"Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre": la folle histoire de la comédie culte d'Alain Chabat
[Mise à jour] Le film culte d'Alain Chabat est ressorti en salles le 5 juillet 2023, en version restaurée.
Alain Chabat n’aurait jamais dû réaliser Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre. Le film aux 14 millions d’entrées, qui fête ce dimanche 30 janvier son vingtième anniversaire, après s'être imposé comme l'une des meilleures comédies françaises des dernières années, est né complètement par hasard.
Lorsqu’il prend rendez-vous courant 1999 avec Claude Berri, Alain Chabat n'a pas pour projet de s’attaquer à l’irréductible Gaulois. Il rêve d'adapter deux aventures de Spirou, L'Ombre du Z et Z comme Zorglub. Mais le projet est irréalisable, et Berri lui suggère de se pencher sur Astérix: "Si c'est toi qui le fais, ça m'intéresse", lui lance le producteur.
Chabat est séduit par la proposition, d’autant que Berri l’avait contacté quelques années plus tôt pour réécrire les dialogues d'Astérix et Obélix contre César de Claude Zidi. Proposition que l’ex-Nul avait refusée: "C’est bien, mais ce n’est pas assez fidèle à l’esprit de Goscinny et d’Uderzo." Avant d’ajouter, bravache: "Je l'aurais fait autrement, si j'avais fait le film."
Après avoir hésité plusieurs semaines entre Astérix légionnaire et Astérix Gladiateur, Chabat se décide pour Astérix et Cléopâtre. Cet album fort, avec un potentiel visuel énorme, répond parfaitement aux envies de comédie spectaculaire de Chabat, et réserve un rôle à la hauteur de la puissance comique de Jamel Debbouze.
Vingt-deux versions de scénario
Passionné de BD depuis sa tendre enfance, Chabat souhaite être le plus fidèle possible à l'esprit de René Goscinny et d'Albert Uderzo (les dialogues de l'album sont respectés à la virgule près) sans pour autant renier son humour absurde. Il pioche certains gags dans Le Domaine des Dieux (les graines pour faire pousser les arbres), et multiplie les références à la pop culture (Star Wars, Claude François) et à l'époque (Itineris, service de téléphonie mobile des années 1990).
Soucieux de la rigueur historique, Chabat contacte l'égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë. Il envisage de démarrer l'histoire en égyptien ancien (il aurait ensuite "rembobiné" le film, qui aurait recommencé en français), mais il se ravise. Il glisse quelques mots dans les dialogues et place dans le décor des hiéroglyphes signifiant "Celui qui lit ça est un égyptologue".
Chabat injecte un peu de sa fantaisie habituelle dans les personnages, qui semblent tout droit sortis de la BD. Le pantalon d’Obélix, conçu par le plasticien Philippe Guillotel, ressemble ainsi à une bouteille d'Orangina (dont Chabat a signé la pub). Sa ceinture est aussi un clin d'œil au chaudron dans lequel le personnage est tombé enfant.
Le réalisateur écrit vite. Il termine en novembre 1999 une première version du scénario, qu'il modifie tout au long des sept mois de pré-production, jusqu'au début du tournage à Malte, fin août 2000. En tout, Chabat livre vingt-deux versions de son scénario.
"On a été touché par la grâce"
Avec un budget de 360 millions de francs, (l'équivalent de plus de 60 millions d’euros en 2022), Chabat a les moyens de ses ambitions. Le projet mobilise 500 ouvriers pour les décors marocains, 2.000 figurants, plus de 11 kilomètres de tissus pour les costumes, 5.000 sandales, une douzaine de perruques rien que pour Monica Bellucci et 1.500 pour les autres rôles.
Le cinéaste s’entoure des meilleurs. Un de ses assistants réalisateur, Stéphane Gluck, un spécialiste des grosses machines, a conçu pour le Jeanne d’Arc de Luc Besson l'assaut du Fort des Tourelles, avec 1.400 figurants.
Le décorateur At Hoang, nommé aux César pour L'Amant et Germinal, livre des décors prodigieux, qui évitent les clichés communs aux péplums souvent très chargés. Le dessinateur italien Tanino Liberatore (Ranx) s’occupe de son côté des tenues de Monica Bellucci (dont une robe décolletée en hommage à Mireille Darc dans Le Grand Blond), du trône et des accessoires des pirates.
Cette équipe de choc prépare le projet avec une certaine insouciance, raconte à BFMTV Stéphane Gluck: "Si j’avais pris conscience de l’énormité du truc, ça m’aurait foutu les jetons." Même sentiment pour le monteur Stéphane Pereira: "Si j’avais été trop conscient du projet, je me serais noyé. On a été touché par la grâce."
Isabelle Adjani en Cléopâtre?
