoins. "Le bois me coûte la moitié de mon salaire," nous dit Ksenia en alimentant son poêle. Autre ponction sur son salaire : les trois journaux officiels qu'elle est contrainte d'acheter chaque semaine. De la propagande, dit-elle. "Tous les enseignants sont obligés de les avoir ! insiste-t-elle. Ils parlent de nos politiques, de l'Etat, des règles et tout ça, je ne sais pas trop... Je ne les lis pas vraiment, mais c'est très bien pour faire le feu," _lance-t-elle en riant jaune. Le plus dur, dit Ksenia, c'est la pression idéologique qui s'exerce à l'école. "Tout le monde a peur de quelque chose, tous les enseignants ont peur du directeur et le directeur a peur de ses supérieurs et cette atmosphère, ce n'est pas la liberté, dénonce-t-elle. Peut-être que pour quelqu'un d'âgé qui a vécu toute sa vie dans l'Union soviétique, c'est très bien, mais pour les jeunes, c'est mortel : il n'y a pas de progrès, pas d'indépendance, pas d'avenir et beaucoup de police partout ! " s'exclame-t-elle. Contester par la musique Dans un village voisin, nous rencontrons Somilee, jeune rappeur bélarusse. Avec l'argent gagné à l'étranger, il a acheté une maison où il vit avec sa famille et où il a installé son studio d'enregistrement. Le musicien est de ceux qui l'an dernier, avaient reçu la lettre dite du "bonheur" le sommant de payer la taxe parasite visant les chômeurs. Une source d'inspiration pour une chanson et un clip dans lequel il brûle le courrier des services fiscaux et revendique sa liberté. "Quelque part au cœur du continent, il existe un Etat où un musicien n'est personne, c'est pour cela que je dois payer la taxe parasite et je suis choqué, p*, rappe-t-il, mais je suis libre comme l'air et c'est ça que je vais leur dire : je veux vivre comment je veux et pas autrement," lance-t-il dans son morceau. "En vivant ici à la campagne, je me sens plus libre que si j'étais en ville, nous confie-t-il. Pour l'instant, je n'ai pas de problème avec les autorités, je parle de tout ce que je veux, je dis tout ce que je pense, mais peut-être que je n'ai pas de problème parce qu'ils ne m'ont pas encore écouté... " concède-t-il. Deux jeunesses Dans un pays partagé entre son héritage soviétique et sa soif de modernité, deux jeunesses cohabitent . Nous assistons au forum régional annuel de l'Union de la Jeunesse républicaine bélarusse (BRSM), principale organisation de jeunesse du pays. Descendante du mouvement des Komsomols, organisation de jeunesse communiste de l'ex-URSS, elle est financée par l'Etat. Nous y rencontrons Artsiom Mentsiuk. Le jeune homme commande la brigade pour la Sécurité et l'Ordre du BRSM à Minsk qui prête parfois, main forte à la police. A ses côtés, Yegor Makarevich, 21 ans. Il dirige la branche jeunesse du conseil des députés à la ville de Minsk. Dans la salle, des jeunes entonnent une chanson diffusée à plein volume : "Nous sommes la jeunesse, chantent-ils, nous sommes l'espoir du pays, nous sommes fidèles à nos traditions et à nos ancêtres, nous sommes la jeunesse, nous sommes tous de la même famille, c'est toi, c'est moi." L'engagement de ces jeunes envers la patrie et son gouvernement est sans faille. "Ma valeur la plus importante, souligne Artsiom Mentsiuk, c'est l'amour pour ma patrie, le patriotisme, le sentiment patriotique : cela nous est inculqué dès l'enfance quand on est à l'école." Son camarade Yegor Makarevich ajoute : "Le pays n'a pas perdu le plus important : il n'a pas perdu le respect de son peuple, il porte une attention particulière à chaque citoyen, chaque petite ville, chaque village, chaque route : c'est pour cela que quand vous arrivez au Bélarus, vous voyez un pays très propre, qui chaque jour, prend soin de chaque citoyen, c'est pour cela peut-être qu'on peut sentir qu'ici, il y a une grande stabilité, que tout est très net," juge-t-il. "Le pouvoir a deux mains : l'une permet, l'autre interdit" C'est un autre type d'identité nationale que Pavel Belavus veut promouvoir. Fondateur de symbal.by et représentant de Art Siadziba , le jeune homme a ouvert il y a trois ans, une boutique dont tous les produits portent les couleurs de l'ancien drapeau. "On a des jeux en bélarusse, de la littérature pour enfants et pour adultes en bélarusse, y compris celle de notre prix Nobel Svetlana Aleksievich : il y a des souvenirs, des cadeaux, de la musique, on représente le Bélarus tel qu'il est et tel qu'il doit être," affirme le jeune homme. L'existence même du magasin est signe d'un début d'ouverture du régime, dit son fondateur. Mais cela reste très limité. "Même s'il y a des changements positifs et que personne ne nous arrête à cause de ce magasin, si je sors d'ici et que je vais quelque part avec un drapeau blanc-rouge-blanc, la police viendra me voir et j'aurai des problèmes, nous explique Pavel Belavus. Le pouvoir a deux mains : l'une permet, l'autre interdit, l'une caresse et l'autre bat et nous, on se trouve entre ces deux mains, à essayer d'éviter de tomber ni dans une main, ni dans l'autre," assure-t-il. Pavel Belavus était aussi le principal organisateur des festivités programmées le 25 mars. Sur la scène ce jour-là, des comédiens interprètent une chorégraphie sous une bâche plastique qui semble les étouffer, voire les empêcher de bouger. Il s'agit du Belarus Free Theatre, une compagnie longtemps interdite, aujourd'hui tolérée, mais non répertoriée officiellement (ce qui lui permet d'échapper à la censure). Ses fondateurs arrêtés lors des manifestations de 2010 se sont exilés à Londres d'où ils continuent de diriger la troupe. Ses sujets de prédilection sont universels : la répression, les problèmes sociaux, l'homosexualité ou encore la nudité. Ce 25 mars, c'est la première fois que la troupe se produit en public, en dehors de l'ancien garage de Minsk où elle donne habituellement des représentations. "On a réussi" C'est l'une des avancées enregistrées ce jour-là selon Pavel Belavus. "On voit des cordons de police, il y a des arrestations, mais si on est arrivé à organiser cela, c'est parce que les gens l'ont voulu, pas parce qu'on nous a permis de le faire : ce sont les gens qui voulaient cet événement et c'est pour cela qu'on a réussi !" se réjouit-il. Mais la réalité n'a pas tardé à reprendre le dessus : nous apprendrons plus tard qu'au sortir du concert, quelques dizaines de ceux qui s'étaient attardés dans les rues avec leurs drapeaux allaient être interpellés par la police. Mais l'enthousiasme de Pavel Belavus a été largement partagé, l'espace de quelques heures. Lui qui n'a pas hésité à haranguer la foule : "Aujourd'hui, on a prouvé qu'il ne fallait pas avoir peur de nous et nous, on a peur de rien. Ensemble, on est la nation, on se construit, on vivra sur cette terre, on parlera en bélarusse, on brandira des drapeaux blanc-rouge-blanc. Merci ! Vive le Bélarus !" a-t-il martelé depuis la scène.​