Attention aux rumeurs sur un nuage de dioxyde de soufre "toxique" à la suite de l'éruption en Islande

A la suite d'une éruption volcanique en Islande, plusieurs pays d'Europe ont été survolés par un nuage de dioxyde de soufre, quasi invisible et sans risque pour la santé. Ce dernier a suscité des interrogations et un déversement de rumeurs trompeuses sur les réseaux sociaux, certaines prétendant que le nuage serait dangereux, d'autres assurant que cette éruption remettrait en cause la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique. Mais ces allégations sont fausses : les concentrations de dioxyde de soufre mesurées en Europe ces derniers jours étaient bien en dessous des seuils qui les classeraient comme dangereuses, et les émissions de gaz à effet de serre liées aux éruptions des volcans au niveau mondial restent largement inférieures à celles causées par les activités humaines.

Jeudi 22 août, un volcan est entré en éruption sur la péninsule de Reykjanes, dans le sud-ouest de l'Islande, marquant la sixième éruption dans la région depuis décembre (lien archivé ici).

Jusqu'en mars 2021, cette péninsule n'avait pas connu d'éruption depuis huit siècles. D'autres ont eu lieu en août 2022, puis en juillet et décembre 2023, ce qui a conduit les volcanologues à avertir qu'une nouvelle ère d'activité sismique avait commencé dans la région.

Outre des coulées de lave en Islande, qui abrite 33 systèmes volcaniques actifs, plus que dans tout autre pays européen, l'éruption a engendré des émissions de gaz, dont du dioxyde de soufre (SO2) qui a été transporté par les vents dans les jours qui ont suivi (lien archivé ici).

Le passage de ce nuage au-dessus de pays européens a aussi propulsé une série d'affirmations fausses ou trompeuses sur les réseaux sociaux : certains ont assuré que les émissions de gaz liées à l'éruption seraient dangereuses pour la santé humaine, tandis que d'autres ont prétendu qu'elles seraient plus néfastes pour le climat que le CO2 produit par les activités humaines. L'AFP fait le point sur ces rumeurs.

<span>Photo prise dans la nuit du 22 au 23 août 2024 montrant de la lave et de la fumée en éruption d’un volcan près de Grindavik sur la péninsule islandaise de Reykjanes</span><div><span>Ael Kermarec</span><span>AFP</span></div>
Photo prise dans la nuit du 22 au 23 août 2024 montrant de la lave et de la fumée en éruption d’un volcan près de Grindavik sur la péninsule islandaise de Reykjanes
Ael KermarecAFP

Pas de nuage "toxique" caché par les autorités

Certains internautes se sont inquiétés, voir insurgés, en assurant que des recommandations différentes auraient été diffusées par les autorités et les médias au Royaume-Uni et en France, alors que les deux pays auraient été survolés par un nuage de dioxyde de soufre à partir de dimanche soir.

"En Grande-Bretagne, ils ont dit aux habitants de rester chez eux car ce nuage de SO2 est toxique. Nous, les Français, on doit respirer le nuage et remarquer que ça pue le soufre", s'insurge par exemple une publication partagée plus de 500 fois sur X depuis le 25 août.

Un autre message collectant plus de 2.000 partages a suggéré que les médias français n'avaient pas parlé du nuage et manqué d'avertir la population d'un danger potentiel, tandis qu'un autre a mentionné un "nuage de gaz corrosif et acide", "qui peut causer d'énormes et graves problèmes de santé".

<span>Capture d'écran prise sur X le 28/08/2024</span>
Capture d'écran prise sur X le 28/08/2024

Le dioxyde de soufre (lien archivé ici) est un gaz incolore "dit acide", reconnaissable à une "odeur d'allumette", détaille Patrick Allard, chercheur émérite du CNRS à l'Institut de physique du globe de Paris, le 28 août auprès de l'AFP. Il peut être produit par la combustion de pétrole ou de charbon, et est aussi "un constituant caractéristique des gaz magmatiques émis lors des éruptions volcaniques", selon le spécialiste.

Le SO2 "reste inoffensif à des concentrations de quelques ppmv (partie pour million en volume, 1 ppmv de SO2 = 2663 µg/m3) mais commence à produire des irritations (cutanées, oculaires, pulmonaires) au-delà de plusieurs dizaines de ppm, puis devient rapidement mortel à partir de 1.400 ppm", explique le chercheur.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à 40 µg/m3 la limite de concentration dans l'air sur 24h (lien archivé ici). La directive européenne sur la qualité de l'air datant de 2008 précise aussi que la concentration de SO2 doit se trouver sous 350 µg/m3 pour une heure (lien archivé ).

