Attention à ces affirmations trompeuses sur le Beyfortus, traitement contre la bronchiolite
Le Beyfortus, un traitement à base d'anticorps contre la bronchiolite du nourrisson, est proposé depuis un an en France aux parents de nouveaux-nés . Au moment du lancement de la campagne d'immunisation pour l'hiver, des internautes affirment que la bronchiolite n'est pas "un problème de santé publique" et que ce traitement serait "potentiellement dangereux". Mais attention: la prise en charge des épidémies de bronchiolite - maladie très fréquente et très impressionnante, qui gêne fortement le système respiratoire- est un poids conséquent pour le système de santé, que les soignants appellent à ne pas minorer. Quant au Beyfortus, il a fait ses preuves d'efficacité et d'innocuité notamment lors de la dernière saison hivernale.
"Rappels importants sur la bronchiolite et le Beyfortus. Le Beyfortus est facultatif et potentiellement dangereux": en lettres capitales sur une brochure illustrée d'un dessin de soignant et d'un bébé, ce message est décliné ensuite en 7 arguments, exposant notamment que "la bronchiolite touche une minorité de nourrissons, depuis toujours, sans être un problème de santé publique" et pose finalement la question "le risque encouru en vaut-t-il la peine?" avec cette conclusion: "3 morts sur 987 avec Beyfortus soit 300 morts pour 100.000 environ, 2,6 morts sur 100.000 sans injection".
La brochure en question ressemble à un document officiel émanant d'autorités sanitaires. Avec une recherche d'image inversée, on se rend compte que ce graphisme a d'ailleurs déjà utilisé pour de nombreux événements, comme la grève des médecins en France, ou encore par l'hôpital américain Johns Hopkins pour diffuser des informations sur le Covid, et même pour informer sur l'ouverture d'un centre de vaccination en Indonésie.
Cette plaquette sur les dangers supposés du Beyfortus est partagée sur les réseaux sociaux, notamment sur X, comme ici le 17 septembre avec ce message: "A toutes les mamans et les papas qui seront confrontés à la proposition d'injecter du Beyfortus au nouveau né... #stopbigpharmamassacre ".
Cette publication partagée près de 2.000 fois émane du Dr Louis Fouché, auteur de nombreuses infox sur le Covid notamment, à plusieurs reprises examinées par l'AFP Factuel.
Sur Facebook aussi, le même visuel est partagé à de nombreuses reprises, comme ici ou ici, par une personne se disant "accompagnante périnatale et hypnothérapeute".
La brochure est signée du "Collectif parents & citoyens de France", qui selon cette interview donnée à Nexus (archive), un média aux positions antivaccins affirmées, se dit mobilisé contre les vaccins, Covid, HPV, mais aussi tous les vaccins infantiles.
Beaucoup partagent le visuel accompagné d'un commentaire d'Hélène Banoun, une biologiste dont les affirmations trompeuses sur la pandémie de Covid notamment ont déjà été démystifiées par l'AFP : "En attendant le ConseilCsi du 26 septembre où j'exposerai mon travail sur le Beyfortus, merci de faire circuler ce flyer auprès des futures mamans à qui ce produit sera proposé dès la maternité pour leurs bébés", avec un lien vers son étude (archive). D'abord diffusée sous forme de preprint, l'étude a été publiée le 18 septembre dans la revue "Current Issues in Molecular Biology" (archive).
Quelques jours plus tard, le 24 septembre, la biologiste demande dans un message sur X "l'arrêt de la campagne massive d'injection des nouveaux-nés avec un médicament expérimental dont je préfère taire le nom", poursuivant "Vous aurez deviné que c'est le B....us".
La Pr Christèle Gras-Le Guen, cheffe de service des urgences pédiatriques du CHU de Nantes qui a participé aux essais cliniques sur ce traitement. L'étude d'Hélène Banoun, a commenté auprès de l'AFP le 20 septembre : "Elle utilise un vocabulaire scientifique, mais c'est tout", commente la pédiatre, expliquant : "elle a analysé les travaux qui ont conduit à l'autorisation de mise sur le marché du produit mais elle arrive après la bataille parce que depuis ces travaux on a mené une expérimentation en vie réelle, avec 250.000 enfants immunisés !".
Qu'est-ce-que le Beyfortus?
Le nirsevimab, le nom de la molécule de Beyfortus, n'est pas un vaccin, même s'il est injectable, mais un traitement préventif empêchant le virus à l’origine de la bronchiolite, le VRS, d’infecter l’organisme.
