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En assumant d'"emmerder" les non-vaccinés, Macron mise sur la majorité silencieuse

Emmanuel Macron photographié le 31 décembre lors de ses vœux aux Français (Photo: REUTERS/Christian Hartmann)
Emmanuel Macron photographié le 31 décembre lors de ses vœux aux Français (Photo: REUTERS/Christian Hartmann)

POLITIQUE - Si le président de la République voulait provoquer un effet de souffle et faire le vide dans l’actualité autour de lui, c’est réussi. En déclarant dans Le Parisien qu’il avait “très envie d’emmerder les non-vaccinés”, Emmanuel Macron a déclenché un véritable tollé, les oppositions rivalisant de qualificatifs pour exprimer avec force leur indignation. Avec, en toile de fond, cette question qui revient: comment un président de la République en exercice peut-il donner l’impression de se couper de plusieurs millions de Français?

Impression renforcée par cette autre phrase également polémique: “un irresponsable n’est plus un citoyen”. Comme s’il appartenait au locataire de l’Élysée de déchoir de leur citoyenneté des Français sur la seule base de leur non-adhésion au vaccin dans le cadre de la lutte contre le covid-19. “Qu’allons nous faire des six millions de non-vaccinés, les exclure de la communauté des citoyens, sérieusement?”, interrogeait dans la nuit Raphaël LLorca, auteur de La Marque Macron (éd. L’Aube), sur le fil Instagram Call Pol, réunissant plusieurs experts en communication politique.

“Post-rationalisation”

Alors, Emmanuel Macron a-t-il commis une faute politique en s’exprimant ainsi? Pour Gaspard Gantzer, ex-conseiller en communication du président François Hollande, la sortie du chef de l’État ne relève pas d’une manœuvre savamment orchestrée en amont. “Aucun conseiller sérieux en cabinet n’aurait recommandé d’utiliser ce champ lexical. Je pense que ça lui a échappé et que l’Élysée a décidé d’assumer a posteriori”, détaille au HuffPost le communicant (par ailleurs ancien camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’Ena), décrivant un processus de “post-rationalisation” qui consiste à justifier le fond du propos, quitte à faire un mea culpa plus tard sur la forme.

“Il s’est exprimé de façon spontanée, face à la détresse de deux soignantes épuisées”, défend une source gouvernementale, qui estime que le président a dit “tout haut ce que les Français pensent tout bas” dans le cadre d’un format d’interview bien spécifique: le “face aux lecteurs” du Parisien. Sur RTL, David Doukhan, rédacteur en chef du service politique du quotidien, explique que l’expression utilisée n’a pas particulièrement fait tiquer les infirmières “exsangues” qui participaient à l’entretien.

“Lorsque nous avons entendu cette phrase, forcément nous les journalistes on s’est regardé. On a tout de suite perçu les conséquences qu’elle pourrait avoir. Mais les lecteurs, les Français qui vivent leur vie quotidienne sans être branchés en permanence sur les réseaux sociaux, ils n’ont pas du tout été choqués. Si on leur donnait la parole à eux, peut-être qu’ils utiliseraient des mots encore plus forts”, affirme le journaliste.

Souvent accusé d’adapter -jusqu’au ton employé- son discours à son auditoire, Emmanuel Macron serait-il retombé dans ce travers? “C’est plus comme cela que je le vois. Pour avoir co-organisé plusieurs de ces entretiens, il s’agit effectivement de discussions fluides, simples, parfois familières, qui sortent du schéma classique d’une interview politique”, observe Gaspard Gantzer. Alors qu’il est de notoriété publique que toute interview du chef de l’État passe par le filtre de l’Élysée, la question du maintien des propos qui choquent se pose.

Quel impact sur la campagne?

Pour Isabelle Veyrat-Masson, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la communication politique, Emmanuel Macron souhaitait “s’adresser aux plus jeunes, en utilisant des termes qui allaient forcément provoquer un buzz sur les réseaux sociaux”. Selon elle, le risque pris par le chef de l’État se loge moins dans le fond du propos -“il va dans le sens de 90% de la population”- que dans la forme.

“On avait le sentiment qu’il voulait arrêter les formules à l’emporte-pièce. Or, il retrouve cette forme de vocabulaire, pour secouer et entrer de façon claironnante dans la bataille politique en faisant le pari de la majorité silencieuse”, poursuit la chercheuse, qui pointe cependant un problème de timing dans ses déclarations, puisque celles-ci ont mis en péril l’examen du texte sur le pass vaccinal à l’Assemblée nationale, alors qu’Emmanuel Macron s’exprimait justement pour appuyer ce projet de loi.

Reste à savoir à quel point cette séquence collera aux baskets du chef de l’État qui, sauf énorme surprise, entrera officiellement en campagne dans les semaines qui viennent. “Je ne crois que pas cela aura un énorme impact, puisqu’il aura l’intelligence de s’excuser. La mécanique est quand même connue et rodée chez Emmanuel Macron: tenir des propos fleuris, les assumer, puis s’excuser ensuite envers ceux qu’ils ont blessés”, décrypte Gaspard Gantzer.

Même observation pour Isabelle Veyrat-Masson, qui estime que les cris d’orfraie de l’opposition ne sont que de “l’écume” en comparaison du consensus qui s’exprime dans l’opinion sur le fond du sujet. À la condition que cette polémique ne se transforme en véritable crise politique. Ce qui, avec l’éventuel recours au 49-3 pour faire passer le texte sur le pass vaccinal, n’est pas à exclure.

À voir également sur Le HuffPost: Pour les derniers vœux de son quinquennat, Macron dresse un bilan positif (et se projette vers l’avenir)

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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