"Dans le cas de l'éruption islandaise en cours depuis le 22 août, plus de 20 millions de m3 de magma ont déjà été émis, à un taux extrêmement élevé au début (de l'ordre de 1500 m3/seconde). Bien que ce magma ne soit pas anormalement riche en soufre, cela a vite engendré de fortes émissions de SO2 (et d'autres gaz tels que H2O, CO2, HCl, etc.)", développe Patrick Allard.

Un nuage de dioxyde de soufre a pu se former à partir de ces émissions, s'élever dans l'atmosphère et circuler jusqu'à d'autres pays, du fait des conditions météorologiques et de l'action des vents. Au cours de ces phénomènes, communs après des éruptions volcaniques, la concentration de SO2 décroît néanmoins, relève le spécialiste.

Par ailleurs, les émissions de SO2 liées à une éruption sont plus importantes à son commencement et se réduisent par la suite, précise Evgenia Ilyinskaya, docteure en volcanologie et professeure associée à l'université de Leeds, au Royaume-Uni, auprès de l'AFP le 28 août 2024.

Il existe plusieurs façons de mesurer les concentrations des nuages de SO2 et tenter de prévoir leurs trajectoires et impacts potentiels sur les pays, qui présentent "chacune des avantages et des inconvénients", relève la volcanologue.

Les mesures réalisées par satellites permettent par exemple d'observer le déplacement réel des nuages, mais sans déterminer si le SO2 atteint la surface de la Terre ; tandis que celles des stations terrestres enregistrent la concentration de particules ayant effectivement touché la Terre, mais seulement à des moments définis. Les modélisations créées à partir de données satellites permettent de réaliser des prévisions du déplacement des nuages, pour anticiper les concentrations potentielles, mais sont exposées à l'imprévisibilité de certains facteurs comme les vents.

Il est ainsi d'autant plus important de "faire attention aux méthodes de mesures utilisées" lorsque l'on observe des données, et surtout de "s'appuyer sur des sources fiables et officielles", souligne la spécialiste.

Le 27 août, l'observatoire européen sur le climat Copernicus a indiqué que l'Europe avait été survolée par un vaste nuage de dioxyde de soufre, quasi-invisible et sans risque pour la santé, en s'appuyant sur des modélisations et prévisions réalisées à partir de données satellites (lien archivé ici).

Selon ces dernières, les concentrations les plus importantes de SO2 se trouvaient principalement entre "5 et 8 km d'altitude dans l'atmosphère", mais "des prévisions et des mesures à la surface ont aussi montré des augmentations des concentrations de SO2 (jusqu'à 20 μg/m3) au niveau du sol".

D'après Copernicus, "les taux mesurés et prévus" étaient tous restés "en dessous des limites de 350 μg/m3 (pour une heure) fixées par les standards européens sur la qualité de l'air", ce qui fait qu'ils n'ont pu avoir "aucun impact majeur sur la qualité de l'air ou sur la santé".

Un outil de visualisation disponible sur le site de Copernicus permet de consulter l'évolution des concentrations de ce gaz, à plusieurs altitudes, à des dates spécifiques. Sur la période de 24 au 28 août, on peut observer les prévisions de passage de ce nuage, d'abord sur le Royaume-Uni à partir de samedi soir, puis sur d'autres pays du continent européen (lien archivé ici).

C'est à partir de ces dernières, Copernicus avait communiqué sur la possibilité que le nuage survole des pays européens dans les jours suivant l'éruption, soulignant que le nuage serait de toute façon "quasi-invisible et sans risque pour la santé".

Contrairement à ce qui est prétendu par certains internautes, plusieurs médias français (1, 2, 3,... - liens archivés ici, ici et ) avaient aussi communiqué sur le sujet.

Certains, comme Franceinfo (lien archivé ici) ou TF1 (lien archivé ) s'étaient même penchés sur des rumeurs trompeuses circulant sur les réseaux sociaux sur le passage du nuage de SO2.