Le casting réunit les meilleurs acteurs du moment. Si Christian Clavier et Gérard Depardieu rempilent, Chabat décide de les bousculer. "Alain souhaitait 'déjacquouilliser' Astérix", précise Stéphane Pereira. "Il était très content de travailler avec Clavier. Tout ça s’est fait en bonne harmonie, mais il trouvait que le côté 'Jacquouille' du précédent film ne correspondait pas au personnage d’Astérix."
Pour Panoramix, Claude Rich est préféré à Claude Piéplu, qui jouait le rôle chez Claude Zidi. "Je voulais pour Panoramix un sage, malicieux, longiligne. Élégance et spiritualité, pour moi, c'était Claude Rich", a indiqué Chabat en janvier 2002 à La Dépêche du Midi.
Pour César, Chabat pense immédiatement à Gérard Darmon. "Mais quand je l'ai eu en face, cela m'a sauté aux yeux: il était Amonbofis, avec ses traits anguleux, sa stature." Chabat s'octroie donc le rôle. "Personne d'autre que moi, à part Richard Burton, ne pouvait le faire. Mais il n'était pas disponible. Alors..."
Le rôle de Cléopâtre est le plus difficile à trouver. Avant Monica Bellucci, Naomi Campbell est envisagée. Claude Berri suggère à Alain Chabat Isabelle Adjani, mais le rôle échappe de justesse à cette dernière. "Il fallait faire le plan de travail en fonction de son emploi du temps", se souvient Stéphane Gluck. "Adjani jouait au théâtre La Dame aux Camélias et elle ne pouvait tourner que les dimanches et les lundis. C’était impossible!"
"Du cinéma à la hollywoodienne"
Le tournage ne démarre pas sous les meilleurs auspices. Trois semaines avant le premier tour de manivelle, le chef décorateur At Hoang et Gérard Depardieu sont opérés en urgence, pour un triple et un quadruple pontages. Retapé en moins de deux, Depardieu fait forte impression sur le plateau, se remémore Stéphane Gluck: "Le jour où il est arrivé à Malte, où on tournait les scènes des pirates, il avait cette immense cicatrice sur le torse. Il tapait dessus en hurlant, 'Je ne suis pas mort'!"
Après Malte, l'équipe s'envole pour le Maroc, dans les studios Atlas de Ouarzazate, où elle croise les stars de Spy Game Brad Pitt et Robert Redford, mais aussi Thomas Langmann, en plein préparatif du Boulet. Les décors sont à couper le souffle. "C’était d’une beauté", confirme Isabelle Nanty, qui incarne Itinéris, une syndicaliste inspirée par Arlette Laguiller.
"Il ont fait venir tous les gens de la région, tous les vieux des villages, qui avaient tourné dans des films mythiques. C'était extraordinaire." "On se disait qu’on faisait du cinéma à la hollywoodienne!", complète Stéphane Pereira. Sur le plateau, l'ambiance est à la fois légère et studieuse. "C’est un film où on a énormément travaillé, mais où on s'est aussi franchement poilé", acquiesce Stéphane Gluck.
"Chabat dessinait tous les matins"
Au fil des jours, la magie prend. "C’est la seule fois de ma vie où en faisant un film j’étais sûr qu’on était en train de faire un truc qui allait défoncer", assure Stéphane Gluck. "Il y avait une vraie adéquation entre une vision et des moyens de production, ce qui n’est pas toujours le cas", insiste Laurent Ott, assistant décorateur. "On avait tous le sentiment de vivre une aventure assez unique", complète Thomas Duval, responsable des effets visuels. "C'était difficile. Les conditions étaient dures, mais il y a eu beaucoup de plaisir."
Claude Berri veille au grain. Le producteur regarde attentivement les rushes et appelle chaque matin Chabat. En pleine effervescence, celui-ci tourne avec la BD en main et trouve sans cesse de nouvelles astuces de mise en scène et des vannes inédites. Et tout le monde, dans la bonne humeur, s'adapte. "Il dessinait tous les matins", se souvient Stéphane Gluck. "II avait une feuille sur laquelle il faisait des petits carrés et il imaginait les plans de la journée." Certaines scènes naissent lors de ces sessions impromptues. Isabelle Nanty en a été la témoin privilégiée:
"Je devais tourner quatre jours. La veille de mon départ, Chabat a eu l’idée d’une scène. Il m'a demandé de rester un jour de plus. Il n'avait le temps de faire qu’un seul plan. Il a fait installer une caméra sur rail et on a tourné vingt-cinq minutes. C'est la scène où je me déconnecte. On ne sait jamais d’où viennent ses fulgurances. Il est tranquille, il fume sa clope, puis tout d’un coup, il dit, 'et si on faisait ça' - et c'est un truc de génie."
