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Apaches : pourquoi c'est si compliqué de faire un film de genre en France ? Le réalisateur Romain Quirot nous répond

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Deux ans après le film de science-fiction Le Dernier Voyage, le jeune réalisateur français Romain Quirot revient avec le film de gangsters Apaches. Ce film très graphique porté par Alice Isaaz, Niels Schneider, Rod Paradot et Artus s'inspire du gang de voyous qui faisait régner la terreur dans la Capitale à La Belle époque.

En 1900, de Montmartre à Belleville, Paris est aux mains de gangs ultra violents qui font régner la terreur sur la capitale : les Apaches. Prête à tout pour venger la mort de son frère, une jeune femme intègre un gang. Mais plus elle se rapproche de l’homme qu’elle veut éliminer, plus elle est fascinée par ce dernier.

Un film de genre historique mais moderne à la bande son pop qui détonne dans le paysage cinématographique français. Car Romain Quirot est un cinéaste qui ose et qui a choisi de faire les films qu'il avait envie de voir. Fan de Martin Scorsese, Quentin Tarantino et surtout de Takeshi Kitano, il insuffle un vent nouveau sur le cinéma de genre français. Avec Apaches il nous livre un film de vengeance rythmé et graphique.

Nous nous sommes entretenus avec le réalisateur qui nous explique pourquoi c'est encore si difficile de faire un film de genre en France.

AlloCiné : Votre premier long-métrage Le Dernier Voyage était un film de science-fiction. Apaches est également un film de genre, mais cette fois-ci il s’agit d’un film de gangsters. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire un film sur ce gang qui faisait régner la terreur dans le Paris de La Belle époque ?

Romain Quirot : Le Dernier Voyage était un peu un film impossible à faire. C'est un film de science-fiction et on nous dit qu'il ne faut pas faire de films de science-fiction en France. Je me suis battu pendant sept ans pour y arriver. Ça a vraiment été une aventure portée par une rage de cinéma, de dire  "On peut faire des films comme ça en France. "

On a eu de la chance. Le film a plutôt bien fonctionné, en tout cas suffisamment pour qu'on me laisse faire un deuxième film. Je me suis dit : "Est-ce que tu as envie de t'assagir ou est-ce que tu as envie de continuer à explorer des univers comme ça, des genres de films qu'on n'ose pas trop aborder en France ?"

J’ai grandi avec le cinéma de Martin Scorsese, Quentin Tarantino mais aussi Takashi Kitano. Tous ces films me fascinaient et j’ai remarqué qu’on n’ose pas faire ce style de films en France.

Quand j'ai entendu parler des Apaches, je me suis dit qu’il y avait dans ces gangs de la Belle Époque une énergie, une rage et une cinématographie. J’y ai tout de suite vu un nouveau terrain de jeu, un nouvel univers à explorer.

AlloCiné : Pourquoi est-ce si compliqué de faire des films de genre en France selon vous ?

Romain Quirot : C'est compliqué de faire un film de genre essentiellement parce qu'on a peur. Parce que les décisionnaires ont peur d'aborder ce genre de film.

Ça change un petit peu, heureusement, il y a des contre exemples, mais globalement, ce n'est pas des films qui sont faciles.

C'est compliqué de faire un film de genre en France, essentiellement parce qu'on a peur.

Après Le Dernier Voyage, alors qu'on avait réussi à prouver quelque chose, quand on a dit : le deuxième film, ça va être sur les Apaches, ça va être un film historique, mais aussi de vengeance, les producteurs nous ont dit : "Vous ne voulez pas faire un truc un peu moins... ? "

L'avantage, c'est que c'est un film indépendant, c'est un film qui est assez libre. Je n'ai pas été brimé. Ce n'est pas comme si on avait une grosse chaîne derrière qui me disait qu’il fallait enlever des scènes de violence, parce que pour un film sur les Apaches, la violence est intrinsèque.

En fait c'est plus la rage d'arriver à convaincre et une fois qu'on a réussi à avoir suffisamment d'argent pour se dire qu’on peut faire un film qui nous convient, on était assez libres.

AlloCiné : Est-ce que le fait d'avoir déjà fait "Le Dernier Voyage", vous a aidé à monter plus facilement ""Apaches ou est-ce qu'il y avait encore des réticences ?

C'est sûr que Le Dernier Voyage a aidé. Parce que ça prouvait des choses. Après, c'est un autre genre. Ça a aidé, mais ça n’a pas empêché les producteurs d'avoir peur. Parce que ça reste des films qui sont des films difficiles à aborder. Il faut convaincre, il faut dire : "Pourquoi nous, on n'oserait pas faire un film sur des gangs ? Pourquoi on n'oserait pas faire un film stylisé avec de la violence ?"

