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Avortement : l'Irlande à l'heure du choix

Vendredi 25 mai est un jour historique en Irlande. Les Irlandais sont invités à voter pour ou contre la libéralisation de l'avortement. Le gouvernement irlandais, qui prône la libéralisation de l'avortement, a plusieurs fois été l'objet de critiques des anti-IVG qui reprochent à l'exécutif d'entretenir le flou sur la législation qui pourrait suivre une victoire du "Oui". Pour ceux qui défendent la liberté de choisir d'avorter, supprimer le 8e amendement de la Constitution est une tentative pour empêcher des milliers de femmes de faire un voyage à risque vers la Grande-Bretagne pour bénéficier d'un avortement légal et gratuit. Chaque jour, une dizaine de femmes font l'aller-retour dans la journée vers la Grande-Bretagne pour avorter. Chaque année, elles sont des milliers. A l'opposé, les anti-avortement craignent, eux, que cela ne conduise à des "avortements à la demande". En Irlande, parler en public de son avortement est controversé. Janet O'Sullivan, l'a découvert en partageant son expérience sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui mère de deux enfants, elle ne regrette pas d'avoir eu recours à l'avortement à 19 ans après une erreur de contraception, mais seulement de ne pas avoir pu le faire dans son pays. Elle raconte ce jour si particulier à notre journaliste Vincent MacAviney : " Je n'étais pas la seule dans l'avion ce jour-là, il y avait 4 autres femmes qui voyageaient comme moi et nous étions un peu nerveuses (...) C'était difficile parce qu'il y avait des manifestants dehors, ils savaient quel jour les femmes d'Irlande venaient, le jeudi ou le vendredi, pour avoir le week-end pour se reposer. Ils nous ont interpellées en Irlandais. Ils nous ont dit "Dieu vous aime, vous et votre bébé". C'était assez éprouvant ". En Irlande, un climat de honte autour de l'avortement persiste. Récemment des centaines de femmes ont partagé des histoire similaires sur la page Facebook "In her shoes", de manière anonyme. "Nous avons décidé de continuer la grossesse" Notre journaliste s'est rendu à Waterford au sud-est du pays pour rencontrer deux femmes qui ont toutes les deux perdu tragiquement des bébés à cause d'anomalies du foetus. L'une de ces femmes voulait avorter mais on lui a refusé et elle ne se sentait pas assez en état pour voyager et le faire en Grande-Bretagne. L'autre s'est vue conseiller d'avorter mais elle ne voulait pas. Aujourd'hui, toutes deux font campagne pour et contre le référendum du 25 mai. " A 24 semaines de grossesse on a diagnostiqué que ma petite fille était atteinte de Trisomie 18, le Syndrome Edwards, et la première chose qu'on nous a proposée était l'avortement, ce qui n'a jamais été une option pour notre fille Liadan", raconte Victoria Wall. "Nous avons décidé de continuer la grossesse et ce fut un beau moment, difficile mais très beau. Nous avons pris du temps en dehors de notre travail pour passer du temps avec Liadan, comme une famille chérissant le temps que nous avions avec elle. (...) Liadan est décédée à 32 semaines. Et nous lui avons donné naissance et elle était très belle. Elle pesait 900 grammes, avait des cheveux noir frisés et de longs cils noirs et mon nez. Nous l'avons ramenée à la maison, avons organisé de grandes funérailles et célébré sa courte existence pleine de sens ", détaille-t-elle. Victoria se sert maintenant de son expérience pour faire campagne contre l'abrogation du 8ème amendement et la suppression de l'interdiction d'avorter. " J'ai essayé de parler aux gens pour leur dire que les femmes méritent mieux que l'avortement. Avorter est un acte violent pour les femmes. Il blesse les femmes et tue un enfant". Mais chaque personne qui a vécu une telle expérience ne ressent pas la même chose. A l'opposé de l'expérience de Victoria, il y a celle de Claire Cullen-Delsol, aujourd'hui enceinte pour la 4e fois. Quand elle et son mari Wayne attendaient leur 3e enfant, une petite fille prénommée Alex, l'échographie de la 20e semaine a révélé qu'elle souffrait d'un Syndrome de Patau, une forme de trisomie. Les médecins leur disent que leur bébé ne survivra pas à la grossesse et Claire demande à être déclenchée, ce qui lui a été refusé en vertu du 8e amendement qui considère cela comme un avortement. Incapable de voyager, Claire a porté son enfant jusqu'à ce qu'il meurt in utero. " On aurait pu faire quelque chose, tout le monde savait dans quel état j'étais. Les gens savaient que je ne pouvais pas travailler, que je ne pouvais pas m'occuper de mes enfants, que je ne vivais plus normalement. Je m'effondrais sur le chemin de l'école, prise d'attaques de panique. Je n'étais plus capable de faire les courses. Je ne pouvais plus vivre normalement et personne ne s'en souciait. Ça leur était égal que je ne puisse plus fonctionner, que je ne sois plus moi, que je sois psychologiquement dévastée. Tout ce qui comptait c'était que je sois en vie et que mon bébé le soit aussi parce que j'étais enceinte. Il n'y a que ça qui comptait ", déplore-t-elle. Vote de conscience Alors que les intentions de vote fluctuent, une coalition a formé le groupe "Ensemble pour le Oui" pour abroger le 8e amendement. L'avortement va au-delà des divisions politiques. D'ailleurs les partis n'ont pas donné d'instruction de vote à leurs membres. L'Eglise défend fermement l'interdiction de l'avortement mais il y a eu d'importants changements sociaux et démographiques dans la société irlandaise ces 35 dernières années. L'influence de l'église a certes diminué dans le pays, à la suite de scandales d'abus sexuels dans les années 1990, mais elle n'a pas disparu. Notre journaliste a sollicité plusieurs représentants de l'Eglise pour une interview mais ils ont décliné. Viol ou inceste L'interdiction actuelle d'avorter inclue aussi la grossesse suite à un viol ou un inceste. John McGuirk, directeur de la communication du groupe "Sauver le 8e amendement" explique pourquoi, à son sens, cela doit être maintenu. " On éprouve beaucoup de compassion envers les femmes qui sont dans une situation difficile. Tout être humain éprouve cette compassion. Le problème c'est que dans presque chaque pays où l'on évoque ces cas, ils constituent environ 0,3% des avortements. Or, si on libéralise complètement l'avortement, on passera à 99,7% d'avortements sur cette base dans le cas où la grossesse se passe bien ou dans les cas ou la femme se dit, sur un coup de tête, que c'est sa seule option", explique John McGuirk . Depuis des mois maintenant le camp du "oui" se heurte au camp du "non" dans un débat très passionné, tant il traite d'un sujet qui touche à l'intime et à l'un des piliers de la société irlandaise, la famille.