Comme le précise le ministère de la santé (archive), "il repose sur la technologie des anticorps, c’est-à-dire que l’on donne à l’organisme les outils pour se défendre, et est efficace sur plusieurs mois (à la différence de la vaccination qui présente la maladie à l’organisme pour l’entraîner à se défendre seul)".
Depuis le 15 septembre 2023, Beyfortus était proposé en maternité, mais les parents pouvaient aussi se le procurer en pharmacie, jusqu'à ce que, victime de son succès, le produit ne soit plus délivré qu'aux nouveaux-nés les plus fragiles.
Depuis le 16 septembre 2024, des traitements contre la bronchiolite (Abrysvo pour les femmes enceintes, Beyfortus pour les bébés déjà nés) sont de nouveau disponibles en maternité et en pharmacie, pour une période qui devrait s'étendre jusqu'en février 2025, ont précisé les autorités (archive).
La bronchiolite, un problème de santé publique
Contrairement à ce qu'affirment certains internautes, la bronchiolite du nourrisson représente un vrai problème de santé publique, selon les autorités de santé et les médecins.
Comme le rappelle l'Assurance maladie (archive), la bronchiolite est due la plupart du temps au virus respiratoire syncytial (VRS), qui circule en général d'octobre à février. Si dans la plupart des cas la maladie est bénigne, certains nourrissons font une forme plus grave de la bronchiolite nécessitant une hospitalisation.
Chaque année en France, 30% des petits de moins de 2 ans sont atteints, selon l'Assurance maladie.
Avant 2020, a expliqué SPF lors d'une conférence de presse organisée par le ministère de la Santé en septembre 2023, les épidémies saisonnières de bronchiolite étaient "d’une grande régularité", mais depuis la crise sanitaire Covid le système de santé fait face à "une épidémie précoce et prolongée très intense toute la saison".
"C'est un problème de santé publique récurrent, mais pas tous les ans à la même intensité, l'année dernière [hiver 2022-2023, NDLR] c'était un 'carnage", a expliqué à l'AFP en septembre 2023 le Pr Robert Cohen, pédiatre et infectiologue à Créteil. "Les services d’urgence et les lits pédiatriques se sont trouvés en grande difficulté", se souvient-il.
L'hiver 2022-2023 a ainsi vu plus de 73.000 passages aux urgences pour des bronchiolites, soit 20% des passages aux urgences des enfants de moins de deux ans (archive), on ne peut donc pas parler de "rares passages aux urgences" comme le fait la brochure trompeuse. Par ailleurs, sur l'ensemble des nourrissons de France, 2 à 3% des bébés de moins un an sont hospitalisés chaque année pour une bronchiolite sévère.
Christèle Gras-Le Guen, qui dirige un service d'urgences pédiatriques, dénonce cette sous-estimation de la maladie: "il faut que ces gens viennent voir l'état dans lequel on met les services tous les hivers!". "Le poids de la maladie est majeur", détaille-t-elle, "la bronchiolite est d'une pénibilité extrême, elle perturbe la vie de toute la famille, et tous les hivers des enfants se retrouvent sous assistance respiratoire car incapables de passer le cap".
Des hospitalisations pour bronchiolites en baisse depuis l'arrivée de Beyfortus
La brochure demande aussi : "pourquoi l'injection Beyfortus a-t-elle été récemment recommandée en France, alors qu'elle ne réduit pas le nombre d'hospitalisations?"
C'est faux: deux études rendues publiques fin avril, à la fin de l'épidémie hivernale 2023-2024, par Santé publique France et l'Institut Pasteur, ont montré une "efficacité importante pour prévenir les hospitalisations" du traitement Beyfortus, résumait à l'époque Isabelle Parent du Chatelet, chargée des maladies infectieuses à l'agence Santé publique France, ajoutant : "C'est très encourageant de voir qu'en vie réelle toutes les études vont dans le même sens".
La première étude s'est penchée sur un groupe de nourrissons hospitalisés ces derniers mois en réanimation pour bronchiolite, et a regardé s'ils avaient reçu du Beyfortus ou non. Elle conclut que le traitement réduit de 75% le risque de passage en soins intensifs, un chiffre qui doit cependant être relativisé par la taille relativement réduite de l'échantillon d'environ 300 bébés.
La seconde étude vient compléter ces conclusions par un autre chemin: c'est une modélisation qui prend en compte de nombreux facteurs, comme le profil des précédentes années d'épidémie, pour estimer le nombre d'hospitalisations évitées par Beyfortus.
