Avant la réouverture de Notre-Dame, un chantier qui a réconcilié (un moment) les Français et la science
PATRIMOINE - Comme monsieur Jourdain faisait de la prose : les Français se sont passionnés ces cinq dernières années pour l’archéométrie sans le savoir. Archéométrie ? Tout simplement l’ensemble des sciences et techniques d’analyse et des mesures des vestiges archéologiques. Autrement dit, ce que des équipes de chercheurs de toutes les disciplines ont mis en œuvre pour sauver, puis reconstruire, Notre-Dame, dont la réouverture est effective ces samedi 7 et dimanche 8 décembre. Et ce qui, pour beaucoup, fut une plongée inédite dans les sciences dures.
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Il faut dire que la France n’est pas exactement, en temps normal, la fille aînée de Pythagore. La dernière enquête TIMSS confirme que les écoliers français sont sous la moyenne des pays de l’UE et de l’OCDE en mathématiques. Quant à la physique et à la chimie, elles intéressent sensiblement moins les élèves au moment de spécialiser. Les adultes eux, sont sans illusion sur leurs connaissances : interrogés par l’IFOP en 2022, ils étaient seulement 21 % à déclarer avoir une véritable culture scientifique. Et pourtant…
Salles combles pour la physique chimie
« Notre livre sur les sciences utilisées sur le chantier de Notre-Dame [Notre-Dame de Paris, la science à l’œuvre, éditions du Cherche-midi] s’est si bien vendu qu’il en est à sa deuxième réédition », s’enthousiasme Martine Regerts, chargée pour le CNRS du pilotage du chantier scientifique de Notre-Dame de Paris. La chercheuse, qui est également directrice adjointe scientifique à l’Institut écologie et environnement du CNRS, est une habituée de la pédagogie auprès des médias et du grand public.
« Nous avons été extrêmement sollicités pour des conférences grand public. J’ai fait un certain nombre de conférences et, tout récemment, j’ai encore été invitée à l’une d’elles où il y avait plus de 150 personnes dans la salle », ajoute-t-elle. Le lien si spécial des Français avec le monument parisien agit comme un passage vers un ensemble de disciplines souvent méconnues, ou réputées inaccessibles, la physique ou et la chimie au premier chef.
Qui aurait ainsi pu croire que l’analyse des isotopes de l’oxygène contenu dans le bois de la charpente allait passionner les foules ? Pourtant, ces données clefs ont, non seulement permis d’en savoir plus sur l’édifice, mais aussi sur les différences climatiques entre il y a dix siècles et aujourd’hui. D’ailleurs, Martine Regerts ne cherche pas tant à faire comprendre les disciplines scientifiques ayant servi à la renaissance de Notre-Dame elles-mêmes, mais plutôt à quoi elles servent.
« L’analyse chimique, c’est simplement un changement d’échelle », décode la scientifique. En étudiant un objet au niveau moléculaire, on analyse son histoire. « Comme la lunette astronomique, cela permet de dépasser les capacités de nos cinq sens », et de raconter une nouvelle facette de l’histoire d’un matériau, d’un ornement ou d’un bâtiment.
Questions sur Macron et discours complotiste
Ce discours simple est motivé par la mise en contact d’un public très large (le succès des reportages sur le chantier de Notre-Dame en est un autre indicateur) à des sciences dites « dures ». Devant des néophytes curieux dont la culture scientifique varie beaucoup, les scientifiques ont d’ailleurs parfois du mal à répondre. À l’image du CNRS qui a lancé fin novembre une consultation (à laquelle vous pouvez participer ci-dessous) pour connaître le rapport des Français aux sciences, c’est parfois un saut dans l’inconnu.
« Face au grand public, il y a trois types de questions, détaille la chercheuse. Celles qui relèvent de notre domaine, celles qui nous connaissons un peu… Et les questions sociétales, sur lesquelles on ne peut répondre qu’en tant que citoyen, et non chercheur. » Parmi ces dernières, des interrogations sur la décision de la reconstruction en 5 ans prise par Emmanuel Macron dans les cendres encore chaudes de l’incendie, par exemple.
Les questions complotistes sont aussi au menu. « J’ai des questions sur les origines de l’incendie, qui ne relèvent pourtant pas de nos prérogatives », mais d’une information judiciaire toujours en cours. Mais s’y frotter, c’est également la rançon du succès pour une opération de sauvetage multidisciplinaire encore jamais vue.
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