Au procès de Mazan, Gisèle Pélicot, droguée et violée, confie pour la première fois "le champ de ruines" en elle

"Quelle femme peut subir ça?" s’interroge Gisèle Pélicot au sujet de la centaine de viols qu’elle a subis au cours d’une décennie. Quelle femme peut avoir cette force, cette dignité et ce courage s’interroge en réponse tous ceux qui viennent d’entendre le témoignage que la septuagénaire –"72 ans au mois de décembre", précise-t-elle d’emblée– a livré ce jeudi 5 septembre devant la cour criminelle départementale du Vaucluse. La réponse vient de la principale intéressée: elle se voit comme "un boxeur qui tombe et se relève à chaque fois".

Pour la première fois depuis quatre ans et le placement en garde à vue de son mari le 2 novembre 2020, Gisèle Pélicot, cheveux auburn au carré, prend la parole. Ce procès, au cours duquel 51 hommes sont accusés de l'avoir violée alors qu'elle avait, au préalable, été droguée par son mari, elle l'a voulu public. Une décision prise au mois de mai dernier. Ce n'est "pas pour faire de la publicité, mais pour dénoncer la soumission chimique".

"Je le fais au nom de toutes ces femmes qui ne seront peut-être jamais reconnues comme victimes", poursuit la septuagénaire, dans sa robe orange couverte d'une chemise blanche, saluant à plusieurs reprises l'association de sa fille qui a créé l'association #M'endorsPas. "Pour moi, le mal est fait."

"Parcours du combattant"

D'une voix ferme, pendant près d'1h30, Gisèle Pélicot va livrer un récit détaillé de ces quatre années où son "monde s'est écroulé". "J'ai vécu un tsunami", souffle-t-elle quand les policiers lui présentent "une puis deux, puis trois" photos d'elle, "inerte, endormie et on est en train de me violer". 92 viols commis par des inconnus et une centaine par son mari ont été recensés.

"Pour moi, commence le parcours du combattant, celui d’une femme qui a tout perdu", confie-t-elle. "À ce moment-là, je n’ai plus d’identité."

Il faut prévenir ses trois enfants -elle évoque le "cri" de douleur de sa fille "gravée dans sa (ma) mémoire". Il faut déménager de la maison louée avec son mari pour leur retraite à Mazan. "Je me retrouve comme une gamine de 20 ans qui se retrouve à vivre chez ses enfants", déplore-t-elle. Elle vend ses meubles, ceux achetés avec son mari, elle garde ceux qu'elle s'est offert.

"J’ai eu besoin de fermer à clé cette maison, et de me dire que je ne reviendrai plus à Mazan", explique-t-elle évoquant ce geste symbolique de reconstruction. Elle ne pourra visionner les vidéos des "scènes de viol" qu'au mois de mai dernier.

"Aucune pitié"

Psychologiquement, Gisèle Pélicot est suivi -elle salue d'ailleurs le travail de ses praticiens. Médicalement, elle devra l'être toute sa vie. Les premières analyses réalisées en 2020 relèvent qu'elle est atteinte de quatre maladies sexuellement transmissibles. Elle a été exposée au VIH à six reprises. "J'ai été sacrifiée à l'autel du vice", dénonce-t-elle.

Au sujet des accusés, elle n'a "aucune pitié" pour ceux qui l'ont "souillée", pour ceux qui l'ont traitée comme un "sac poubelle, une poupée de chiffon". "Pourquoi ils ne sont pas allés au commissariat, même un coup de fil anonyme pouvait me sauver la vie. Pas un seul, pas un seul." Elle les appelle aujourd'hui "à reconnaître la responsabilité de leurs actes" alors que 35 d'entre eux ont nié toute intention de viol, d'autres évoquant le piège tendu par le mari.

Malgré les souffrances et la "barbarie" qu'elle a subies, Gisèle Pélicot n'aura aucun mot de colère. Même à l'encontre de Dominique Pélicot, son ancien mari, celui qui a gâché leur bonheur alors qu'"on avait tout pour être heureux, tout". Pendant la prise de parole de son ex-femme, l'homme baisse la tête, regarde le sol.

En septembre 2020, il lui admet une "bêtise" alors qu'il vient d'être arrêté pour avoir filmé sous la jupe de trois femmes dans un supermarché. "Pour cette fois je vais te pardonner, mais il n’y aura pas de prochaine fois", se souvient-elle de lui avoir dit à l'époque, affirmant avoir toujours été en "soutien". Si on l'avait averti en 2010, quand Dominique Pélicot a écopé d'une amende pour avoir déjà filmé sous la jupe de femmes, elle l'aurait soutenu, affirme-t-elle. Mais aujourd'hui, elle déplore avoir "perdu 10 ans de (sa) vie".

"Pas une seule fois, Monsieur Pélicot s’est dit que j’étais en danger", s'indigne-t-elle seulement alors qu'il est accusé de lui avoir administré à son insu pendant neuf ans un cocktail médicamenteux pour l'endormir avant d'inviter ces inconnus, lui causant des absences, lui faisant prendre des risques dans sa vie de tous les jours comme lorsqu'elle prenait la route.

"Un champ de ruines"

La septuagénaire a depuis pris ses distances. Elle se fait appeler Pélicot pour le procès, en soutien à ses enfants et ses petits-enfants qui portent ce nom. Elle a repris son nom de jeune fille. Lors de son témoignage, elle nomme "Monsieur Pélicot", l'homme dont elle est tombée "éperdument amoureuse", son "premier amour", l'homme avec qui elle a partagé sa vie pendant un demi-siècle. "Je ne comprends pas comment il a pu en arriver là", s'interroge-t-elle, toujours sans colère. "Je repars complètement à zéro. J’ai vendu mes meubles sur le Bon coin, je n’ai plus que ma retraite pour vivre. Je redémarre à zéro", résume-t-elle. La force dont elle fait preuve, Gisèle Pélicot pense la tenir de son histoire personnelle, de son passé. Elle a perdu sa mère jeune et a dû se charger de la maison. Et concernant son avenir? "Je n'ai pas vraiment de visibilité", reconnaît Gisèle Pélicot. D'ailleurs, elle admet ne pas savoir "combien de temps elle va tenir".

"La façade est solide, mais à l’intérieur je suis un champ de ruines", conclut Gisèle Pélicot.

Article original publié sur BFMTV.com