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Au procès des "Barjols", la défense s'en prend aux enquêteurs de la DGSI

Croquis d'audience réalisé le 17 janvier 2023 montrant des membres du collectif des Barjols devant le tribunal à Paris : Denis Collinet (C, en bas),  Jean-Pierre Bouyer (3eD) et Mickaël Iber (G, en haut) - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP
Croquis d'audience réalisé le 17 janvier 2023 montrant des membres du collectif des Barjols devant le tribunal à Paris : Denis Collinet (C, en bas), Jean-Pierre Bouyer (3eD) et Mickaël Iber (G, en haut) - Benoit PEYRUCQ © 2019 AFP

Des plans fixes sur les visages, un son assourdi, une lumière jaune et des bruits de frappe sur le clavier d'un ordinateur. Les auditions par les policiers de la DGSI de cinq des douze prévenus jugés dans le dossier "Barjols", ce groupe d'ultradroite soupçonné d'avoir voulu s'en prendre à des mosquées et des élus et d'avoir projeté l'assassinat d'Emmanuel Macron en 2018, ont été visionnés ce jeudi par la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Cette diffusion d'extraits, choisis par les avocats de ces prévenus, par la cour mais aussi par le parquet national anti-terroriste, a été faite à la demande de la défense. L'objectif est alors de démontrer que la retranscription à l'écrit des auditions, celle qui figure dans le dossier transmis aux parties, n'est que partielle et change la couleur des déclarations.

"Je vais quand même avoir un truc?"

La défense d'Antoine D. veut aussi montrer que le jeune homme, âgé de 22 ans lorsqu'il est interpellé le 6 novembre 2018, et atteint d'un handicap mental, a été orienté dans ses réponses. Son visage est le premier à apparaître sur l'écran de la salle du tribunal. Cheveux ras, t-shirt de sport bleu, il ne comprend pas ce qu'il fait là. Ses interrogations, aux premières heures de sa garde à vue, portent sur ses affaires saisies par les policiers et sur son sort à l'issue de la procédure judiciaire.

"Vu que c’était un truc grave (ce qu'on lui reproche, NDLR), même si j’ai rien fait, je vais quand même avoir un truc ou pas?", demande-t-il au policier qui l'interroge cet après-midi du 6 novembre 2018.

Soupçonné d'association de malfaiteurs terroriste, la garde à vue d'Antoine D. peut durer jusqu'à 96 heures. "J’ai pas envie d’être avec quelqu’un qui veut me tuer...", souffle-t-il à la manière d'un enfant lorsqu'on lui indique qu'il allait dormir en cellule ce soir-là. Pourtant, une bonne partie du dossier, notamment sur le volet portant sur le projet d'assassinat d'Emmanuel Macron, repose sur les déclarations du jeune homme.

"Je trouve ça absolument révoltant, scandaleux ce qu’il s’est passé. Je trouve ça révoltant qu’aucune observation n’ait été faite sur l’état de santé de ce gamin", lance Me Gabriel Duménil, qui le défend avec Me Lucile Collot.

De longues réflexions

Au premier jour de sa garde à vue, Antoine D. dit "n'avoir rien fait" et avoir fait 10 heures de route entre l'Isère et la Moselle aux côtés de Jean-Pierre Bouyer, l'ex-numéro 2 des "Barjols" pour venir "s'entraîner". Vingt-quatre heures plus tard, il assure n'avoir "aucune intention malsaine" et avoir "commencé à savoir la veille de son [mon] arrestation" ce que préparait Bouyer, Mickaël Iber et David Gasparini, avec qui il était le 5 novembre au soir. Pourtant, il ne cesse de l'affirmer au policier, et il l'a répété lors de son audition par le tribunal, "parce que les autres l'ont dit", il a dormi pendant cette soirée.

Des cibles ont elles été évoquées par ces trois hommes, demande l'enquêteur de la DGSI. "Ah si, ils voulaient se faire les centres d’Afghans, casser les Aghans. Je sais plus si y’avait autre chose, mais j’ai entendu ça. Les trucs d’assurance aussi", dit Antoine D., qui réfléchit longuement entre ses réponses, indiquant "chercher dans ses souvenirs". De lui-même, il n'évoque pas de projet d'assassinat du président de la République.

- "Nous vous informons d’un projet d’assassinat d’Emmanuel Macron avec un couteau en céramique...", lance le policier le 7 novembre 2018 dans l'après-midi. - "Ah ça, je peux pas vous dire...", répond de prime abord Antoine D..

Il ajoute: "Lors de la soirée, Jean-Pierre Bouyer était calme, il me disait rien".

Le lendemain, Antoine D. évoque le sentiment de "peur" que pouvait lui inspirer Jean-Pierre Bouyer, qu'il voyait, a-t-il dit pendant l'instruction comme un père. "Lui il voulait tuer le président, j’étais en désaccord", finit par déclarer après deux jours de garde à vue le jeune homme, une nouvelle fois questionné par le policier sur ce projet d'assassinat. Au fil des questions, Antoine D; explique un coup que les trois hommes "étaient à la tête du projet" ou, un autre coup, que c'est "Jean-Bouyer qui devait le tuer".

"Il y a un énorme problème de retranscriptions et un problème sur la manière dont les questions sont posées", regrette l'avocate de l'un des douze prévenus.

"Atterrés"

Me Olivia Ronen, l'avocate de Jean-Pierre Bouyer ne décolère pas non plus sur la manière dont la retranscription des auditions a été réalisée, évoquant par exemple "un échange de trois minutes résumé en deux phrases" dans le procès-verbal d'audition. "On était loin d’imaginer ce qu’on est en train de voir, jamais on aurait pu imaginer qu’il y avait un tel manque de sérieux de la part de la DGSI. On est tous atterrés par ce qu’on voit", abonde Me Fanny Vial, l'avocate de David Gasparini.

Tout a long de sa garde à vue, Jean-Pierre Bouyer reconnaît avoir évoqué l'idée d'un "couteau en céramique" pour ne pas se faire détecter. Il nie toutefois avoir eu l'intention de tuer le président de la République. "Je vais pas reconnaître ça, c’est pas possible, je veux pas aller jusqu’au meurtre", dit-il au policier qui l'interroge. Lors de sa quatrième audition le 9 novembre 2018, l'ancien numéro 2 des Barjols, qu'il avait quitté parce qu'ils étaient "trop mous", affirme avoir parlé sous la colère quand il évoquait sur les réseaux sociaux "son envie de tuer".

Puis, en toute dernière question, le policier l'interroge: "Oui ou non reconnaissez vous les faits qui vous sont reprochés, à savoir une association de malfaiteurs terroriste?". Jean-Pierre Bouyer nie. Puis plusieurs questions lui sont posées.

- "Vous alliez tuer quelqu'un?" - "On dit oui, c'est ça...", répond le gardé à vue visiblement lassé.

Un échange visible dans les images, mais retranscrit partiellement sur le PV d'audition.

Me Olivia Ronen a assuré réfléchir à une plainte pour faux en écriture.

Article original publié sur BFMTV.com