Attention, cet homme menaçant de bombarder l'Algérie n'est pas un militaire français

Les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie, historiquement tumultueuses, connaissent dernièrement de nouveaux remous. Au cœur de la friture sur la ligne entre Paris et Alger: la polémique autour de certains influenceurs algériens, que des appels à la violence sur les réseaux sociaux ont placés dans le viseur de la justice française. C'est dans ce contexte de crise que des publications largement diffusées sur Facebook affirment qu’un “haut gradé” de l’armée française a proposé d’envoyer la bombe nucléaire sur l’Algérie. Cette affirmation s'appuie sur la vidéo d’un homme en tenue militaire, qui menace en français l'Algérie et assure avoir échangé à ce sujet avec le roi du Maroc. En réalité, cet homme n’appartient pas à l’armée française, ni à aucune haute instance officielle marocaine.

"Un très haut gradé de l’armée coloniale française, après avoir échangé avec son altesse du Maroc, déclare qu’il faut bombarder l’Algérie avec bombe nucléaire" (sic) : voici la description qui accompagne une vidéo de 5 minutes partagée début janvier sur Facebook par différentes pages, affichant pour beaucoup leur soutien à l’AES (Alliance des Etats du Sahel).

Dans l’extrait, on voit un homme en tenue militaire s’exprimer longuement en français. L’homme, qui prétend lui être "le porte-parole du Roi” du Maroc et avoir "discuté avec lui ce dimanche", reconnait qu’il “menace l’Algérie”.

Je pense que la meilleure solution est un bombardement atomique de l’Algérie, en particulier sur le centre de sous-marins de Mers-El-Kébir, construit par la France et actuellement occupé par la Russie, et qui constitue une menace pour la France", martèle celui qui n'affirme pas clairement dans la vidéo appartenir à l'armée française. Selon lui, cette décision aurait été motivée par le fait que “l’Algérie a coupé le gaz à la France” et le fait que “l'Algérie et la Russie nous ont déclaré la guerre”.

<span>Capture d'écran Facebook effectuée le 15 janvier 2025</span>
Capture d'écran Facebook effectuée le 15 janvier 2025

Le reste de l’extrait contient une suite de propos décousus, notamment sur l’approvisionnement du gaz et son prix en France, l’OTAN et la gestion de la guerre en Ukraine, le positionnement de l’Union européenne.

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La vidéo, largement partagée, cumule plus de 50.000 vues en trois publications (1, 2, 3). Elle est notamment reprise sérieusement par le média en ligne Télé Mali ou des pages comme “Conseil de l’AES”, qui affirment toutes que l’homme présent dans la vidéo est “un très haut gradé de l’armée coloniale française”.

Or, il n’en est rien.

Pas membre des Armées françaises

L’homme qui s’exprime dans la vidéo porte une tenue militaire, sur laquelle est brodé le nom de "Treffainguy". En tapant ce nom dans Google et en s’appuyant sur des photos, on retrouve son identité complète : il s’agit de Pascal Treffainguy.

Dans aucune recherche son nom n’apparaît lié à une quelconque fonction militaire française. En revanche, son nom ressort dans cet article de la presse brésilienne, qui affirme que M. Treffainguy est soupçonné d’une vaste escroquerie s'élevant à un million de Réals brésiliens (environ 160.000 euros).

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Contactée afin de savoir si Pascal Treffainguy occupait un poste à responsabilité en son sein, l’Armée française a indiqué à l’AFP que ce n’était pas le cas, précisant qu'il n'appartenait pas à l’Armée tout court.

"Pascal Treffainguy n’est pas du tout quelqu’un de chez nous, ce n’est pas un militaire français", a ainsi affirmé le colonel Guillaume Vernet, porte-parole du chef d’Etat major des Armées françaises. Ce n’est “pas la première fois que nous sommes contactés à propos de cette personne”, ajoute-t-il, qualifiant M. Treffainguy “d’escroc notoire”.

Pour lui, la vidéo reprise dans les publications de Télé Mali et du Conseil de l’AES “tient du canular”. Il pointe notamment le fait que l’uniforme porté par M. Treffainguy n’est “pas du tout un uniforme de l’armée française" et s'apparente plutôt à un costume mimant les tenues de camouflage.

En épluchant les liens relatifs à l'habillement (Armée de Terre, Armée de l'Air et de l'Espace, Marine nationale et Services interarmées) fournis à l'AFP par le service de presse du ministère des Armées, on se rend compte que l'uniforme ressemble de loin soit aux tenues de camouflage de l'armée de Terre, soit aux tenues d'exercice et de manoeuvre des Services interarmées. Mais plusieurs détails clochent.

Premier indice flagrant: l'insigne rouge et blanc sur le bras, qui ressemble à un symbole d'aide médicale ou à un drapeau suisse. Aucun militaire français ne porterait ce genre de signes d'appartenance à un autre pays. Et l'écusson ne correspond pas non plus à l'insigne du régiment médical de l'armée de Terre (RMED), ni à celui du Service de santé des Armées (SSA). De plus, l'uniforme porté par M. Treffainguy ne présente aucun écusson relatif au grade ou à l'affectation normalement utilisé au sein du Service de santé des Armées.