Improvisations à gogo
Malgré l'ambition du projet, personne ne ressent la pression. Chabat impressionne par son calme. "Il vous donnait l’impression que vous étiez en train de tourner avec deux copains", selon Édouard Baer. "Il a même pris le temps de changer ma perruque que je n'aimais pas alors que j'étais seulement le huitième rôle du film!" "Il n'avait pas de mauvais stress ou d'angoisses mal placées", précise Laurent Ott. Ce sentiment de maîtrise n'empêche pas Chabat d'abandonner certaines de ses idées, faute de temps. Le rôle de JoeyStarr (un certain Niclapolis) est ainsi supprimé.
Chabat, qui a répété en amont avec les acteurs, et en particulier avec Édouard Baer et Jamel Debbouze, les incite à se lâcher. Baer improvise entièrement le monologue d'Otis à partir de deux lignes écrites par Chabat. La séquence provoque un fou rire général sur le plateau, comme celles sur I Feel Good et du "Phare à On". Gérard Darmon et Dieudonné créent aussi de toute de pièce la fameuse joute verbale à base de "non" et de "si".
Chantal Lauby puise dans son enfance pour son numéro d'espionne ("Là on me voit, là on me voit plus"). "C'était un jeu avec mes sœurs. Je jouais à l'espionne. Quand je mettais mes yeux de côté, on ne me voyait pas. J'étais cachée derrière un mur. Quand je mettais mes yeux en face, on me voyait. J'avais raconté ça à Alain, et il m'avait dit, 'On garde!'"
Face à la tornade comique Jamel Debbouze, qui lui vole la vedette, Christian Clavier se sent un peu mis à l’écart, et se montre assez rude avec l'équipe. "Je ne sais pas si le réalisateur avait tellement envie de faire le film avec moi", déclarera-t-il en 2019 sur BFMTV. Pour autant, Mission Cléopâtre n'est pas "le film de Jamel", insiste Stéphane Gluck: "Le film s'appelle Astérix et Obélix. Alain a fait justement bien attention à trouver l'équilibre le plus juste possible entre Astérix, Obélix et Numérobis." Recontacté par BFMTV, Clavier détaille:
"J'ai un souvenir mitigé des Astérix dans lequel j'ai joué. Ce sont des films à effets spéciaux. On passe des journées à attendre dans le désert pour faire passer une grosse boule et vous dites une seule réplique en huit heures. Heureusement que j’avais comme compagnon Gérard Depardieu, avec qui j’avais des conversations profondes."
2000 figurants et une tempête de sable
Le plus gros défi n’est pas de canaliser ce beau monde, mais "la journée à 2.000", soit le tournage de la découverte du chantier de Numérobis où 2.000 figurants sont employés. Inscrite dans la mémoire de chaque membre de l'équipe, elle est perturbée par une tempête de sable, qui interrompt plusieurs jours le tournage.
"On était un peu comme des couillons, parce qu'on ne l'avait pas vu venir", reconnaît Stéphane Gluck. "Il a fallu tout ranger. Ça soufflait très, très fort. C'était un bon petit bazar."
Chabat transforme ce qui aurait pu être une journée gâchée en réussite et profite du contretemps pour tourner la scène du cachot entre Astérix, Obélix et Panoramix, ce qui permet au trio de jouer pour la première fois ensemble depuis le début du tournage. Une fois la tempête terminée, la reprise du tournage reste un véritable défi, explique Stéphane Gluck:
"Comme les personnages boivent de la potion magique, ils ne sont pas censés transpirer, parce qu’ils ne sont pas censés faire d’effort! On avait planqué dans la figuration, des maquilleurs et des coiffeurs qui avaient des kleenex. Entre chaque prise, on allait éponger chaque figurant pour qu’il ne transpire pas. Il a aussi fallu qu'on planque des gens qui étaient des porteurs d’eau, parce qu’il faisait 50 degrés à l’ombre. Et toute l'équipe était en costume, parce qu'on ne pouvait pas leur demander de sortir du champ!"
L’affrontement façon kung-fu de Numérobis et Amonbofis est enfin storyboardé par Thomas Astruc, le futur créateur de la série Miraculous. "C’est la seule séquence qui est devenue de plus en plus compliquée au fur et à mesure du tournage", poursuit l'assistant réalisateur. "Plus le tournage avançait, Alain ajoutait des conneries, et plus c’était compliqué. Le passage où Darmon dit 'Le lion ne s’associe pas avec le cafard' n'existait pas au départ."
