Attention à cette liste d'affirmations sur le miel et les abeilles

Alors que les apiculteurs déploraient, fin août 2024, une "année noire" en France, marquée par une diminution drastique de la production de miel au sein des ruches, un texte très partagé sur les réseaux sociaux prétend lister les nombreux bienfaits de cet aliment naturel et des abeilles. Il soutient notamment que le miel contient des "enzymes vivantes" ou encore qu'il aiderait le cerveau à "mieux fonctionner". Mais nombre de ces affirmations virales sont fausses, exagérées ou à nuancer, ainsi que l'ont expliqué les apiculteurs contactés par l'AFP.

"Merci les précieuses abeilles !", "Merci mes belles abeilles... !" : sur X comme sur Facebook, des publications comptabilisant des milliers de partages depuis leur mise en ligne au cours de l'été 2024 prétendent lister les nombreux bienfaits de cet insecte pollinisateur.

<span>Capture d'écran réalisée sur X le 17 septembre 2024</span>
Capture d'écran réalisée sur X le 17 septembre 2024

"Saviez-vous qu’une cuillerée de miel suffit à maintenir une personne en vie pendant 24 heures ? [...] Saviez-vous que le miel contient des enzymes vivantes ? Saviez-vous qu'au contact d'une cuillère en métal, ces enzymes meurent ?", peut-on notamment lire dans cette longue liste d'affirmations autour des abeilles et de leur miel.

Selon cet inventaire, le miel, en plus d'être dépourvu de "date de péremption", aiderait en outre "le cerveau à mieux fonctionner", et la propolis produite par les abeilles serait l'un des "antibiotiques naturels les plus puissants".

Enfin, toujours d'après ces assertions - également partagées en roumain sur Facebook -, une abeille vivrait "moins de 40 jours" et visiterait "au moins 1.000 fleurs", en produisant au total "moins d'une cuillère à café de miel", soit l'équivalent pour elle du "travail de toute une vie".

Mais si certains éléments de cette liste vantant les bienfaits du miel et des abeilles sont exacts, d'autres sont exagérés, trompeurs ou faux, pointent plusieurs spécialistes de l'apiculture contactés par l'AFP.

"Il y a effectivement des bienfaits du miel, [...] de la propolis, de la gelée royale, etc., c'est indéniable. Par contre, il ne faut pas raconter n'importe quoi", déplore auprès de l'AFP, interrogé le 2 septembre 2024, Henri Clément, porte-parole de l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF).

Une cuillérée de miel suffit à rester en vie pendant 24 heures ? A nuancer

"Sans manger, on reste en vie pendant 24h et plus !",  rappelait à l'AFP, le 30 août 2024, Yves Berthaud (lien archivé), co-auteur, avec Anne Chevais, du livre Connaissance des abeilles : Pour une apiculture rationnelle (éd. Dunod, 2023).

Jointe par l'AFP le 12 septembre 2024, Marie-Laure Legroux (lien archivé), vice-présidente de la Société centrale d'apiculture (SCA), indiquait pour sa part : "Le miel, c'est du sucre. N'importe quelle alimentation prise dans une journée vous maintient en vie. Mais on peut aussi ne pas manger pendant 24 heures et rester en vie. Ça n'a aucun sens!"

Le miel contient des "enzymes vivantes" qui meurent au contact "d'une cuillère en métal" ? C'est faux

Si le miel contient bien des enzymes, il est faux de les présenter comme "vivantes", ainsi que le pointe Yves Berthaud :  [Les enzymes ne sont] pas un être vivant."

"Les enzymes sont produites par des cellules vivantes mais ce sont des substances organiques [...] qui accélèrent les actions ou réactions à l'intérieur du jabot [réservoir à miel, NDLR] de l'abeille", explique Marie-Laure Legroux, "chaque abeille a des enzymes un peu différents, [qui] interviennent sur la transformation du nectar. La transformation du nectar par ces enzymes va, petit à petit, avec ventilation, donner du miel."

"Mais les enzymes, ce n'est pas quelque chose de vivant, ce sont des protéines, il n'y a pas donc de mortalité des enzymes au contact d'une cuillère en métal [...]. Nous-mêmes, apiculteurs, gardons le miel au moment de la récolte dans du matériel en inox, donc dans du métal", pointe la spécialiste.

En revanche, les propriétés du miel sont "abîmées par la chaleur".

Le miel aide "le cerveau à mieux fonctionner" ? Pas plus qu'un autre aliment sucré

En tant qu'aliment sucré, le miel a forcément un impact sur le cerveau - mais pas plus que d'autres aliments du même type. Il n'a donc pas d'effet spécifique.

"[Le miel est] comme n'importe quel sucre. Le cerveau est le plus gros consommateur de sucre qui puisse exister", souligne Marie-Laure Legroux.

En effet, ainsi que l'explique sur son site (lien archivé) le Muséum d'histoire naturelle, pour fonctionner, le cerveau a besoin de beaucoup d'énergie, puisqu'il utilise jusqu'à 20% des calories que nous consommons.

"Il [lui] faut donc des glucides (céréales, fruits,…) [...] et consommer du gras", indique encore le Muséum d'histoire naturelle, non sans rappeler les risques provoqués par une consommation abusive : "Si le sucre et le gras sont des carburants et constituants essentiels pour notre cerveau, tout apport excessif se retourne contre son consommateur en créant un environnement pro-inflammatoire qui exerce une influence délétère sur les structures cérébrales."