"Pas d'impact significatif sur l'air respiré en France"

Par ailleurs, Météo-France a indiqué à l'AFP le 28 août que les "observations satellitaires disponibles depuis cette éruption ne confirment pas cette prévision" du passage du nuage sur toute la France.

"Différents instruments à bord de satellites ont montré que ce panache de SO2 avait circulé en altitude (entre 4 et 7 km d'altitude) au-dessus des îles Britanniques le 24 août, et se trouvait au large de la Norvège le 25 août 2024. Des quantités très faibles ont également été détectées à haute altitude sur le Nord de la France et le Benelux le dimanche 25 août", a-t-elle précisé.

Le lundi 26 août, "le nuage se trouvait au large de la Norvège le lundi 26 août, et aucune présence significative de SO2 n'était en revanche détectée sur l'Hexagone par les instruments satellitaires. Le mardi 27 août, ces mêmes observations ont montré une quasi disparition du nuage sur le Nord de l'Europe : les restes du nuage se décèlent à peine sur la mer de Norvège et sur la péninsule scandinave, à des quantités extrêmement faibles et des altitudes de 5-6 km", développe Météo-France, renvoyant vers des données satellites rassemblées sur le site du Support to Aviation Control Service (SACS), pour le 26 et 27 août (liens archivés ici et ).

Par ailleurs, la plate-forme nationale de prévision de la qualité de l'air en France Prev'air (lien archivé ici), gérée par l'Ineris, en partenariat avec Météo-France, le CNRS et le Laboratoire central de surveillance de la qualité de l'air (LCSQA), qui permet notamment de suivre la qualité de l'air ambiant, a confirmé "l'absence de présence significative de SO2 au niveau du sol en France durant tout l'épisode : l'éruption du volcan islandais n'a donc pas eu d'impact significatif sur l'air respiré en France", souligne Météo-France.

Des données jour par jour sur la qualité de l'air en France observable sur la plateforme Geod'air, opérée par l'Ineris au titre du LCSQA, permettent aussi de constater que les seuils de SO2 n'ont été dépassés sur aucune station de mesure en métropole depuis l'éruption jusqu'au 29 août 2024 (lien archivé ici).

Les trois spécialistes des volcans interrogés par l'AFP ont confirmé que le nuage qui a pu traverser des pays européens n'était pas dangereux pour les humains.

"La dangerosité reste très faible pour les Européens. Les Islandais qui vivent près du volcan continuent les activités journalières comme auparavant malgré l'éruption et grâce à la faible émission du gaz volcanique. Néanmoins, il est recommandé pour les personnes affectées par des maladies respiratoires de faire attention dès que le vent ramène le panache éruptif vers leur habitation", précise Olgeir Sigmarsson, chercheur du CNRS au Laboratoire magmas et volcans (lien archivé ici), à l'AFP le 29 août.

Ce n'est par ailleurs pas la première fois que l'Europe ou la France sont survolées par des nuages contenant du dioxyde de soufre liés à des éruptions volcaniques. Ces derniers ne présentent en général pas de dangers sanitaires pour les populations.

"En septembre 2021, le volcan Cumbre Vieja, situé aux Canaries (Espagne), était entré en éruption, émettant notamment un nuage chargé en dioxyde de soufre (SO2)", rappelle Météo-France, précisant que "là encore, les simulations avaient montré que le panache de SO2 était resté localisé en altitude, et que les concentrations au niveau du sol n'avaient pas été particulièrement affectées par l'éruption volcanique" (lien archivé ici).

<span>Le Cumbre Vieja entre en éruption à El Paso, sur les îles Canaries espagnoles, éjectant des colonnes de fumée, de cendre et de lave, vu depuis Los Llanos de Aridane sur l’île de La Palma le 19 septembre 2021</span><div><span>DESIREE MARTIN</span><span>AFP</span></div>
Le Cumbre Vieja entre en éruption à El Paso, sur les îles Canaries espagnoles, éjectant des colonnes de fumée, de cendre et de lave, vu depuis Los Llanos de Aridane sur l’île de La Palma le 19 septembre 2021
DESIREE MARTINAFP

Les activités humaines responsables du réchauffement climatique

D'autres internautes ont aussi profité de cette éruption pour exhumer des prétendus arguments, déjà démentis par les données et les spécialistes, assurant que les émissions de gaz liées aux volcans seraient bien plus néfastes pour le climat que les émissions de CO2 causées par les humains.