Selon les chercheurs, entre 3.700 et 7.800 de bébés qui ont ainsi échappé à l'hôpital en France:
Quant aux passages aux urgences pour bronchiolites, ils ont aussi connu "des intensités restée inférieures cette saison à celles de la saison 2022-2023", selon SPF. La professeure Gras-Le Guen confirme: "ces études montrent de manière très spectaculaire une baisse des hospitalisations en soins critiques, et des hospitalisations tout court pour bronchiolite, avec aussi une diminution des passages aux urgences et des consultations en médecine libérale pour bronchiolite", ce qui prouve "une efficacité du produit sur les formes les plus graves mais aussi sur les plus bénignes".
Outre les études françaises, une étude au Luxembourg, puis une autre en Espagne, ont montré ces derniers mois que Beyfortus avait nettement réduit le risque d'hospitalisation des bébés pour cette cause.
Hélène Banoun elle-même reconnait dans son étude: "en se basant sur les essais cliniques et les résultats publiés après la première campagne d'immunisation, une efficacité [du traitement, NDLR] dans les réductions des hospitalisations dues au VRS a été démontrée".
Mais elle ajoute que "les hospitalisations de toutes causes n'ont pas été réduites pour les nourrissons et jeunes enfants pendant l'hiver 2023-2024", "peut-être du fait de la faible part des hospitalisations pour VRS chez les moins de 5 ans".
Cette affirmation n'est basée que sur des supputations, car les chiffres des hospitalisations toutes causes confondues pour ces dates ne sont pas encore disponibles, ont expliqué à l'AFP Santé publique France et la Haute autorité de santé le 25 septembre.
Même s'il s'avérait que les hospitalisations globales des enfants de moins de deux ans n'aient pas été plus basses depuis l'arrivée du Beyfortus, cela ne suffirait à discréditer l'efficacité du traitement ni à minimiser le poids de la bronchiolite sur le système de santé, estime la Pr Gras-Le Guen, qui explique: "les services de pédiatrie se remplissent tous les hivers de milliers d'enfants admis pour des maladies mentales ou de mauvais traitements", par exemple.
Ces enfants qui, en période épidémique forte, peuvent ne pas être admis à l'hôpital, vont être plus facilement admis si des "places de bronchiolites" sont libérées.
D'autre part, pour le dernier hiver, un événement conjoncturel majeur en termes de santé infantile a également contribué à l'hospitalisation de nombreux bébés: l'épidémie record de coqueluche, la plus importante depuis 25 ans (archive).
Selon SPF, le nombre d’hospitalisations après passage aux urgences pour coqueluche a ainsi été à la hausse depuis le début de l’année 2024.
Des morts pendant les essais cliniques non liés au traitement
Enfin, la brochure trompeuse met en avant "3 à 5 décès sur 987 cas" chez des nourrissons ayant reçu le Beyfortus. Même si elle précise que "la cause des décès n'est pas établie", elle assure que le produit est "potentiellement dangereux" et parle aussi de "risque encouru" pour les bébés.
L'étude Melody, dont il est question, a été publiée en mars 2022, dans le cadre d'un essai clinique pour éprouver l'efficacité et la sécurité du nirvesimab (archive).
Elle fait état de "trois morts survenues" pendant l'essai: une de cause inconnue, pour laquelle, étant donné des "vomissements répétés, une hypoglycémie et une anémie, les enquêteurs suspectent une maladie chronique sous-jacente non diagnostiquée". Les deux autres décès ont été attribués à des gastroentérites.
"Aucun des effets secondaires graves, dont les décès, n'a été considéré par les enquêteurs comme étant lié au nirvesimab ou au placebo", ont conclu les auteurs de l'étude.
Déjà il y a un an, dans des messages sur X, Hélène Banoun mettait en avant ces chiffres : la "FDA [l'agence du médicament américaine, NDLR] a enregistré 12 décès dans les essais de Beyfortus : 4 décès cardiaques, 2 gastro-entérites, 2 morts subites, 1 cancer, 1 Covid, 1 fracture, 1 pneumonie, mais aucun décès n'a été relié au traitement", qualifiant dans un autre message le traitement de "toxique".
Pour tout vaccin ou médicament, des remontées d'"effets indésirables suspectés" font état de tout événement de santé succédant à la prise du comprimé ou à la vaccination mais ne ne disent rien d'un éventuel lien de causalité entre cet événement (un décès par exemple) et le produit.
Dans ce document (archive) sur le Beyfortus, l'agence du médicament américaine, la FDA (Food and Drug Administration) fait en effet mention de onze décès chez des bébés ayant reçu l'injection de nirsevimab et un ayant reçu un autre anti-bronchiolite, le palivizumab. Mais selon la FDA, "aucun de ces décès n'a été considéré comme étant lié à l'injection ou au VRS".