Une abeille en train de récolter du pollen, dans le sud de l'Allemagne, le 31 juillet 2024.
THOMAS KIENZLEAFP

La propolis, l'un des "antibiotiques naturels les plus puissants" ? C'est à nuancer

"Il faut bien comprendre que la propolis est un produit naturel de composition extrêmement variable selon sa provenance (donc les arbres sur lesquels elle est récoltée)", rappelle Yves Berthaud.

En effet, ainsi que l'explique Marie-Laure Legroux, "c'est une substance visqueuse qui recouvre les bourgeons de certains arbres, les peupliers, les conifères, etc." Elle est notamment utilisée par les abeilles pour boucher des trous dans les ruches ou encore embaumer des petits animaux qui s'y sont introduits, mais "rien ne prouve que la propolis est un antibiotique naturel."

Selon la base de données de référence des produits de santé VIDAL (lien archivé), si la propolis "est riche en composés antiseptiques et antifongiques (contre les moisissures)", "aucune étude sérieuse sur l’efficacité de la propolis n’a été faite chez l’homme", chez qui son utilisation "relève plutôt de la tradition".

"Son activité antiseptique est bien démontrée en laboratoire, mais sans preuve avérée de bénéfice concernant la santé chez l’homme", souligne encore le VIDAL, tout en rappelant qu'en 2012, les autorités de santé européennes ont estimé, à propos de certaines allégations de santé associées à des compléments alimentaires avec de la propolis, que ces produits ne peuvent pas prétendre "avoir des effets antimicrobiens" ni - entre autre - "soutenir le fonctionnement du système immunitaire".

Ainsi que le détaille le portail des organisations apicoles suisses sur son site (lien archivé), la propolis, en plus d'être utilisée par les abeilles ouvrières pour "tapisser les parois intérieures de leur habitat", elle exerce une "action très bactéricide, antivirale et fongicide".

Le miel n'a "pas de date de péremption" ? Non, mais il doit comporter une date de durabilité minimale

En France, il n'existe pas d'obligation d'indiquer une date de péremption sur les pots. En revanche, "une date de durabilité minimale est à indiquer", souligne Yves Berthaud, en précisant que "si le miel est conservé au frais, il peut se conserver - [sans] altération - plusieurs années".

"Les mentions obligatoires [d'un pot de miel] incluent la dénomination de vente, la liste des ingrédients, la date de durabilité minimale et les informations sur le fabricant ou le vendeur", détaille le ministère de l'Economie sur son site (lien archivé).

"On ne parle pas de date de péremption pour le miel, ce n'est pas quelque chose qui se périme. [...] La date de durabilité minimale est en général de 18 mois, elle signifie que toutes les propriétés du miel sont à leur summum sur ces 18 mois-là", précise Marie-Laure Legroux.

<span>Une abeille dans un camp de fleurs, près de Dortmund, en Allemagne, le 29 août 2024. </span><div><span>THOMAS KIENZLE</span><span>AFP</span></div>
Une abeille dans un camp de fleurs, près de Dortmund, en Allemagne, le 29 août 2024.
THOMAS KIENZLEAFP

Une abeille "vit moins de 40 jours, visite au moins 1000 fleurs et produit moins d'une cuillère à café de miel" ? C'est vrai

Enfin, les chiffres avancés dans la liste d'affirmations sur la productivité moyenne d'une abeille au cours de sa vie sont plutôt exacts, à quelques nuances près, pointent les experts contactés par l'AFP.

"[Il est vrai que] les abeilles d’été [vivent moins de 40 jours]. Les abeilles dites d’hiver peuvent vivre 3 à 5 mois", relève Yves Berthaud.

Sur le nombre de fleurs visitées en moyenne par une abeille, tout dépend sur quelle durée - celle-ci n'étant pas précisée dans la liste d'affirmations. "Les abeilles visitent plusieurs centaines de fleurs par jour. Donc c'est beaucoup plus [si c'est tout au long de leur existence]", nuance Marie-Laure Legroux, en notant qu'elles produisent bien en moyenne moins d'une cuillère à café de miel.

"Une abeille peut  stocker sur une seule de ses pattes postérieures 500.000 grains de pollen [et] visiter en une heure 250 fleurs!", précise pour sa part le site Abeille sentinelle (lien archivé), un programme national à but non lucratif lancé par l’Union Nationale de l’Apiculture Française (UNAF).

2024, "année noire" pour la production de miel en France

Les apiculteurs déploraient, fin août 2024, une "année noire" en France (lien archivé), à cause notamment d'un printemps pluvieux et froid, qui a entraîné une diminution drastique de la production de miel au sein des ruches.

Comme le rappelle l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur son site (lien archivé), les abeilles, qui représentent 90% des insectes pollinisateurs, font face depuis plusieurs années, à travers le monde, à "un phénomène d'affaiblissement et de mortalité des colonies", autant pour des raisons biologiques que par appauvrissement de leurs sources d'alimentation, ainsi que pour des raisons qui restent encore inconnues.

L'AFP a déjà vérifié plusieurs affirmations liées à des animaux, telle qu'une liste de prétendus attributs associés au loup, une assertion sur la supposée organisation sociale d'une meute, une autre sur l'impact négatif des chiens et des chats sur le climat et la biodiversité. ou encore autour des soi-disants dangers des geckos et des salamandres pour l'homme.