Pourtant, comme l'a rappelé Météo-France, "il est faux d'affirmer [que les émissions de SO2 liées aux volcans] sont plus néfastes pour le climat que les émissions de CO2 liées aux activités industrielles des hommes".

<div><span>Claire-Line NASS</span></div>
Claire-Line NASS

Seules des émissions de gaz liées à des éruptions de très grande ampleur peuvent atteindre la stratosphère (deuxième couche de l'atmosphère depuis la Terre, après la troposphère), et ainsi affecter le climat, rappelle Evgenia Ilyinskaya. Dans ce cas, les gaz dans la stratosphère forment une sorte de "couverture autour de la Terre", ce qui entraîne des phénomènes de "refroidissement de la Terre", à très court terme (une ou deux années), développe la spécialiste.

Mais l'éruption actuelle en Islande est d'ampleur bien moindre, ce qui fait que "les gaz n'ont pas dépassé la troposphère", ajoute-t-elle.

Une éruption d'ampleur, "fin de 18e siècle, du volcan Laki en Islande, a émis 15 km cube du lave et environ 100 teragramme (mégatonnes) de SO2, ce qui a eu des effets environnementaux en Europe (baisse de température d'environ un degré), mais la magnitude de l'éruption actuelle est que d'environ 0,015 km3 donc mille fois plus petite que celle du Laki", ajoute aussi Olgeir Sigmarsson.

"C'est bien l'Homme qui réchauffe le climat, pas les volcans", conclut Patrick Allard.

Comme l'avaient déjà rappelé des chercheurs dans cet article de l'AFP de 2023, les émissions annuelles de dioxyde de carbone liées à l'ensemble des volcans sur le Terre sont bien inférieures aux émissions anthropiques (produites par les humains) sur une année.

Les spécialistes interrogés à l'époque par l'AFP s'appuyaient sur les chiffres du Deep Carbon Observatory (DCO), une équipe de 500 scientifiques spécialisés sur les émissions de CO2 sur terre et qui détaille la façon dont le carbone est stocké, émis et réabsorbé lors de processus naturels ou humains (lien archivé ici).

Dans une série d'études publiées dans la revue Elements en 2019, le DCO expliquait que les volcans participent bien aux émissions de CO2 à l'échelle mondiale, mais précise que leur responsabilité dans le dérèglement climatique est bien moindre que les émissions anthropiques.

Les émissions de CO2 relâchées chaque année par les volcans (endormis et en éruption) tournent en effet autour de 0,28 à 0,36 gigatonnes en moyenne par an, selon le DCO.

Des estimations plus basses, figurant dans un autre article de recherches publié en 2019 qui se concentre sur la période allant de 2005 à 2015, mentionnent de 0,05 à 0,36 gigatonnes de CO2 en moyenne par an (lien archivé ici).

De leur côté, les activités humaines (transport, industrie, agriculture, chauffage, etc.) ont émis 40,6 gigatonnes de CO2 pour l'année 2022 selon le Global Carbon project (lien archivé ici) - soit plus de 100 fois plus que les émissions liées aux volcans.

<span>Emissions de CO2 : humains vs. volcans, selon les données du Deep Carbon Observatory </span><div><span>Julia Han JANICKI</span><span>Valentina BRESCHI</span><span>AFP</span></div>
Emissions de CO2 : humains vs. volcans, selon les données du Deep Carbon Observatory
Julia Han JANICKIValentina BRESCHIAFP

Les émissions de CO2 volcaniques représentent ainsi "moins de 1% des émissions de CO2 des activités humaines", résumait ainsi Sébastien Guilletpaléo-climatologue à l'Institut des sciences de l'environnement de l'université de Genève début juillet auprès de l'AFP.

"Il est donc incorrect d'affirmer que les émissions de CO2 liées aux éruptions volcaniques ont un impact plus important sur le réchauffement climatique que les émissions d'origine humaine", explicitait-il.

"Les climato-sceptiques se jettent sur les volcans en les considérant comme possible plus gros émetteur de CO2, mais ce n'est tout simplement pas le cas", avait déjà déploré (lien archivé ici) Marie Edmonds, directrice de recherches au département des sciences de la terre à l'Université de Cambridge, lors de la sortie de l'étude du Deep Carbon observatory dont elle est co-autrice, auprès de l'AFP.