De Jean-Pierre Bacri à Jackie Chan
Jean-Pierre Bacri, qui prête sa voix au documentaire sur la langouste, apporte son aide à Chabat lors de la post-production. "J’ai montré un premier montage du film à Jean-Pierre, et il m’a rajouté deux, trois petites blagues gratos", a expliqué Chabat à Première. "Il avait soumis à Alain une idée de texte", ajoute Stéphane Pereira. "C'est lui qui a eu l'idée à la fin du combat entre Jamel et Darmon de la réplique d'Amonbofis, 'Viens me le dire de profil'."
Stéphane Pereira trouve aussi quelques gags en post-production: "L'utilisation de Chi Mai d'Ennio Morricone n’était pas du tout prévue. En voyant ce légionnaire, un comédien qui savait courir comme un chien à quatre pattes, je n'ai pas résisté à l’envie d’ajouter le morceau de Morricone." Pereira ajoute aussi son grain de sel pour le combat entre Debbouze et Darmon.
"Alain voulait que le son soit désynchronisé, mais ça ne marchait pas. Ça aurait été trop déroutant pour le spectateur. J’avais amené pour m'aider à monter cette scène des BO de films de Jackie Chan - peut-être Police Story - où il y avait des dialogues. Alain a été aussitôt emballé par l'idée. C’est pour ça qu’ils parlent chinois dans le film! Des comédiens chinois sont ensuite venus refaire les dialogues."
Chabat tient enfin à ce que les effets spéciaux soient réalisés sur le plateau, pour aider la comédie, et non la vampiriser. L'un des plus gros défis est la représentation des effets de la potion magique, signale Thomas Duval: "La BD ne nous donnait pas beaucoup de pistes pour travailler nos effets. A l'époque, on n'avait pas l'habitude de faire des recherches. On y est allé un peu la fleur au fusil. On s'est beaucoup inspiré de ce que faisaient les comédiens sur le tournage."
"Vingt minutes de trop"
Le premier montage - non-définitif - approche les 2h12. "Il y avait vingt minutes de trop", révèle Stéphane Pereira. "On s’est fait reprendre par Claude Berri. On a passé deux semaines ensemble à retirer les vingt minutes de trop." Luc Besson, qui a tourné une dizaine de plans de la scène du chantier, conseille aussi à Chabat de resserrer son montage de deux minutes.
Des scènes avec Omar & Fred en peintres et Tomer Sisley en contremaître disparaissent, tout comme une parodie du logo THX avec Kader Aoun. Le monologue d’Otis, devenu culte, a failli subir le même destin: "Claude Berri voulait qu’on retire cette scène. Il ne la trouvait pas drôle."
En découvrant le film, Stéphane Gluck remarque des pauses un peu longues entre certains gags. "Dans la salle, tout le monde va rire", lui avait répondu le réalisateur. "Si je colle une vanne juste après, les gens ne vont pas l’entendre. Avec le blanc, ça ne se remarquera pas."
La post-production se termine particulièrement en avance pour un film de cette ampleur, avec presque quatre mois avant la sortie. Tout le monde est heureux du résultat. "Je ne sais pas qui d’autres que lui aurait pu faire ce film aussi bien", résume Laurent Ott. "C'est un film très réussi, d’un grand metteur en scène", ajoute Christian Clavier.
Anne Goscinny est aux anges, tout comme Albert Uderzo (qui changera plus tard d'avis). À Cannes, Chabat présente douze minutes de son blockbuster au Marché du Film. C'est une standing-ovation. Tous les pays le veulent, de l'Allemagne au Canada en passant par la Grèce, le Portugal, l'Espagne et les Etats-Unis.
"Ces chiffres d'entrées, c'est un accident heureux"
Astérix et Obélix: Mission Cléopâtre sort le 30 janvier 2002. La presse adore, mais deux bémols agacent Chabat: les références à l'humour Canal ("Je ne sais pas ce que ça veut dire", dira-t-il à Studio en décembre 2002) et les critiques qui trouvent Clavier et Depardieu trop effacés ("Je trouvais que c'était un peu injuste et que les reproches étaient trop violents").
Un peu stressé, Chabat se réveille tard ce jour-là et se rend aux bureaux de Pathé entre midi et deux. Les résultats du premier jour sont au-dessus des prévisions, avec 629.148 entrées sur 950 copies. C'est un raz-de-marée. Le film termine sa course à 14,5 millions d’entrées. Claude Berri se frotte les mains. Le producteur est remboursé à partir de 6 millions d'entrées France.
"Ces chiffres d'entrées, c'est un accident heureux, mais un accident quand même", estimera Chabat dans Studio. "Quand on me parle de ça, j'ai l'impression qu'on me parle de quelqu'un d'autre. C'est tellement abstrait. En tout cas, je ne sens aucune responsabilité. Et je sais qu'à part un deuxième miracle, ça ne m'arrivera plus..." Il n'avait de toute façon pas fait le film pour réaliser un miracle, mais pour assouvir un rêve d'enfant.