Contactée en juillet par l'AFP, la FDA a assuré avoir "investigué minutieusement les cas de décès rapportés lors des essais sur le nirvesimab tout au long des 360 jours post-traitement pour déceler une éventuelle causalité, et a conclu qu'aucun de ces décès ne pouvait être lié au Beyfortus".
Les décès enregistrés, relève l'agence américaine "ont été attribués à des pathologies sous-jacentes comme des malformations cardiaques" ou d'autres maladies reconnues comme causes habituelles de mortalité infantile dans les différents pays où les essais ont été menés, comme des gastro-entérites non soignées.
Le 30 septembre, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a indiqué dans une note que "les premières données de pharmacovigilance confirment le profil de sécurité du nirsevimab (Beyfortus)" (lien archivé ici).
"Des cas de troubles respiratoires et d’effets systémiques post-injection (tels que syndrome grippal, baisse d’appétit, baisse du tonus musculaire), tous d’évolution favorable, ont été rapportés. Un cas isolé d’AVC a également été déclaré. À ce stade, le lien de causalité entre Beyfortus et ces effets n’a pas été établi. Ces trois signaux potentiels feront l'objet d’un suivi spécifique par les centres régionaux de pharmacovigilance et l’ANSM", précise l'ANSM, qui indique aussi qu'entre le 11 septembre 2023 et le 30 avril 2024, 244 495 doses de Beyfortus ont été délivrées en maternité et en ville pou "198 cas de pharmacovigilance [...] déclarés sur cette période".
"Ces résultats, ainsi que les études conduites sur l’efficacité, confirment la balance bénéfices/risques positive du Beyfortus contre la bronchiolite", dit encore l'Agence.
Plus de décès de nouveaux-nés sur la période, mais aucun lien avec le traitement
Enfin, Hélène Banoun souligne dans sa dernière étude une "augmentation faible mais significative du nombre de nouveaux-nés décédés entre 2 et 6 jours de vie pendant la campagne d'immunisation en France", soulignant qu'on peut y voir un "signal d'alarme" sur de possibles "anticorps facilitants", un phénomène qui peut se produire lors d'une infection virale, quand des anticorps non neutralisants du patient facilitent l'entrée du virus dans certaines cellules.
Entre septembre 2023 et janvier 2024 en France, le nombre de décès de bébés entre 2 et 6 jours inclus est de 245, selon l'Insee, contacté par l'AFP Factuel, ce qui représente 0,87 % des naissances vivantes sur la même période. Si l'on compare avec la même période en 2023, il y a effectivement "une hausse du nombre de décès entre 2 et 6 jours (+20 décès, soit +9 %)", ajoute l'Insee.
Mais comme le relève l'institution, "si nous observons une hausse, celle-ci se rapporte à des effectifs très faibles" et l'Insee n'est pas compétent pour analyser les causes des décès, qui mettent plusieurs années à être consolidées par le Centre d’épidémiologie des causes médicales de décès de l’Inserm.
Il est possible, que la coqueluche, qui a tué 22 bébés en 2024, a contribué à cette augmentation.
La Pr Gras-Le Guen assure que "le registre national des morts inattendues, qui surveille notamment les morts subites du nourrisson, n'a pas enregistré cet hiver de décès dans les heures ou jours après l'injection". D'autre part, aucune étude n'a démontré que le Beyfortus pouvait provoquer des infections par anticorps facilitants.
La campagne d'immunisation des bébés contre la bronchiolite pour l'hiver à venir, déjà lancée depuis le 15 septembre, s'articule autour de trois traitements: pour tous les nouveaux-nés mais également tous les enfants de moins d'un an, le Beyfortus en France, mais aussi, depuis peu, pour les femmes enceintes qui le souhaitent, l'Abrysvo de Pfizer qui s'administre en fin de grossesse. Enfin, de manière beaucoup plus spécifique, le Synagis d'AstraZeneca (palivizumab) existe depuis longtemps mais il est réservé aux bébés à haut risque de complication.
Cela doit être l'un ou l'autre, sauf dans le cas particulier où une mère a reçu Abrysvo mais accouché beaucoup plus vite que prévu sans avoir eu le temps de transmettre les anticorps à son bébé.
Comme chaque année, les autorités insistent aussi sur l'importance des gestes dits barrières pour éviter la circulation du VRS: se laver les mains, bien aérer et porter un masque en cas de symptômes respiratoires.
1 octobre 2024 Ajoute note de pharmacovilgilance de l'ANSM 28 septembre 2024 Ajoute que l'étude d'Hèlène Banoun a été publiée dans une revue