Après les propos de José Gonzales, retour sur l'histoire tortueuse du RN avec l'Algérie française

Après les propos de José Gonzales, retour sur l'histoire tortueuse du RN avec l'Algérie française

Une séquence médiatique lourde de symbole. Ce mercredi, le doyen de l'Assemblée nationale, le député Rassemblement national José Gonzalez, a exprimé son émotion en pensant à "ses amis morts" en Algérie en ouvrant la toute première séance de la nouvelle mandature. Ce pied-noir, né à Oran en 1942, a ensuite assuré "ne pas savoir" si l'OAS avait commis des crimes durant la guerre d'Algérie. Tout en assumant les propos de son élu ce jeudi matin, Marine Le Pen n'a eu de cesse ces dernières années de tenir le sujet, hautement inflammable, à distance. BFMTV.com vous résume la relation du parti avec la guerre d'Algérie.

Le Front national (l'ancien nom du RN NDLR) que Jean-Marie Le Pen a cofondé en 1972 est né en grande partie sur les décombres de ce conflit. Ancien engagé dans le premier régime étranger de parachutistes en Algérie française avant de rejoindre le Front national combattant, le nonagénaire a été matricé par ce conflit.

"Un parallèle entre les ennemis d'hier et ceux d'aujourd'hui"

C'est également le cas de Roger Holeindre, l'un des autres cofondateurs du parti qui a, lui, fait ses armes au sein de l'OAS, une organisation qui a tenté de tuer Charles de Gaulle lors de l'attentat du Petit-Clamart en 1962. L'un des avocats des accusés, Jean-Louis Tixier-Vignancourt, est candidat à la présidence de la république trois ans plus tard, et sa campagne est alors dirigée par Jean-Marie Le Pen.

La cause de l'Algérie française, élément moteur des débuts du parti, a permis de nourrir ses arguments pour lutter contre l'immigration.

"Le mouvement avait opté pour un angle bien précis: opérer un parallèle entre les ennemis d'hier et ceux d'aujourd'hui en montant d'une certaine façon que la guerre d'Algérie était inachevée et qu'elle se poursuivait à la fin des années 1970", explique l'historienne Valérie Igounet, spécialiste du Rassemblement national sur son blog.

Vivier électoral

Les harkis et les pieds-noirs deviennent également une clientèle électorale à conquérir. Les premiers maires FN, à l'exception de Dreux, se sont tous fait élire dans des territoires comportant une importante communauté comme Jacques Bompard à Orange et Bruno Mégret à Vitrolles en 1995.

Références à l'Algérie française dans de nombreux discours de Jean-Marie ou de ses lieutenants comme le numéro 2 du parti Bruno Gollnisch, pieds-noirs ou harkis présents dans tous les scrutins de liste comme le souligne l'historien Abderahmen Moumen, la question infuse la vie du parti.

"Puis, on s'est mis de moins en moins à en parler, d'abord parce que le temps passait et que même si la mémoire restait vive, elle travaillait moins la société française qu'à une époque. Et aussi parce que, quand Marine Le Pen a visé la tête du RN, elle s'est dit qu'il fallait mettre entre parenthèses le sujet qui renvoyait à d'autres heures du parti", souligne un ancien élu auprès de BFMTV.com.

Plus de rue du 19 mars 1962 dans les mairies RN

Si la question se fait moins présente médiatiquement pour tenter de dédiaboliser le RN, elle reste vivace. Marine Le Pen a par exemple accompagné Louis Aliot, dont la mère est une rapatriée d'Algerie, à l'été 2011 dans un "salon du savoir-faire pied noir". L'occasion pour elle de rappeler devant les participants le rôle de son père durant la guerre d'Algérie.

La nouvelle génération de maires élus en 2014 fait également passer ses messages. Lors de la débaptisation de la "rue du 19 mars 1962 Fin de la Guerre d'Algérie" en 2015, le maire Julien Sanchez explique vouloir "laver l’affront" des Français qui ont souffert".

Robert Ménard, l'édile de Perpignan, prend la même décision en 2015 et rebaptise la rue du 9 mars 1962 du nom du Commandant-Hélie-de-Saint-Marc. Le nom de ce militaire reste associé à la torture et au putsch des généraux en 1961. Condamné pour cet acte à dix ans de prison, le gradé avait été gracié en 1966 et réhabilité en 1978.

Passe d'armes entre Le Pen et Macron

Le sujet revient sur le devant de la scène nationale à l'occasion d'une visite d'Emmanuel Macron en Algérie en pleine campagne présidentielle en 2017. "La colonisation a été un crime contre l'humanité", avance-t-il à la télévision algérienne.

"Y a-t-il quelque chose de plus grave, quand on veut être président de la République, que d’aller à l’étranger pour accuser le pays que l’on veut diriger de crime contre l’humanité ?", lui répond alors son adversaire sur Twitter.

Nouvelle polémique en 2021 quand le président reconnaît "au nom de la France", que l'avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel avait été "torturé et assassiné" par l'armée française pendant la guerre d'Algérie en 1957.

Marine Le Pen regrette alors sur les réseaux sociaux "des signaux désastreux de repentance, de division et de haine de soi".

Perpignan, ville-marqueur

Entre ces deux polémique, Louis Aliot gagne les municipales à Perpignan en 2020, tout un symbole. En 1962, 12.000 pieds-noirs et 12.000 harkis y étaient arrivés - un chiffre considérable pour une ville d'environ 80.000 habitants à l'époque.

Depuis son élection, l'ancien compagnon de Marine Le Pen n'a de cesse d'organiser des événements autour de la mémoire de l'Algérie française, de 3 jours de commémoration à l'occasion des soixante ans de l'exode des pieds-noirs à l'inauguration d'un square Mourad Kaouah, député de l'Algérie française de 1958 à 1962, au grand dam de certains historiens, comme le rapporte L'Express.

La campagne présidentielle de 2022 reste, elle, relativement éloignée de ces sujets, au grand soulagement des plus jeunes du parti.

Une histoire loin des plus jeunes élus

"On a eu l'impression de fermer certains chapitres de l'histoire du parti ces dernières années pour se consacrer désormais entièrement à des sujets de la vie quotidienne comme le pouvoir d'achat", décrypte un député fraîchement élu.

Le diagnostic est partagé par l'un des plus jeunes parlementaires du groupe.

"L'Algérie française garde une portée symbolique mais c'est vrai que les gens qui entrent au parti aujourd'hui ne le font plus jamais pour cette raison. Pour les gens de ma génération, tout ça nous semble bien loin", confie un autre à BFMTV.com.

Le Pen droite dans ses bottes

Éric Zemmour qui a placé à plusieurs reprises sa campagne sur le terrain des questions historiques, du conflit de la Seconde Guerre mondiale, à Napoléon en passant par les tirailleurs sénégalais, a également permis à Marine Le Pen d'éviter ces sujets.

Jusqu'à l'ouverture de la nouvelle session parlementaire avec le discours de José Gonzales qui a choqué sur les bancs de la gauche. Mais l'ancienne candidate à la présidentielle assume.

"Ce n'est pas un dérapage, il a fait un très beau discours, un discours très digne, très républicain, qui a été salué quasi unanimement par des applaudissements nourris de l'Assemblée nationale", a réagi ce mercredi Marine Le Pen sur France Info.

Une façon d'en finir avec une polémique dont elle se serait bien passée, elle qui rêve de se servir de ses 89 députés à l'Assemblée nationale pour se crédibiliser auprès des Français.

Article original publié sur BFMTV.com