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Ensuite, l'insigne à cinq bandes blanches verticales sur fond noir, cousu sur l'épaule. Par son nombre de galons (5), il pourrait s'apparenter aux insignes des colonels, mais le design général de l'écusson (orientation des bandes, espacement, taille) ne correspond pas. Aucune trace non plus de cet insigne dans les pages consacrées à la France sur l'encyclopédie en ligne Uniforminsignia, où des férus de culture militaire recensent les insignes de chaque pays.

Enfin, le béret, qui pourrait correspondre à celui porté par certains corps, ne présente aucun insigne. Normalement, chaque militaire français doit porter un "insigne d'arme situé à droite du béret" afin de "distinguer les différentes unités", explique le ministère des Armées dans un article et une vidéo consacrés au port du béret.

Pas de fonctions officielles au Maroc

Concernant le fait que l’homme présenté dans la vidéo serait “porte-parole du Roi du Maroc”, cette affirmation se révèle elle aussi fausse. Et pour cause : "le poste de porte-parole du roi n’existe pas au Maroc", a indiqué à AFP Factuel le bureau de l’AFP à Rabat. M. Treffainguy n’occupe pas non plus de poste officiel approchant.

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Il existe en effet un poste de porte-parole du Palais Royal, mais celui-ci est occupé depuis 2012 par l’historiographe du Royaume Abdelhak Lamrini, précise le bureau de l'AFP à Rabat. Quant au porte-parole du gouvernement marocain, il s’agit depuis octobre 2024 de Mustapha Baitas. Il est ministre délégué auprès du Chef du gouvernement, chargé des relations avec le Parlement.

Aucune recherche en ligne sur des sites officiels liés au Palais ou au gouvernement marocain ne fait non plus mention de M. Treffainguy. Contactée par l’AFP, l’ambassade de France au Maroc a indiqué qu’elle n’avait “jamais entendu parler de Pascal Treffainguy”.

Sur ses réseaux sociaux, M. Treffainguy se présente comme “écrivain et conférencier”, à cheval sur la France, le Luxembourg et le Maroc, sans mention d’une quelconque fonction officielle. Il a en effet écrit plusieurs livres auto-édités autour de l’ésotérisme et du reiki, sous son nom complet “Pascal Kolber Treffainguy”. C’est sous ce nom de Kolber - plus usité au Luxembourg où il l’a acquis par adoption - qu’il a été mis en examen pour meurtre, condamné à perpétuité, puis finalement acquitté en appel.

Les propos qu’il tient ne reflètent donc ni la position du Roi du Maroc ni celle des Armées françaises.

Contexte tendu

Les pages partageant la vidéo de Pascal Treffainguy en le présentant comme un “haut gradé de l’armée française” soutiennent pour beaucoup l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Ce genre de pages véhiculent régulièrement des informations ou intox (1, 2, 3) visant à stimuler le ressentiment à l’égard de la France et de son armée. Les pays membres de l’AES – Mali, Niger, Burkina Faso – ont en effet tourné le dos à la France ces dernières années, depuis qu'ils sont dirigés par des régimes militaires issus de coups d’Etat.

La diffusion de cette vidéo vient mettre de l’huile sur le feu au moment où le torchon brûle déjà entre Alger et Paris, notamment autour de la question de certains influenceurs algériens.

Cinq influenceurs Algériens et une Franco-algérienne ont été récemment interpellés en France pour avoir mis en ligne des contenus appelant à des actes violents et des propos haineux, souvent à l'encontre d'opposants au régime algérien.

Cas le plus emblématique : l’influenceur surnommé Doualemn, arrêté à Montpellier (Hérault), s'est vu retirer son titre de séjour, avant d'être expulsé pour l'Algérie. Les autorités françaises lui reprochent "un appel à la torture contre un opposant au régime actuel en Algérie" dans une vidéo TikTok.  Mais Alger l’a finalement renvoyé en France.

Cet épisode a suscité la colère du ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, qui a accusé Alger de chercher à "humilier la France". Dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères lui a rétorqué que "l’Algérie n’est, d’aucune façon, engagée dans une logique d’escalade, de surenchère ou d’humiliation". Alger a en revanche accusé "l’extrême droite revancharde et haineuse, ainsi que ses hérauts patentés au sein du gouvernement français”, de mener “une campagne de désinformation, voire de mystification, contre l’Algérie", via cette “expulsion arbitraire et abusive”.

Selon plusieurs opposants algériens en France interrogés par l'AFP, les messages particulièrement violents d’influenceurs algériens se sont intensifiés après que la France a changé de doctrine sur le Sahara occidental.

Cette ex-colonie espagnole au statut non défini à l'ONU est le théâtre d'un conflit depuis un demi-siècle entre le Maroc et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.

Emmanuel Macron s'est aligné fin juillet sur l'Espagne et les Etats-Unis, estimant que l'avenir du Sahara occidental s'inscrivait "dans le cadre de la souveraineté marocaine". Ce qui a causé un réchauffement avec Rabat et une nouvelle crise avec Alger, qui n'entretient plus de relations diplomatiques avec son voisin depuis août 2021.