Au Louvre-Lens, une vaste exposition explore les liens entre exils et création

L'oeuvre "Here is my Heart" de l'artiste syrien Khaled Dawwa lors de l'exposition "Exils. Regard d'artistes" au musée Louvre-Lens, le 23 septembre 2024 à Lens, dans le Pas-de-Calais (DENIS CHARLET)
L'oeuvre "Here is my Heart" de l'artiste syrien Khaled Dawwa lors de l'exposition "Exils. Regard d'artistes" au musée Louvre-Lens, le 23 septembre 2024 à Lens, dans le Pas-de-Calais (DENIS CHARLET)

Un tableau de l'Arche de Noé fuyant le déluge, des ballots dans une charette tirée par une bicyclette: le musée du Louvre-Lens présente jusqu'au 20 janvier une vaste exposition qui explore les liens immémoriaux entre exils et création.

Intitulée "Exils, regards d'artistes", elle fait résonner quelques 200 oeuvres d'artistes classiques et contemporains sur la fuite, l'hospitalité, la traversée, et les différentes formes d'exils: intérieur, enfermé.

Adam et Eve chassés du Paradis, Ulysse et son retour sans cesse retardé, les guerres des XXe et XXIe siècles... l'exposition "traverse 5.000 ans d'humanité, et les civilisations", explique la conservatrice de l'exposition Dominique de Font-Réaulx à l'AFP.

Créé à la demande du Louvre, "Exils" s'appuie sur les textes fondateurs, Bible, Coran, mythologies antiques ou Ramayana (hindouisme), rappelle la conservatrice. "A distance de l'actualité" elle n'en fait pas moins écho aux questions actuelles.

Devant le musée, une barque sur laquelle s'entassent des silhouettes sans tête en bois calciné, comme une référence aux embarcations de fortune utilisées quotidiennement par des migrants sur les routes maritimes: cette oeuvre de l'artiste ivoirien Jems Koko Bi évoque "la question du déplacement forcé et de l'exil, violent et souvent dangereux".

Gustave Courbet réfugié en Suisse, Victor Hugo à Jersey, Edouard Manet peignant l'évasion par la mer du journaliste Henri Rochefort, condamné au bagne pour son rôle dans la Commune, mais aussi Chagall, Picasso, Matisse... "Cette exposition permet de découvrir sous un angle différent" des artistes majeurs, souligne la conservatrice.

"Les humains se déplacent, et l'exil est parfois une condamnation, mais toujours aussi une aspiration", ajoute Mme de Font-Réaulx, citant le philosophe Etienne Tassin.

Dans l'Arche de Noé de Bassano (XVIe siècle), des hommes et des femmes rassemblent des bêtes, emballent leurs possessions.

"C'est le premier exil climatique, et on peut y être sensible avec ce qui s'est passé l'hiver dernier dans le département" du Pas-de-Calais, où des inondations ont obligé des centaines de familles à quitter leur foyer, explique Mme de Font-Réaulx.

- "Entre deux cultures" -

La maquette géante d'une rue dévastée, oeuvre du Syrien Khaled Dawwa prêtée par le Mucem de Marseille, raconte le sort de la Ghouta, quartier de Damas repris par le régime en 2018 après des années de combats contre des insurgés, qui ont entraîné des exodes massifs.

"C'est une rue résidentielle, cela pourrait être à Kharkiv, à Gaza, au Liban", explique la conservatrice.

Le musée présente aussi une installation du Gazaoui Taysir Batniji, une valise ouverte avec deux monticules de sable, représentant cet artiste vivant en France "entre deux cultures".

"Exils" évoque les tragédies liées aux migrations clandestines contemporaines. A l'entrée, un origami de bateau enfantin fait avec le tract d'une ONG, souligne les dangers de la traversée de la Méditerranée vers l'Europe.

Au moins 1.116 candidats à l'exil y sont morts ou disparus depuis le début de l'année, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui a recensé plus de 17.000 morts et disparus depuis 2014.

Le poète et vidéaste, Frank Smith, plante des objets sur une plage de Calais et filme le vent, symbole du "souffle qui est la vie", sur cette frontière où 46 personnes ont aussi péri cette année en tentant de gagner l'Angleterre.

"The new world's climax III", du Camerounais Barthélémy Toguo (2001) montre des bustes géants, en réalité des tampons administratifs - "transit sans arrêt", "annulé", "visas".

L'exposition met aussi à l'honneur des immigrés du bassin minier: une galérie présente de la vaisselle, des napperons ou maillots de foot de leur pays d'origine, prêtés par des habitants dont certains témoignent en français, arabe, wolof ou ukrainien.

Côté scénographie, chacun est invité à choisir son propre itinéraire. Au centre, un ilot propose aux visiteurs "un espace de liberté, de repos" face aux "multiples chemins de l'exil".

Selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 117 millions de personnes ont été déplacées par la force à travers le monde en 2023 en raison de persécutions, conflits, violences, violations de droits humains ou d'événements troublant l'ordre public.

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