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Audiences annulées, manque de personnel: le tribunal de Bobigny ne se remet pas de la crise du coronavirus

Le Tribunal Judiciaire de Bobigny. - LUDOVIC MARIN
Le Tribunal Judiciaire de Bobigny. - LUDOVIC MARIN

"Le Tribunal Judiciaire de Bobigny se débat dans d’inextricables difficultés." Dans une lettre ouverte publiée vendredi dernier, le bâtonnier du barreau de Seine-Saint-Denis et le président du conseil départemental réclament une action de la part de la Chancellerie pour sauver cette juridiction qui "donne le sentiment de ne pouvoir émerger de la crise".

"Pour que l'accès au droit ne soit pas la victime désignée de la crise sanitaire et sociale, nous vous demandons, Madame la ministre, d'agir. Il est encore temps de secourir la juridiction de Bobigny", la deuxième de France, écrivent Frédéric Gabet, bâtonnier du barreau de Seine-Saint-Denis, et Stéphane Troussel, président du département de plus d’un million d'habitants et le plus pauvre de métropole.

"Des centaines de procédures pénales classées sans suites"

Pendant plus de deux mois, le Tribunal Judiciaire de Bobigny a fonctionné au ralenti à cause de l’épidémie de Covid-19 et du confinement, comme l’ensemble des juridictions françaises. Mais à la différence des autres tribunaux, celui de Seine-Saint-Denis semble avoir du mal à émerger.

"Cinq semaines après la fin du confinement, on en mesure aujourd’hui les conséquences: des justiciables s’inquiètent du sort de leur jugement de divorce ou d’une ordonnance de non conciliation qui aurait dû être rendue pendant le confinement. Des centaines de procédures pénales ont fait l’objet de classements sans suites, sans que le.la justiciable n’en soit informé.e, et ne puisse donc faire valoir ses droits", déplorent le bâtonnier et le président du département.

Cette situation est "incroyable", commente l’avocat pénaliste Ian Knafou. Ce dernier raconte à BFMTV.com qu’un de ses clients, poursuivi pour trafic de stupéfiants et menaces de morts, a vu son contrôle judiciaire "sauter" après le renvoi sine die de son audience.

"Nous sommes arrivés au tribunal, on nous a dit que notre dossier n’avait pas été sélectionné, explique-t-il, déconcerté. On devait passer devant la 16ème chambre qui, normalement, traite quotidiennement une dizaine d’affaires, mais ce jour-ci elle n’en a audiencé qu’une seule car elle n’avait pas assez de magistrats."

Des décisions "peu motivées"

Malgré ce tableau très noir dressé par les praticiens du droit, le président du tribunal de Bobigny, Renaud Le Breton de Vannoise, affirme que la situation décrite est "inexacte. Nous avons eu une activité très intense: deux audiences ont été maintenues sur les sept habituelles. Il y avait toujours dix magistrats en présentiel. Ceux qui télétravaillaient ont réussi à descendre tout leur stock. 230 dossiers ont été réglés et ils ont pu en attaquer de nouveaux. Nous avons dû faire face à 300 demandes de remise en liberté. Tous les magistrats se sont mobilisés pour les traiter", précise-t-il au Parisien.

Mais quand les audiences ont effectivement lieu, elles sont, selon Me Knafou, “expédiées” et donnent lieu à des "décisions peu motivées".

"Les jugements sont rendus à la va-vite: on accorde aux avocats à peine 15 minutes de plaidoirie, faute de temps. Au lieu de relaxer, les juges condamnent, sinon ils relaxeraient trop de monde", affirme le pénaliste qui soutient que "les greffiers, les juges et les avocats de Bobigny n’arrivent plus à suivre, ils ne parviennent pas à rattraper les retards accumulés pendant le Covid-19. On manque de moyens, de personnel, c’est du jamais-vu".

Appel à "combler les carences"

Ces difficultés, aggravées par la crise sanitaire, ne sont pas nouvelles au tribunal de Bobigny. En mai 2018, un rapport parlementaire avait pointé du doigt les carences de l'action de l'Etat en Seine-Saint-Denis, victime d'un déficit de fonctionnaires, dans les tribunaux notamment.

Fin octobre 2019, le Premier ministre Edouard Philippe avait annoncé 23 mesures pour remédier aux "difficultés hors normes" du département, dont une prime de fidélisation de 10.000 euros aux fonctionnaires y restant au moins cinq ans en poste. "Ces efforts, nous le constatons aujourd'hui, n'ont pas permis de combler les carences, notamment en nombre de greffiers", estiment les auteurs de la lettre, qui espèrent que la Chancellerie entendra leur alerte sur le manque de personnel.

Article original publié sur BFMTV.com