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Pas assez entendues, les femmes montent le volume dans la musique

Aya Nakamura sur la scène des Francofolies en 2019 - XAVIER LEOTY / AFP
Aya Nakamura sur la scène des Francofolies en 2019 - XAVIER LEOTY / AFP

Le mouvement #MusicToo a mis en lumière les agressions sexuelles dans la musique, mais il y a d'autres combats à mener: les femmes du secteur sont encore trop attaquées dans leur légitimité et oubliées dans les organigrammes.

"Pour évoquer un problème, il faut commencer par donner des chiffres", a souligné Corinne Sadki, du Centre national de la musique (CNM), en prenant la parole au forum "Les femmes de la musique" au festival parisien MaMA (pour Marché des musiques actuelles).

Ils sont parlants. La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) n'a ainsi recensé que "17% d'autrices, compositrices et éditrices de musique", indique Catherine Boissière, responsable de cet organisme, présente au MaMA.

"En 25 ans d'études, je n'ai jamais joué l'oeuvre d'une femme"

Sans doute parce que "tout est fait pour que les femmes ne se sentent pas légitimes, ou ne soient pas créditées", résume au forum Emily Gonneau, co-fondatrice de Change de disque, plateforme qui lutte notamment contre les problèmes structurels des femmes (rémunération et progression de carrière) dans l'industrie musicale.

Tous les genres musicaux sont concernés. Heloïse Luzzati (association Elles creative women, pour pallier l'absence des femmes dans les programmations musicales) rappelle que "seulement 4% des oeuvres de compositrices classiques sont programmées". "En 25 ans d'études du violoncelle, je n'ai jamais joué l'oeuvre d'une femme", assène-t-elle encore au MaMA.

Mécanismes insidieux

Lors de ce forum, la rappeuse Tracy De Sa, née en Inde, évoque la charge mentale des pièges à éviter pour une femme. "Il y a une sexualisation, qui passe par le contrôle de l'image par le label, pour le choix des photos ou des clips, on te dit au début qu'il faut 'que tu plaises'. Sans parler de l'usage de Photoshop pour blanchir ma peau".

"Et quand c'est nous qui choisissons de nous dénuder dans nos clips, alors là, on entend qu'on 'en fait trop', qu'on n'a trouvé 'que ça pour développer notre art'", dépeint-elle encore.

Les mécanismes insidieux qui piègent les femmes se situent à tous les endroits de la filière, comme chez les techniciens. "Les employeurs sont plus exigeants envers nous, on nous demande d'avoir un fort caractère, car c'est un milieu masculin, mais on nous en fait ensuite le reproche: 'quand une femme donne son avis, ça fait des vagues'", relate Virginie Bègue, régisseuse, intervenante au forum.

Au sommet de la pyramide, la situation n'est guère reluisante. Seuls 14% des postes de direction dans les labels sont occupés par des femmes, selon une étude en 2019 de l'Irma (centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles).

Des leviers pour changer

Mais des leviers existent pour faire changer les choses. L'association Elles creative women attaque le problème de visibilité des compositrices du classique à la racine, avec un projet d'exhumation de manuscrits. Héloïse Luzzati a aussi créé le festival Un Temps pour Elles, la chaîne vidéo La Boîte à Pépites et un label de disque, Elles Records (premiers opus pour 2022), pour mettre en valeur ce travail.

Céline Bakond, administratrice au service des artistes-entrepreneurs du rap, raconte au MaMA avoir trop longtemps intégré les discours machistes, développant un "syndrome de l'imposteur". "J'avais beaucoup de mal à facturer un tarif juste pour mon travail, travaillant gratuitement ou faisant plus de choses que je n'aurais dû".

C'est Mewem, programme de mentorat pour les femmes dans l'industrie musicale, qui lui a ouvert les yeux, lui démontrant qu'elle avait toute sa "place" dans la filière. Une des tutrices de Mewem est une figure du milieu, Pauline Duarte, directrice du label Epic France.

Une réflexion occasionnée par le Covid

Parmi les autres programmes de mentorat similaires, il y a Wah!, vanté par Catherine Debergue, administratrice, qui fut tutrice à la première édition de ce dispositif en 2019-2020. "Aujourd'hui, avec mon expérience, je repère les futures dirigeantes et je les encourage", dit-elle au MaMA.

La crise sanitaire a mis le secteur sur pause mais a eu un bon côté. "Les patrons ont réfléchi à la question et, après le Covid, ils veulent des équipes techniques paritaires", se réjouit Virginie Bègue. Pour recruter, elle va s'appuyer, par exemple, sur l'association Bandshe qui a pour but de soutenir, valoriser et démocratiser la place des femmes dans la musique live.

Article original publié sur BFMTV.com