Quand les Américains le font on kiffe, mais on ne se permet pas de le faire en France

Parce que les Apaches étaient comme ça, ils étaient stylés, ils avaient de la violence en eux. Moi, je suis un amoureux de cinéma et c'est un film que j'aurais aimé voir quand j'étais jeune. Et là, on nous dit "Non, non, vous, vous ne faites pas ça." Par contre, les Américains le font, on kiffe, les Sud coréens le font, on est en transe, mais nous, on ne se permet pas de faire ça.

Moi, mon rôle en tant que jeune réalisateur, c'est de dire : les portes, les barrières que vous nous mettez, je vais essayer de les défoncer. En tout cas, je ne vais pas me laisser enfermer dans une case. Je déteste ça.

Ce n'est pas de la provocation, ce n'est pas une posture mais quand on me dit : "C'est ça le genre de film que tu dois faire", ça m'agace. Laissez-moi proposer autre chose.

AlloCiné : Justement, le public semble de plus en plus demandeur de films de genre français, ils veulent de la nouveauté.

Ce que j’aime faire en tant que jeune metteur en scène c’est assumer une sorte de pop culture française. On a tout un univers de science-fiction, Méliès faisait des films de SF... Donc pourquoi aujourd’hui on se dit qu’on sait pas faire, ça me rend fou !

Et sur les gangs, on a eu les Apaches et il n’y a qu’un seul film qui en parle : Casque d’or avec Simone Signoret,et le film est très éloigné d’un film de gang. Le mot « Apaches » n’est même pas prononcé. C’est très éloigné de ce que je voulais faire.

Après, c'est le problème de la France. C'est un pays qui est un peu tiraillé. On aimerait bien avoir des films comme ça, mais en même temps, quand on les a on peut vite tomber sur des armées de haters qui disent "Les gars, vous vous prenez pour qui ? "

Assumer et se battre

Il faut assumer. Faire un film, c'est tellement dur, c'est tellement compliqué. C'est des années et des années de combat et c'est un miracle quand on y arrive, quand le truc ne s'effondre pas au dernier moment.

Donc, on est quand même porté par une énergie, il faut croire très fort en son projet et ne pas avoir peur parce que untel a peur ou parce que tel hater a dit ça… À un moment, il faut dire : "Non, c'est le genre de film que j'ai envie de proposer et je vais me battre pour ça."

AlloCiné : Quand on voit "Apaches" et "Le Dernier voyage" on remarque des similitudes. Vous avez déjà une vraie patte, une marque de fabrique .Quelles sont vos influences ?

C'est gentil, merci. En fait, j'ai envie de faire des films qui sont décomplexés. J'ai envie de faire des films où on se permet des choses, où avoir du style et assumer un langage cinématographique n'est pas un gros mot.

Il y a des films qui m'ont marqué quand j'étais jeune. Je me souviendrai toujours dans quel état j'étais quand je suis sorti du cinéma après avoir vu Old Boy. J'étais jeune et j'ai pris une claque et je me suis dit :"C'est de la folie ! La liberté de ce genre de film, de ce cinéma". C'est quelque chose qui est resté en moi.

Après, on est nourri. Moi, je suis nourri de plein de choses. J'ai adoré, comme tout le monde les films de Scorsese, Tarantino, évidemment, mais aussi Pierrot le Fou.

Je trouve fascinant que Godard réinterprète le mythe de Bonnie & Clyde à la française. Il en ressort un univers génial qui appartient à notre monde. Il y a un truc que je trouve génial dans le fait d'assumer et de retranscrire ce genre d'univers en France.

J’ai envie de faire des films libres, d'assumer une culture populaire française et de ne pas trop écouter ce qu'on voudrait que je fasse ou ce qui paraît plus facile à monter. J'aime bien les projets un peu difficiles parce qu'il y a un challenge qui est excitant en tant que réalisateur.

En France, on fait de la comédie parce que c'est plus facile à vendre.

Ce qu'il faut, à mon sens, c'est se laisser de la diversité et ne pas s'enfermer dans un truc. Tout le monde le dit… En France, on fait de la comédie ou du film social parce que c'est beaucoup plus facile à vendre.

Je pense qu'il y a une nouvelle génération qui a envie de bouger ça. En tout cas, moi, c'est un petit combat que je mène dans mon coin. Enfin, je suis entouré, je ne suis pas seul. Il y a évidemment des producteurs et des comédiens qui ont aussi cette envie.

Pendant le tournage d’Apaches, à un moment, il y avait une scène avec un plan séquence de 15 minutes sous la pluie. Le genre de scène pour laquelle il nous faudrait normalement des mois de préparation et on l'a tournée en deux jours. Mais à la fin, on s'est regardé et on s'est dit "Putain, on fait du cinéma ! ". Et ça, c'est cool.

