Au quotidien comme sur les réseaux, ils sont victimes de biphobie : "Tu peux pas comprendre. Est-ce que t'as déjà couché avec une meuf au moins ?”

En France, selon une étude publiée à la fin de l’année 2018, 0,9 % des femmes et 0,6 % des hommes se déclarent bisexuels. Sur Instagram, le compte Paye Ta Bi partage des témoignages visant à faire entendre des personnes bisexuelles et à dénoncer la biphobie. Construit sur le modèle du mot homophobie, la biphobie est le fait d’exprimer un rejet, du mépris ou de la haine envers une personne bisexuelle, voire de se montrer violent à son encontre.

Pour les personnes bisexuelles, la biphobie est une forme d’homophobie avec des particularités qui lui sont propres, du fait des spécificités de cette orientation sexuelle. J’ai demandé à des personnes bisexuelles de me décrire la biphobie qu’elles subissent au quotidien.

“Comme s’il fallait sans cesse faire un coming out”

Clémentine raconte : “Pour moi la biphobie c’est d’être tout le temps assignée à l'hétérosexualité quand on est en couple avec des hommes cis, ou de voir son orientation balayée quand les gens disent "tout le monde est un peu bi, moi aussi je trouve que les meufs sont belles.””

Delphine, qui s’identifie bisexuelle depuis 5 ans, a aussi du mal à faire comprendre la réalité de son orientation sexuelle : “Dans ma famille et auprès de certain.e.s ami.e.s, je suis considérée comme lesbienne ou comme hétéro en fonction des personnes avec qui je suis en couple, iels ont du mal à intégrer que je sois bi et que je ne ferai jamais le choix. C'est comme s'il fallait sans cesse faire un coming out.” Pour elle, la plus grande pression vient des hommes : “Ils considèrent que l’étiquette bisexuelle va forcément me donner envie de faire des plans à trois alors que je n’en ai jamais fait. Auprès des hommes, je suis perçue comme le fantasme.” Il lui arrive de cacher sa bisexualité, notamment sur les applications de rencontres, “pour éviter les clichés”.

“Pas viril et donc pas sexy”

Arnaud m’explique que sa bisexualité est souvent mise de côté pendant les phases de rencontre, de séduction et de drague. “J’ai déjà essayé d’en parler au moment des présentations quand on se raconte un peu tout et rien mais j’ai toujours eu des réactions super négatives de femmes qui trouvaient que c’était bizarre, pas viril et donc pas sexy. On m’a déjà dit "Je n’ai aucune envie de t’imaginer avec un homme" alors, même si ça me fait chier, j’ai arrêté d’en parler.”

Le coming out de Margot a été particulièrement mal vu dans un collège où elle travaillait : “Votre orientation sexuelle est votre vie privée, vous n'avez pas à la partager avec les élèves”, lui a-t-on reproché. Au quotidien, elle se sent invisibilisée en tant que femme bisexuelle : “Si je plaisante avec un collègue homme, on me dit "ehoh attention ton mec va être jaloux". Mais si je dis littéralement à une collègue femme qu'elle est sexy aujourd’hui, personne ne cille.””

Tu luttes pour les droits LGBT pour faire l'intéressante. Tu peux pas comprendre ce que c'est d'être vraiment queer. Est-ce que t'as déjà couché avec une meuf au moins ?"

Sans cesse prouver la légitimité

Elle tient également à souligner que ces réflexions et critiques viennent de personnes hétérosexuelles comme de personnes homosexuelles. Certains de ses amis gays l’invectivent régulièrement à ce sujet : “Tu luttes pour les droits LGBT pour faire l'intéressante. Tu peux pas comprendre ce que c'est d'être vraiment queer. Est-ce que t'as déjà couché avec une meuf au moins ?”. C’est une particularité de la biphobie : il faut sans cesse prouver qu’on est légitime à porter l’étiquette de la bisexualité, et en particulier en évoquant son nombre de partenaires des deux genres. Les personnes bisexuelles, si elles font partie de la grande famille des LGBTQIA+, se voient parfois opposer une animosité de la part de leur propre camp : il serait trop facile de profiter des privilèges d’une potentielle relation normée tout en s’appropriant la culture queer. Pour ses détracteurs, la bisexualité serait trop floue, pas assez engagée.

La violence est telle que j'ai le ventre noué, parfois même la mâchoire crispée pendant toute la journée, voire des jours après. Du coup je fais attention quand je parle de bisexualité et lesbianité.”

Une journaliste anonyme raconte subir un véritable harcèlement moral en ligne quand elle évoque sa bisexualité ou l’existence même de la biphobie : “Ça m'est arrivé plusieurs fois : si je publie des articles liés à la bisexualité, je me vois accusée de lesbophobie. On me reproche généralement de faire des articles sur les bi parce que cela invisiblise les lesbiennes, on me reproche de parler de biphobie parce que cela serait de la lesbophobie de les accuser de la sorte, on me reproche d'oser me reconnaitre de la lesbianité politique. Ça se passe généralement dans la minute après avoir posté, comme si on me surveillait, et c'est très violent. Je parle de dizaines de personnes qui commentent et me traitent de lesbophobe, de conne, de connasse, de misogyne même. Je suis obligée de mettre en sourdine mes réseaux sociaux. La violence est telle que j'ai le ventre noué, parfois même la mâchoire crispée pendant toute la journée, voire des jours après. Du coup je fais attention quand je parle de bisexualité et lesbianité.” Elle précise que cette violence sur les réseaux sociaux, elle ne l’a jamais connue ailleurs dans la vie : “Je suis militante, j'ai eu des rencards avec des lesbiennes, je suis sortie avec des lesbiennes, j'ai des amies lesbiennes, je n'ai jamais été agressée comme sur Internet.”

Il semble que cette orientation sexuelle souffre principalement d’un défaut de représentation forte, et c’est pourquoi les comptes Instagram comme Paye Ta bi, le podcast 5 pour cent ou le podcast Bisexualités de la RTBF font un travail nécessaire d’éducation concernant la bisexualité. Les voix et les témoignages de personnes bisexuelles méritent d’être entendues pour que leurs ressentis tout comme la réalité de leur orientation sexuelle soient pris en compte.

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