Au procès des viols de Mazan, la difficile prise en compte par les coaccusés de la notion de consentement

Ils ont tous été décrits par l'experte psychiatre, venu témoigner ce mercredi devant la cour criminelle du Vaucluse, comme n'ayant "pas d'empathie" pour la victime, Gisèle Pelicot. De la "culpabilité", "préoccupé" par les conséquences de l'affaire sur leur vie, mais pas d'empathie. Jérôme V., Redouan E. et Thierry Po. étaient tous les trois interrogés sur leur parcours de vie, leur sexualité et leur personnalité.

A la barre ou du fond du box, les accusés ont pleuré. Surtout sur l'impact de cette affaire sur leur vie. Jérôme V. était sur le point d'acheter une maison avec sa compagne, il avait enfin trouvé "le cadre" qu'il recherchait. L'homme a aussi perdu tout contact avec ses enfants, il a fait le choix "de se mettre en retrait". Redouan E. s'était lancé avec sa compagne dans une procédure d'adoption. "Notre drame à tous, c'est que notre trajectoire de vie a croisé celle de Dominique Pelicot", pleure-t-il, brandissant la photo de l'enfant qu'il était sur le point d'adopter. "C'était ma dernière chance d'être père", soupire-t-il.

Narcissisme, manque de confiance en soi, manque d'empathie... l'experte psychiatre a relevé de nombreux traits identiques chez les accusés. Pour Jérôme V., ce défaut d'empathie vient de son histoire familiale, un père gentil mais une mère "infantilisante et dévalorisante". Cette mère contrôlait ses premiers flirts, fouillait dans son intimité, lui qui n'était "pas très à l'aise avec la gent féminine". Traits émaciés, crâne chauve, l'homme aujourd'hui âgé de 46 ans a pourtant eu plusieurs compagnes. 89 au total, il en a dressé la liste. "J'ai eu besoin de compter mes conquêtes, ce n'était pas que des infidélités", explique-t-il.

"J’étais quelqu'un qui était en proie à une addiction sexuelle qui m’a rendu détestable", reconnaît-il aujourd'hui.

Un accusé venu à 6 reprises

Jérôme V. est venu à six reprises chez les Pelicot, entre février et juin 2020, la faute à la période du Covid. Lui reconnaît être venu en toute connaissance de cause. À cette époque-là, il est célibataire, il échange beaucoup sur Internet, un espace où il dit vaincre sa timidité. "J'était complètement conscient pour la suite des rendez-vous, il y avait une part d’incapacité à dire non à Dominique Pelicot et une part de moi qui y retournait à cause de ma dépendance", se justifie-t-il, insistant sur son caractère "faible".

"J’ai peut-être plus de mal qu’une personne lambda à comprendre la souffrance de l’autre, à considérer la personne en face", se défend-il. L'accusé dit voir en ce procès "une évidence sur les bienfaits de pouvoir humaniser les parties civiles", une femme qu'il avait choséifié au profit de son plaisir. "Après avoir entendu le témoignage de Gisèle Pelicot, j'ai été très touché par son témoignage, par le petit bout de femme qu’elle est. Je me sentais encore plus mal d'avoir fait du mal à quelqu'un de pur". La concernée lève les yeux au ciel.

"C'est inadmissible"

Gisèle Pelicot assiste avec patience à ces déclarations. Le président de la cour criminelle l'a rappelé, la question centrale du procès est celle du consentement. Thierry Po., autre accusé, dit vouloir lancer une association pour "que les hommes comme moi comprennent qu’il faut avoir le consentement". "Je veux aller dans les clubs libertins et dire 'attention, attention', pour que ce qui est arrivé à Mme Pelicot n’arrive plus, c’est inadmissible." L'accusé, cheveux longs tenu par un fin serre-tête, parle de son "obsession" pour le consentement.

Une attitude qui tranche radicalement avec ses expériences passées. L'homme de 61 ans, père de trois enfants, est un adepte du libertinage. Il pratiquait "le triolisme, des échanges à 2 couples, 3 couples, les entrelacements avec des cordages." Jusque là rien d'illégal. Mais des images pédopornographiques ont été retrouvées chez lui. C'est aussi dans l'enceinte de la cour criminelle qu'il a découvert le terme "somnophilie". Pourtant, sa venue chez les Pelicot n'était pas sa première expérience.

"Avec ou sans nous, il y aurait une affaire"

"J’ai eu des rencontres avec des couples pour lesquels les maris ne sont pas là, la dame est endormie, elle ne veut pas me voir, décrit-il. Sur les trois expériences majeures que j’ai vécues, chaque fois les personnes sont endormies ou font semblant de dormir, je ne suis pas capable de savoir. Une fois la femme s’est réveillée, on a fini en triolisme. Les autres fois, je suis reparti sans avoir vu le visage de la dame." Des murmures s'élèvent dans la salle d'audience.

"Dans ce cadre libertin, j’étais enfermé dans ce fonctionnement", avance Thierry Po.

Pour Redouan E., pas question sur le consentement, le mari en est le détenteur. Cet infirmier, de formation anesthésiste réanimateur, en couple, pratiquait la masturbation quasi quotidiennement. "C’est pourquoi cette histoire ça m’a rendu fou", s'agace-t-il. Pour lui, le seul responsable est donc Dominique Pelicot. "Quand vous regardez le dossier, il a commencé à abuser de sa femme, bien avant de nous rencontrer", plaide-t-il.

"Notre présence ou notre absence n’aurait rien changé au drame de Mme Pelicot, s’il y avait pas lui, il y aurait cette affaire, s’il y avait pas nous, il y aurait quand même cette affaire."

Article original publié sur BFMTV.com