AlloCiné : Quel a été le plus gros challenge sur ce film ?

On est dans une économie qui est difficile, les gens qui vont payer leur place, fondamentalement, se fichent de savoir que c'est français, qu'il y a moins d'argent, que ci, que ça... Il faut créer un monde qui soit assez fort, assez puissant pour les emmener.

C'est assez dur de faire un film historique en France, il faut que ça réponde à certains codes. Et quand j'arrive en disant aux producteurs : "C'est un film historique avec le côté compliqué de la reconstitution, mais c'est aussi un film de gang avec de la vengeance, il y a des scènes de violence..." Ça paraît compliqué dans l'économie actuelle et dans le temps de tournage imparti.

Et donc le plus gros challenge a été de transformer chacune des contraintes, et elles ont été très nombreuses sur Apaches. C'est un combat de dingue.

Une idée créative née de la contrainte

Par exemple il y a une scène de tuerie de bourgeois : c'est quatre jours de tournage parce qu'il faut du faux sang, les comédiens, les techniciens... Mais ça ne rentrait pas dans le plan de travail et c'était impossible en terme de temps et d’économie de faire cette scène. Et moi mon rôle, c'est de dire "Attendez, on ne va pas enlever la scène ! "

Donc je me suis demandé comment on pouvait la modifier et j'ai eu l'idée de la tourner en un plan fixe et en cinéma muet. C’est donc devenu une séquence de violence filmée comme un film muet et ça donne un côté assez cool à la scène parce que le film se déroule à l’époque de l'invention du cinéma. De la contrainte est née une idée créative, et à la fin, je me suis dis que je préférais l'avoir fait comme ça que l'avoir tourné de façon plus conventionnelle.

Quand on aborde ce genre de cinéma, il faut accepter qu’il y aura beaucoup contraintes et que ça va être très dur. Il faut se dire qu'à chaque fois qu'on te met un mur devant, il faut trouver une façon cool de passer au dessus ou de le défoncer.

En tout cas il faut essayer de garder le positif et de rester dans le créatif parce que sinon tu abandonnes. Souvent, on a envie de dire "Vous savez quoi ? J'arrête. C'est bon, vous avez gagné ! C'est trop difficile. Vous avez raison, ne faisons pas ce genre de truc."

Mais quand on a envie, quand on est porté, animé par un truc comme ça, on ne peut pas lâcher, donc on va au bout.

AlloCiné : Il faut être têtu pour arriver à s’imposer en fait.

Il faut être hyper têtu, il ne faut rien lâcher. En fait, ceux qui font des films, ce ne sont pas les meilleurs, ce sont ceux qui n’ont pas lâché. Il ne faut pas non plus être dans sa bulle à n’écouter personne, parce que je pense que c'est dangereux aussi. Mais il faut aussi à un moment avoir un truc en tête.

A 3 jours du tournage tout a failli se casser la figure

Là, à trois jours du tournage, tout a failli se casser la figure. Il y a eu un petit moment de panique en disant "Mais on n'y arrivera pas. Dans le temps et l'économie, c'est chaud." Et il faut dire "Faites moi confiance, on va y arriver."

C'est comme un capitaine de bateau dans la tempête. Il faut tenir un cap et dire "Ça va passer. Pas sûr à 200 %, mais ça va passer."

AlloCiné : Pensez-vous qu’il y a un renouveau du cinéma français  ?

On voit qu'il y a une envie, en tout cas. Il y a une envie d'un cinéma un peu différent. Il y a plusieurs films qui arrivent à se monter, qui arrivent à émerger, que ce soit en festival, que ce soit Le Visiteur du futur qui a bien marché...

Donc, on sent que même du côté du public ça intéresse. Il y a un truc qui frémit, qui est assez intéressant. Mais ça reste difficile. Ce serait se mentir que de se dire "Ça y est, ça a changé, c'est l'âge d'or, on peut faire ce qu'on veut, on est libres et on s'éclate, on a de l'argent pour le faire."

La vérité, c'est que c'est encore un combat, mais en tout cas, c'est un combat qu'on arrive un peu à mener. Là, je me dis, j'ai fait ce premier film, j’ai réussi à faire ce deuxième film qui est un film libre, qui se permet de mettre du Johnny Hallyday, du The Stooges et même du hip hop.

Et je n’ai pas envie de m’assagir pour mon prochain film. J'ai envie de continuer d'être porté par une énergie comme ça et aborder des territoires qu'on n'ose pas trop explorer en France.

Véritable objet cinématographique, Apaches est à découvrir au cinéma dès ce mercredi 29 mars.

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