Attention à ces publications affirmant que "159 pays" ont rejoint "le système de paiement" des Brics

Le groupe des Brics, qui rassemble actuellement dix pays considérés comme émergents, dont la Russie et la Chine, organise son 16e sommet du 22 au 24 octobre 2024 dans la ville russe de Kazan. Pour réduire l'influence du dollar sur leurs économies et ne plus dépendre du système international de messagerie bancaire et financière SWIFT, ils travaillent à développer un système financier propre, BRICS Pay. C'est dans ce contexte que plusieurs médias ont affirmé mi-août 2024 que "159 pays" avaient adopté "le système de paiement des Brics". Mais il s'agit d'une déformation des propos d'une responsable russe, qui évoquait 159 "participants", et non "pays". De plus, elle parlait non pas de BRICS Pay mais d'un autre système, développé par la Russie, le SPFS. Si RT a ensuite retiré son article, cette fausse information est devenue virale sur les réseaux sociaux. Un porte-parole de BRICS Pay a en outre expliqué à l'AFP que le développement de ce système sera très progressif.

Initialement composé en 2009 du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine, rejoints par l'Afrique du Sud en 2011, le groupe des Brics est devenu celui des Brics+ en s'élargissant en juillet 2023 à cinq nouveaux membres : l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l'Iran, l'Egypte et l'Ethiopie (archive). Objectif : affirmer leur poids sur la scène internationale, tant aux niveaux économique que diplomatique.

La Turquie, Etat membre de l'Otan aux relations parfois tendues avec ses alliés occidentaux, a annoncé début septembre 2024 avoir soumis une demande d'adhésion au bloc (archive).

Les Brics tiendront leur 16e sommet annuel du 22 au 24 octobre en Russie, dans la ville de Kazan (ouest). L'occasion d'un tête-à-tête souhaité par le président russe Vladimir Poutine avec son homologue chinois Xi Jinping, alors que les deux hommes sont de proches partenaires et se sont rencontrés à de multiples reprises depuis des années pour afficher "l'amitié sans limite" entre leurs deux pays, qui s'est encore renforcée depuis l'offensive russe en Ukraine (archive).

Moscou et Pékin dénoncent aussi ensemble généralement ce qu'ils considèrent comme l'hégémonie américaine sur les affaires internationales.

<span>Le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine lors du Forum de coopération de "la Ceinture et la Route" à Pékin le 18 octobre 2023</span><div><span>PEDRO PARDO</span><span>AFP</span></div>
Le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine lors du Forum de coopération de "la Ceinture et la Route" à Pékin le 18 octobre 2023
PEDRO PARDOAFP

Avec les sanctions internationales prises à l'encontre la Russie dans le sillage de son invasion de l'Ukraine en février 2022, l'Union européenne a exclu au printemps 2022 plusieurs banques russes du système international de messagerie bancaire et financière SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), utilisé par exemple pour passer des ordres dans le cadre de transactions financières (archives 1, 2).

La Russie s'efforce mettre en place ses propres infrastructures financières, que ce soit pour les paiements (cartes "Mir", voulues comme l'équivalent de Visa et Mastercard) ou les transferts, via un système baptisé SPFS (archive). Et la Chine a développé un système de paiements interbancaires transfrontaliers en yuan, le China International Payment Service (CIPS - archive).

Parallèlement, les cinq pays membres originels des Brics travaillent à construire une plateforme financière internationale, BRICS Pay, que pourront utiliser les pays membres des Brics+ (archive).

Dans ce contexte, de multiples publications circulent sur les réseaux sociaux depuis mi-août 2024 pour affirmer que "159 pays s'apprêtent à adopter le système de paiement des BRICS", en français sur Facebook et X, mais aussi en chinois, en anglais, en grec, en roumain, en bulgare, en allemand ou bien encore en slovaque. Des vidéos vues plusieurs milliers de fois circulent également.

<span>Capture d'écran, réalisée le 10 septembre 2024, d'une publication sur Facebook </span>
Capture d'écran, réalisée le 10 septembre 2024, d'une publication sur Facebook
<span>Capture d'écran, réalisée le 10 septembre 2024, d'une publication sur X</span>
Capture d'écran, réalisée le 10 septembre 2024, d'une publication sur X

Mais, premier indice, le chiffre de 159 pays qui auraient du jour au lendemain adopté ce système pourrait paraître énorme par rapport aux 193 officiellement reconnus à ce jour par l'ONU (archive).

