Au procès de Peter Cherif, la recherche de nouvelles clés sur l’attentat de « Charlie Hebdo »

Il est notamment soupçonné d’avoir « facilité l’intégration » de Chérif Kouachi, cadet des frères terroristes du 7 janvier 2015, au sein d’Al-Qaïda au Yémen.

Son nom apparaît dans plusieurs dossiers liés au terrorisme depuis les années 2000. Et notamment celui des attentats de janvier 2015. Peter Cherif, figure de la filière dite « des Buttes-Chaumont », est jugé à partir de ce lundi 16 septembre devant la cour d’assises spécialement composée pour association de malfaiteurs terroriste criminelle entre 2011 et 2018. Une qualification de mise en accusation vaste, qui doit s’arrêter sur une question : quel rôle a-t-il pu avoir dans l’attaque contre Charlie Hebdo ?

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Peter Cherif, âgé de 42 ans, avait eu une première occasion d’apporter des réponses le 23 octobre 2020. Ce jour-là, il est entendu comme témoin, en visioconférence depuis sa prison de région parisienne – où il est placé en détention provisoire dans le cadre d’une autre procédure –, au procès des attentats de janvier 2015, qui ont fait 17 morts. Mais, interrogé sur ses liens avec Chérif Kouachi, l’un des deux frères auteurs de la tuerie, il reste mutique pendant vingt minutes d’un silence pesant. « On m’a forcé à venir ici pour témoigner sur une affaire avec laquelle je n’ai rien à voir, je ne répondrai à aucune question », lance-t-il seulement, après avoir récité en arabe la sourate d’ouverture du Coran.

S’il n’est alors présent qu’en qualité de témoin, c’est parce qu’il a été arrêté trop tard pour être jugé aux côtés des autres accusés. Lorsqu’il est interpellé en 2018 à Djibouti, l’enquête sur les attentats de janvier 2015 est déjà close. Une procédure indépendante est cependant ouverte dans la foulée. Elle le conduit devant la justice ce lundi, où il encourt la perpétuité.

Le procès qui s’ouvre porte sur la période où le natif de Paris se trouvait au Yémen, au sein d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). Considéré comme un mentor pour les frères Kouachi, il a, selon les juges d’instruction, « facilité l’intégration » du cadet, Chérif, au sein de l’organisation terroriste. C’est au nom de celle-ci que les deux assaillants ont dit agir au moment des attaques.

Peter Cherif aurait notamment participé à l’organisation d’un voyage au Yémen de Chérif Kouachi et un autre Français, Salim Benghalem, relate Libération. Chérif Kouachi y aurait alors reçu pour mission de perpétrer un attentat contre Charlie Hebdo. Selon le témoignage d’un ancien membre d’Aqpa, Peter Cherif a joué l’intermédiaire entre les deux hommes et le chef de l’organisation, Anwar al-Awlaki – tué dans une frappe américaine en septembre 2011 –, qui leur aurait remis 20 000 dollars pour acheter des armes et du matériel et financer leur retour en France en vue de commettre un attentat. Ils auraient aussi bénéficié d’une formation « idéologique et militaire », poursuit le quotidien.

Des notes déclassifiées de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, publiées par Mediapart en 2017, font état des liens entretenus par Peter Cherif et Chérif Kouachi dans les années qui ont suivi ce voyage. Par téléphone ou par mail, comme cet échange de courriels localisé depuis un cybercafé de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), non loin du domicile de Kouachi. Pour les juges d’instruction, Peter Cherif avait « connaissance » de la « mission » confiée à Chérif Kouachi.

« Un intime du premier cercle des Kouachi »

La relation entre les deux hommes a commencé bien avant 2011 et le voyage au Yémen. Ils sont en fait amis d’enfance, tous deux ayant passé leur adolescence dans le 19e arrondissement de Paris, détaille Le Monde. C’est là qu’ils se radicalisent au contact du djihadiste (qui se qualifie désormais de « repenti ») Farid Benyettou. Ils sont tous deux condamnés (l’un en 2008 et l’autre en 2011) pour leur participation à la filière des Buttes-Chaumont, qui organisait l’envoi de djihadistes vers Al-Qaïda en Irak.

Peter Cherif était « un intime du premier cercle des Kouachi », avançait une source judiciaire auprès du Parisien en 2015, ajoutant à son sujet : « à l’exception de l’Afghanistan, il est passé par tous les théâtres de jihad ». Aussi connu sous le pseudonyme d’« Abou Hamza », Cherif est en effet arrêté une première fois fin 2004 à Falloujah, en Irak, alors qu’il combat dans les rangs d’Al-Qaïda. Il s’évade ensuite d’une prison irakienne en mars 2007 avant de rejoindre la Syrie. Expulsé et transféré en France début 2008, il y est incarcéré un temps avant de prendre la fuite vers le Yémen en mars 2011, au dernier jour de son procès à Paris, où il comparaissait libre. Condamné à cinq ans de prison pour avoir combattu en Irak, il fait immédiatement l’objet d’un mandat d’arrêt en vue de l’exécution de sa peine. Il sera donc interpellé sept ans plus tard.

Pièce manquante au procès de Charlie Hebdo, le témoignage de Peter Cherif – s’il accepte de parler – pourrait aussi faire la lumière sur la détention de trois Français, membres de l’ONG Triangle génération humanitaire, faits otages au Yémen entre mai et novembre 2011. Les humanitaires n’ont pas vu les traits de ce geôlier qu’ils appelaient « le Français » mais les descriptions qu’ils ont données ont mis les enquêteurs sur la piste de Cherif, comme le raconte Le Monde. Il est jugé pour enlèvement et séquestration en bande organisée dans cette affaire.

Au cours de ses interrogatoires, l’accusé a « oscillé entre silence et confidence », écrivait Libération en 2020. L’attentat de Charlie Hebdo, « c’est moche pour tout le monde », dit-il notamment. « On ne peut que condamner forcément, des gens ont souffert […] Je ne suis pas Charlie pour autant, parce que je reste musulman, mais les choses n’auraient pas dû en arriver là. » Acceptera-t-il d’en dire plus lors du procès prévu jusqu’au 4 octobre ? « Peter Cherif aura l’occasion, à travers ce procès, de dire sa vérité, a déclaré à l’AFP l’un de ses avocats, Me Sefen Guez Guez. Il sait que le procès Charlie Hebdo pèse lourd dans la balance mais il viendra porter une parole sincère. »

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