Au Royaume-Uni, les musulmans victimes des émeutes racistes témoignent : « Ma vie a été menacée »

Des manifestants d’extrême droite photographiés à Bristol samedi 3 août.
JUSTIN TALLIS / AFP Des manifestants d’extrême droite photographiés à Bristol samedi 3 août.

RACISME - Depuis plusieurs jours, des émeutes racistes font rage au Royaume-Uni. Une déflagration de violences qui fait suite à un drame, l’attaque au couteau du 29 juillet à Southport qui a provoqué la mort de trois fillettes, et à son instrumentalisation par l’extrême droite.

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Après la diffusion massive de fake news sur l’identité du suspect, son lieu de naissance et sa religion, le pays est désormais secoué par des violences racistes qui prennent pour cibles les personnes racisées elles-mêmes, ainsi que certains lieux. Mosquées, commerces de proximité, centres d’hébergement pour exilés… Dans la presse britannique, de nombreuses personnes musulmanes (largement visées par ces persécutions malgré la religion catholique du suspect dans l’attaque de Southport) témoignent d’une semaine cauchemardesque.

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

En Irlande du Nord, des commerçants non-blancs ont vu leurs magasins pillés ou dévastés durant les émeutes. Mohamed Idriss, propriétaire d’un café à Belfast, a raconté à la BBC le jour effroyable où son commerce a été détruit. Alors qu’il était à l’intérieur, il raconte que plusieurs personnes à l’extérieur se sont mises à crier son nom et à demander « Où est Mohammed ? », avant de briser toutes les fenêtres. La nuit venue, son café a été incendié. « Ce café était un espoir. Désormais, il n’y a plus d’espoir ici », confie-t-il, abattu.

« C’est difficile pour moi, a-t-il expliqué à nos confrères d’outre-Manche. C’est effrayant, ma vie a été menacée. Un groupe de personnes qui venaient d’endroits différents criaient mon nom. » Le commerçant, qui vit à Belfast depuis 2002, témoigne d’un climat devenu plus difficile ces dernières années. « On a fait notre vie ici, mais désormais, tout le monde se demande : qu’est-ce qu’on fait maintenant ?  »

Dans le même article, Bashir, gérant d’un supermarché, raconte sa réaction quand son commerce a été réduit en cendres. « Rien n’a pu être sauvé » soupire-t-il, en se demandant pourquoi les négoces tenus par des musulmans sont délibérément ciblés. Depuis, il n’arrive plus à dormir. « Je me demande ce que je dois faire après. Pour la première fois de ma vie, je n’ai pas de but. Est-ce que je dois continuer, est-ce que je dois reconstruire mon magasin, est-ce que je devrais partir ? » s’est-il demandé devant la BBC.

Devant les mosquées, des foules en colère

D’autres articles font état de foules en colère devant les mosquées, notamment à Liverpool. Malgré ce contexte violent, dans la presse, plusieurs personnes musulmanes expliquent avoir tenté d’ouvrir le dialogue. C’est le cas de Lila Tamea, qui raconte les interactions qu’elle a eues devant son lieu de culte à la BBC. Pour établir un « terrain d’entente », elle a choisi d’aller à la rencontre des personnes rassemblées avec de la nourriture. « Ces petites opportunités d’établir un dialogue font une grosse différence », explique-t-elle.

Elle raconte avoir rencontré des personnes « très raisonnables » et « ouvertes à en apprendre plus sur l’islam », à qui elle a fait part de son opinion : « Vous ne vous faites pas de faveur en vous associant à l’extrême droite et à des individus fascistes qui ne veulent rien d’autre que nuire. » Mais tous ses échanges n’ont pas été aussi concluants. « Quelqu’un m’a fait un doigt d’honneur, je lui ai répondu par un signe de paix. Il a détourné le regard avec colère », relate-t-elle.

Auprès des journalistes de MetroUK, Adam Kelwick témoigne d’une expérience similaire dans sa mosquée. « [Nous avons] ressenti beaucoup d’anxiété vendredi soir, quand nous avons appris qu’une grande manifestation anti-Islam venait dans notre direction. Nous avions peur que cela devienne violent », rapporte-t-il dans l’article. Pourtant, les décideurs de la mosquée ont choisi de laisser les portes ouvertes « pour inviter les manifestants à parler […] et pour les écouter », à contre-courant des recommandations de la police.

« Soutenus par des centaines de personnes, de toutes confessions ou d’aucune, qui étaient venues défendre la mosquée, nous avons attendus trois heures, jusqu’au moment où les tensions ont baissé et que nous nous sommes sentis en sécurité pour échanger », explique-t-il, avant de poursuivre : « Nous leur avons proposé de la nourriture. Certains nous ont ignorés, d’autres nous ont dit “non” poliment, mais au bout d’un moment, certains ont accepté. »

Des émeutes dans plus de vingt villes

Un rameau d’olivier qui, d’après Kelwick, a permis des sourires et des discussions. « Ceux qui nous rejetaient initialement[…] ont compris qu’il y avait une opportunité pour quelque chose de plus constructif que la colère et la haine », confie-t-il. « Un homme est venu me voir et m’a dit qu’il savait que le suspect de l’attaque de Southport n’était pas musulman, et qu’il en avait juste assez de la police. Quand je lui ai demandé avec douceur pourquoi il manifestait devant une mosquée, il a eu l’air de comprendre les failles de son raisonnement. »

Une discussion bienveillante qui semble avoir porté ses fruits, mais loin d’être la norme à travers le pays. Alors que des émeutes ont eu lieu dans plus d’une vingtaine de villes du Royaume-Uni, le média Metro UK fait état de « points de contrôle de race » mis en place par des civils dans la ville de Middlesborough, ou encore de d’incendies volontaires d’hôtels à Roterham et à Tamworth, au prétexte qu’ils serviraient d’hébergement à des demandeurs d’asile.

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