Avec « Anora », Sean Baker et Mikey Madison brisent les stéréotypes sur les travailleuses du sexe, mais pas que
CINÉMA - Foncièrement drôle, touchant, parfois provocant mais jamais racoleur, Anora est à l’image de son héroïne. Le film de Sean Baker, sacré Palme d’or au Festival de Cannes 2024, au cinéma depuis mercredi 30 octobre. L’actrice Mikey Madison y joue une stripteaseuse dont la vie prend une tournure de Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un richissime oligarque russe.
Sean Baker Palme d’or pour son film « Anora », il la dédie à « toutes les travailleuses du sexe »
Ni une ni deux, le prince charmant en rébellion contre ses parents et la danseuse de Brooklyn se disent oui à Las Vegas. Anora, dite Annie, emménage dans la somptueuse villa new-yorkaise d’Ivan. Mais ce tourbillon d’amour, de paillettes et de drogues prend soudain une tout autre tournure. Les parents d’Ivan veulent faire annuler le mariage et envoient leurs sbires pour s’assurer que les deux tourtereaux mettent fin à cette union qui salit leur réputation.
Mais Ivan prend la fuite et la jeune Annie se retrouve, malgré elle, embarquée dans une épopée dangereuse à la recherche de son mari. Le film s’ouvre sur une plongée authentique dans le monde des travailleuses du sexe, sujet de prédilection du réalisateur américain depuis Starlet et Tangerine.
Une Cendrillon stripteaseuse
Les scènes dans les coulisses du club de strip-tease montrent aussi bien la solidarité que la rivalité entre les danseuses. Le film de Sean Baker rappelle que le monde du travail du sexe n’est pas bien différent de celui en open space : querelles entre collègues, managers abusifs, bataille pour faire respecter sa pause déjeuner… « Les gens ne se rendent pas compte que c’est aussi dur que tout autre boulot. Les travailleuses du sexe que j’ai rencontrées ont un fort sens de l’éthique professionnelle », explique le réalisateur au HuffPost, dans notre interview vidéo en tête d’article.
Sean Baker espère qu’en racontant des histoires avec « des personnages complets et humanisés », ses films pourront aider à combattre la stigmatisation autour du « plus vieux métier du monde ». Anora ne prétend d’ailleurs pas être représentatif de tout le travail du sexe, mais il offre une plongée sincère dans le monde du striptease et fait rayonner une héroïne en contrôle de son destin. Annie est présentée comme une battante et non comme une victime. Le personnage principal, qui vit avec sa sœur, est le gagne-pain de la famille, débrouillarde et terre à terre.
Pour se préparer à ce rôle exigeant, aussi bien physiquement qu’émotionnellement, Mikey Madison a travaillé avec des stripteaseuses consultantes sur le film pour apprendre à danser et « ajouter autant de détails réalistes que possibles ». L’actrice américaine de 25 ans a également appris à parler russe, langue très présente dans le film. Annie sait se montrer charmante et faire plaisir aux hommes mais elle sait aussi se battre et jurer.
« Je voulais qu’elle soit forte mais qu’elle soit aussi nuancée quand il s’agit des émotions », développe Mikey Madison sur ce « personnage à plusieurs niveaux ». Derrière son image de « bad-ass », l’héroïne est surtout une jeune femme qui veut croire au prince charmant et va se retrouver heurter au stigma entourant son choix de profession.
Sean Baker brise tous les clichés
Si Anora prend par moments des airs de conte de fées, c’est pour mieux se jouer des clichés. « On présente aux spectateurs une comédie romantique, on vend le film comme tel », note Sean Baker, en montrant l’affiche, « et ça l’est, pendant les 45 premières minutes. Et ensuite le film bascule dans quelque chose de complètement différent ». À partir d’une scène coup-de-poing (et même de pieds), Anora se transforme en road trip absurde. L’escalade de la gravité de chaque scène va de pair avec les rires dans la salle de cinéma. Aussi crue que drôle, la violence verbale des personnages rythme les dialogues.
Et les clichés de prime abord se révèlent être volontaires. « Avec chaque personnage du film, on met en place des stéréotypes pour ensuite les briser », s’amuse Sean Baker. Ivan n’est ainsi pas exactement ce que le spectateur, ou Annie, attendrait d’un jeune milliardaire. Les grands méchants envoyés par son père se prennent une raclée par la jeune fille et subissent tout autant qu’elle les caprices enfantins d’Ivan.
C’est avec ce trio improbable que Sean Baker fait progressivement apparaître la vulnérabilité de chaque personnage. L’acteur Youri Borissov est formidable dans le rôle d’Igor, grand gaillard en apparence imperturbable, embauché pour maîtriser physiquement la situation. Toros, le bras droit du père d’Ivan et parrain du jeune homme, est un prêtre orthodoxe, dépassé par la situation. L’acteur Karren Karagulian, présent dans tous les films de Sean Baker, l’incarne. Il est accompagné par un autre personnage de la diaspora arménienne, Garnyck (Vache Tovmasyan), qui procure lui aussi son lot de moments humoristiques.
Après la romance puis la violence et la comédie, la dernière scène du film change de nouveau de registre. Pendant 2 h 20, Sean Baker nous en a fait voir de toutes les couleurs. « Je le décrirais comme un film très imprévisible. C’est drôle, triste, un mélange de genres intéressant », estime Mikey Madison, avant de résumer Anora de la meilleure façon : « C’est un film de Sean Baker, en somme ! ». Et sûrement son meilleur, Palme d’or à l’appui.
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