Après le veto à l'Onu, Moscou vise l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques

par Anthony Deutsch

LA HAYE (Reuters) - Après avoir opposé son veto au renouvellement du mandat de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) en Syrie, la Russie propose de modifier les règles encadrant le travail de ses inspecteurs, ce qui pourrait nuire à leurs recherches, selon des diplomates occidentaux et des experts.

Le projet co-rédigé par la Russie et l'Iran, que Reuters s'est procuré, cherche à remanier les procédures de travail des inspecteurs de l'OIAC et la manière dont leurs conclusions sont diffusées.

Inscrit à l'ordre du jour d'une réunion du conseil exécutif de l'OIAC ce mardi, il a peu de chance d'être adopté mais il illustre une nouvelle fois l'opposition entre la Russie, proche alliée du régime de Bachar al Assad, et les Occidentaux sur la création d'une commission d'enquête chargée de déterminer les auteurs des attaques chimiques commises en Syrie.

L'ambassadeur de Russie auprès de l'OIAC, Alexandre Choulguine, a déclaré dans une interview à Reuters que Moscou restait liée à l'organisation internationale et à ses efforts pour poursuivre les auteurs d'attaques chimiques.

Mais, a-t-il ajouté, la Russie n'est "pas convaincue par certaines conclusions impliquant le gouvernement syrien".

Il s'interroge aussi sur la décision "prise sous le prétexte des conditions de sécurité" ne pas envoyer d'inspecteurs de l'OIAC à Khan Cheikhoun, un village de la province d'Idlib où une attaque au gaz sarin a fait plus de 80 morts le 4 avril dernier.

L'OIAC avait expliqué à l'époque que ses équipes ne pouvaient enquêter sur place en raison de l'insécurité - des inspecteurs de l'organisation avaient essuyé des coups de feu lors de précédentes investigations en 2013 et 2014.

Les enquêteurs ont conclu à une attaque au gaz sarin après analyse de prélèvements sanguins sur des victimes qui avaient été transférées en Turquie.

Le projet russe stipule que l'OIAC devrait s'abstenir de diffuser "des conclusions qui ne sont pas fondées sur les résultats d'investigations menées sur le terrain".

STRATÉGIE GLOBALE

A l'image de Gregory Koblentz, spécialiste des questions de non-prolifération à la George Mason University, en Virginie, des experts y voient une tentative de sabotage des missions de l'OIAC.

"Le but suprême de la Russie est de compromettre la capacité de la mission d'information de l'OIAC de faire son travail avec professionnalisme et sans ingérence politique", estime l'universitaire américain.

"Ce projet de résolution doit être replacé dans le contexte d'une stratégie russe visant à nuire à toutes les investigations internationales sur l'usage d'armes chimiques par le gouvernement syrien", ajoute-t-il.

Vendredi dernier au Conseil de sécurité, la Russie a fait obstacle à un projet de résolution présenté par les Etats-Unis pour renouveler le mandat de la commission d'enquête de l'Onu et de l'OIAC, appelée Mécanisme d'enquête conjoint (Joint Investigative Mechanism).

C'est cette instance qui avait imputé au gouvernement syrien la responsabilité de l'attaque sur Khan Cheikhoun.

En vertu d'un accord russo-américain conclu à Genève en 2013 après une attaque au gaz sarin dans la Ghouta orientale, le régime syrien a accepté de transférer à l'étranger tous ses stocks d'armes chimiques. Des dizaines de pays ont participé au retrait et à la destruction d'armes chimiques syriennes, mais les attaques ont continué.

Les enquêteurs ont conclu à des attaques menées par les forces gouvernementales et par des les djihadistes du groupe Etat islamique (EI). Damas a démenti ces accusations.

(Henri-Pierre André pour le service français)