Astérix au Musée Grévin : un succès qui dit toujours beaucoup de nous 65 ans après

L’exposition « Astérix : Le voyage immersif » a ouvert à l’Atelier des Lumières, à Paris, au mois d’octobre 2024.
JULIEN DE ROSA / AFP L’exposition « Astérix : Le voyage immersif » a ouvert à l’Atelier des Lumières, à Paris, au mois d’octobre 2024.

BANDE DESSINÉE - Beyoncé, Pierre de Coubertin, Dwayne Johnson, Audrey Fleurot et maintenant Astérix. Ce mercredi 23 octobre, l’irréductible Gaulois fait son entrée au Musée Grévin aux côtés de son acolyte de toujours, l’amateur de potion magique Obélix, et son fidèle canidé haut comme trois pommes, Idéfix.

Les statues de cire de nos trois héros doivent prendre place dans un décor inspiré de l’univers de la bande dessinée culte. Et ce, dans une mise en scène les montrant en train de s’en prendre à un malheureux romain, comme le veut la tradition de la série franco-belge créée par René Goscinny et Albert Uderzo en 1959.

Une nouvelle réjouissante pour les mordus de BD, mais pas inédite. Bien qu’ils ne soient plus exposés aujourd’hui, Tintin, le Capitaine Haddock, les Dupond, le professeur Tournesol et Milou ont déjà eu les honneurs du musée parisien en 1961, date à laquelle la bande dessinée d’Hergé s’est pourtant vue éclipsée par le succès fulgurant des aventures d’Astérix.

Quelques années seulement après leur apparition dans les colonnes de l’hebdomadaire jeunesse Pilote, elles ont fait l’effet d’un grand boom au-delà des cours de récré. Tirages par millions et ventes exponentielles (en France et à l’étranger), en Une de L’Express ou dans les pages du New York Times… Dans le courant des années 1960, on parlait d’un phénomène sociétal.

La Résistance avec humour

Ados, parents et plus petits : tous se sont mis à lire Astérix. « C’est ça qui a créé le phénomène », renseigne l’historien Therry Groensteen. Nous sommes avant mai 68 et donc, avant l’apparition de la bande dessinée pour adultes. « La BD d’Uderzo et Goscinny est, elle, sortie du seul giron des livres pour enfants, continue Nicolas Rouvière, maître de conférences en littérature à l’université Grenoble Alpes. C’était complètement nouveau. »

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La richesse des scénarios y est pour quelque chose. Les références, les anachronismes et les jeux de mots, aussi. Mais pas seulement. Astérix venait également répondre à un besoin de l’époque déjà amorcé par plusieurs œuvres au cinéma, comme La Grande Vadrouille : parler de la Résistance avec humour.

Les statues d’Astérix et Obélix, ici au Musée Grévin.
GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP Les statues d’Astérix et Obélix, ici au Musée Grévin.

En plein contexte de décolonisation, les Français s’identifient à ce village d’indéboulonnables Gaulois devant l’impérialisme romain, nous dit Nicolas Rouvière. « Cela s’inscrit dans une phase de changement des mythologies françaises. C’est l’image de la France non alignée, de la France indépendante », continue le spécialiste, auteur de plusieurs essais aux éditions du Puf, dont Astérix ou les lumières de la civilisation et Astérix ou la parodie des identités.

Astérix « nous tend un miroir »

Aujourd’hui, son succès ne faiblit pas. Le dernier tome L’Iris blanc s’est écoulé à plus d’un million d’exemplaires, devenant ainsi le livre le plus vendu en 2023. « Astérix fait partie du roman français moderne. La parution des nouveaux albums a pris une forme de rituel dans le calendrier », constate Thierry Groensteen.

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Avant d’ajouter : « Soixante-cinq ans de parution sans interruption, c’est exceptionnel. Même dans les autres sphères de la culture, ça n’existe pas. Aucune série télé n’a encore connu une telle longévité à l’écran. » En plus du Musée Grévin, une exposition immersive est organisée ce mois-ci à l’Atelier des Lumières, à Paris, pour souffler les 65 bougies. Et alors qu’Astérix et Obélix : L’empire du Milieu a vendu un peu plus de 4,6 millions de tickets en France, la fréquentation du parc d’attractions, qui a accueilli 2,8 millions de visiteurs l’an passé, n’a jamais été aussi forte.

Même si Astérix cartonne aussi dans le reste de l’Europe (et notamment en Allemagne, où les tirages sont parfois plus importants), notre chauvinisme, dont Goscinny lui-même se moquait, n’est pas étranger à l’engouement qui perdure, en France. On se moque des Bretons, des Corses et des différences régionales, mais jamais sérieusement. L’esprit de résistance, lui, nous rend fier.

« Astérix nous tend un miroir, précise Thierry Groensteen. Ce miroir nous caricature et nous flatte. » Nicolas Rouvière ajoute : « On réécrit l’histoire à notre gloire, mais pour en rire. On s’amuse de voir le stéréotype du désordre des Gaulois l’emporter sur l’ordre des Romains. » Au fond, « ça parle de nous, et de notre société », continue l’universitaire.

L’ethnocentrisme d’Obélix

Selon lui, le rapprochement avec le succès de Bienvenue chez les Ch’tis, en 2008, peut en témoigner. Comme Kad Merad en arrivant dans le nord de la France, Obélix, par ethnocentrisme, se fait mal aux nouvelles rencontres. S’il lui est d’abord plus facile d’admettre que tout le monde est fou, il s’affranchit progressivement de ses préjugés pour changer de regard sur les autres au fil des bulles.

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Le message positif et universaliste hérité des Lumières traduit un idéal de communication, qui séduit toujours, y compris les politiques de tous bords. Des décennies après de Gaulle, qui lors d’un conseil des ministres aurait appelé chaque membre de son gouvernement en ajoutant le suffixe « ix » à leurs noms, le maire d’extrême droite de Perpignan Louis Aliot s’est servi d’une image d’Astérix dans une carte de vœux pour l’année 2024, avant de s’attirer les foudres de l’éditeur de la bande dessinée.

« Malgré les obstacles linguistiques et culturels, on se retrouve toujours par festoyer avec tout le monde autour d’un bon festin, analyse Nicolas Rouvière. C’est l’antichoc des civilisations. On ne se définit pas, ici, par opposition aux autres, mais par ce qui nous rapproche. » À table, donc. C’est sanglier pour tous.

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