"159 participants" au système russe

D'où provient cette affirmation ?

Une publication sur un blog en hongrois publiée le 16 août 2024 cite un article en date du même jour publié sur le site "Watcher.guru" qui ne donne lui-même aucune source.

<span>Capture d'écran, réalisée le 12 septembre 2024, du site Watcher.Guru</span>
Capture d'écran, réalisée le 12 septembre 2024, du site Watcher.Guru

Surtout, on retrouve à ce sujet un article de l'agence de presse russe Sputnik en date du 30 janvier 2024 (archive). Dans cet article, la présidente de la Banque centrale russe Elvira Nabiullina déclarait que "la Russie dispose d'un système de messagerie financière qui est une alternative à SWIFT. D'autres pays ont une infrastructure similaire. Nous discutons de l'interaction avec de telles plateformes". Et de préciser que "159 participants étrangers de 20 pays" avaient rejoint le système SPFS.

En réalité, la fausse information autour du système financier des Brics provient donc d'une double confusion  à partir des déclarations d'Elvira Niabullina. Si le chiffre de 159 est bien correct, il s'agit non pas de "pays", mais de "participants" (comme des institutions ou des entreprises par exemple). De plus, la responsable russe parle non pas du système BRICS Pay, mais de celui développé par la Russie, le SPFS.

Des banques arméniennes, cubaines et kazakhe notamment utilisent le système russe, selon l'agence de presse TASS (archive).

Un porte-parole de BRICS Pay a par ailleurs indiqué à l'AFP le 6 septembre 2024 que la plateforme n'était "pas au courant de quelque projet que ce soit pour un déploiement dans 159 pays comme indiqué dans les publications trompeuses sur les réseaux sociaux". "Les travaux sur BRICS Pay progressent, mais ce sera un développement graduel et séquentiel".

Le 10 septembre 2024, Watcher.guru a publié un nouvel article intitulé "BRICS confirms 159 participants will adopt new payment system", mais en semblant toujours faire la confusion entre BRICS Pay et le SPFS, et sans corriger l'article originel.

"Information inappropriée"

Ces déclarations déformées se sont rapidement répandues sur les réseaux sociaux. Des publications en chinois montrent par exemple le 18 août une vidéo du média russe RT affirmant que "159 pays" ont adopté le système des Brics, par exemple sur XFacebook ou bien encore TikTok :

<span>Capture d'écran, réalisée le 6 septembre 2024, d'une publication sur X</span>
Capture d'écran, réalisée le 6 septembre 2024, d'une publication sur X

En faisant une recherche d'image inversée à partir de cette vidéo de RT, on retrouve une communication du média russe annonçant le retrait de ce qu'il qualifie de "fausse information" (archive).

"Le 17 août 2024, Russia Today (RT) a publié un contenu sur son compte officiel Weibo -- '159 pays adopteront le nouveau système de paiement des BRICS'. Après vérification, il s'agit d'une fausse information", a indiqué RT sur son le réseau chinois Weibo le 22 août 2024. "Nous nous excusons d'avoir publié cette information inappropriée".

<span>Capture d'écran, réalisée le 3 septembre 2024, de la communication de RT sur Weibo</span>
Capture d'écran, réalisée le 3 septembre 2024, de la communication de RT sur Weibo

Par le passé, RT, notamment sa branche française, RT France, objet d'une page sur le site Conspiracy Watch, qui lutte contre le conspirationnisme, a déjà relayé des allégations trompeuses ou fausses, comme l'a montré l'AFP dans de précédents articles de vérification.

Le 6 septembre 2024, les autorités américaines ont pris une série de mesures, notamment contre des responsables de RT, dont sa rédactrice en chef Margarita Simonian, répondant selon Washington à des tentatives russes d'ingérence dans la présidentielle américaine de novembre (archive). Des annonces intervenues à un moment où les relations entre la Russie et les Etats-Unis sont glaciales et ne font qu'empirer depuis l'offensive russe en Ukraine en février 2022.

 

 

12 septembre 2024 Ajoute dans le chapô que plusieurs médias ont publié cette fausse information, et éléments sur le site Watcher.guru après l'intertitre "159 participants" au système russe