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Les rebelles syriens soutenus par Ankara ont repris Djarablous

par Humeyra Pamuk et Jeff Mason ANKARA/KARKAMIS, Turquie (Reuters) - Des rebelles syriens, appuyés par les forces spéciales turques et des blindés et avions turcs, ont repris mercredi la ville de Djarablous, l'un des derniers bastions des djihadistes de l'Etat islamique (EI) dans le nord de la Syrie, a annoncé le président turc Recep Tayyip Erdogan. D'après l'agence de presse turque Anadolu, l'armée turque n'a subi aucune perte au cours de cette opération lancée en début de journée. Un rebelle syrien a en revanche été tué avant que les djihadistes n'abandonnent la ville. Il s'agit de la première incursion majeure de l'armée turque en territoire syrien mais celle-ci ne s'arrêtera pas avec la prise de Djarablous, a déclaré un responsable turc. L'opération appelée "Bouclier de l'Euphrate" vise à empêcher les combattants étrangers de circuler librement et à couper leurs voies d'approvisionnement, a-t-il poursuivi, précisant qu'elle se poursuivra tant qu'Ankara ne considérera pas que sa sécurité nationale est assurée. Outre l'EI, l'intervention militaire turque vise également à empêcher les miliciens kurdes syriens, qui contrôlent déjà une bande de territoire de 400 km le long de la frontière, de poursuivre leur progression vers l'Ouest. Ankara considère le Parti de l'Union démocratique (PYD) et sa branche armée, les Unités de protection du peuple (YPG), comme le prolongement syrien de ses propres séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Lors d'une conférence de presse conjointe avec le vice-président américain Joe Biden, dont le pays a fait des YPG le fer de lance de la lutte contre l'EI en Syrie, Recep Tayyip Erdogan a répété mercredi soir que la Turquie considérait la milice kurde comme une organisation terroriste. "Ce n'est pas parce qu'une organisation terroriste combat une autre organisation terroriste qu'elle est innocente", a-t-il dit. Le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, avait auparavant sommé les combattants kurdes, qui multiplient les victoires dans le nord de la Syrie, de se replier à l'est de l'Euphrate, faute de quoi la Turquie "fera le nécessaire". DAMAS CONDAMNE, PARIS APPLAUDIT A Djarablous, un commandant du groupe rebelle syrien Faïlak al Cham, qui a requis l'anonymat, a dit à Reuters que les djihadistes de l'EI avaient fui en direction du Sud, et que certains s'étaient rendus. "Les combattants de Daech (l'Etat islamique) se sont retirés de plusieurs villages des abords de Djarablous et se dirigent vers le Sud, vers la ville d'Al Bab", a-t-il dit. Selon lui, les rebelles ont pris le contrôle de quatre autres villages du nord de la Syrie, et une cinquantaine de djihadistes de l'EI ont été tués depuis le début de l'opération. A Damas, le ministère syrien des Affaires étrangères a condamné l'incursion militaire turque, parlant d'atteinte à la souveraineté du pays, a rapporté la télévision officielle syrienne. A Paris, en revanche, les autorités françaises ont salué "l'intensification des efforts" de la Turquie dans la lutte contre l'EI. Côté kurde, Saleh Mouslim, chef du PYD, a déclaré sur Twitter que la Turquie mettait en Syrie le pied dans un "bourbier" et risquait d'y subir une défaite, tout comme l'EI. La milice kurde YPG a parlé d'"ingérence flagrante dans les affaires intérieures de la Syrie". Les YPG se sont emparées mardi de la quasi-totalité de la ville de Hassaka, où elles ont infligé une sévère défaite aux forces pro-gouvernementales syriennes. Pièce maîtresse de la campagne américaine de lutte contre le EI, elles tiennent une bonne part du nord de la Syrie, région qui jouit d'une autonomie de fait depuis le début du conflit, et militent pour l'instauration d'un régime fédéral afin de préserver cette autonomie, dans le cadre d'un règlement du conflit. WASHINGTON A MIS EN GARDE LES KURDES Elles contrôlent une bande de 400 km le long de la frontière turque, qui va de la frontière irakienne à l'Euphrate, ainsi qu'une poche appelée Afrin dans le Nord-Ouest syrien. Avant la prise d'Hassaka, les miliciens kurdes avaient déjà obtenu une grande victoire le 12 août en chassant l'EI de Manbij, à 40 km au sud de Djarablous, sous la bannière des Forces démocratiques de Syrie (FDS), l'alliance soutenue par les puissances occidentales à laquelle ils appartiennent. A Ankara, on redoute que leurs succès n'attisent les ambitions de leurs frères turcs du PKK, qui ont repris les armes en juillet 2015 lorsque que Recep Tayyip Erdogan s'est lancé dans une "guerre synchronisée" contre l'EI et les séparatistes. Le vice-président américain, Joe Biden, est arrivé en Turquie quelques heures après le début des opérations. Il est le plus haut responsable américain en visite dans ce pays depuis le coup d'Etat manqué du 15 juillet. Un haut responsable de l'administration américaine accompagnant Joe Biden a indiqué que Washington souhaitait aider la Turquie à chasser l'EI des zones frontalières et fournissait un appui aérien aux Turcs. Les avions américains ont mené huit frappes aériennes à Djarablous, a précisé mercredi soir un responsable du Pentagone. Lors d'une conférence de presse aux côtés de Joe Biden, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, a estimé que les Etats-Unis devaient revenir sur le soutien qu'ils accordent aux YPG afin d'empêcher une nouvelle escalade dans la région. Allant dans le sens des Turcs, Biden a dit que Washington avait clairement signifié aux forces kurdes syriennes qu'elles devaient repasser à l'est de l'Euphrate, après avoir conquis la ville de Manbij, afin de conserver le soutien des Etats-Unis. La Turquie et les Etats-Unis espèrent qu'en chassant l'EI du secteur, ils pourront priver l'organisation d'une voie par laquelle, de longue date, elle reçoit des combattants étrangers et des financements grâce à divers trafics. L'offensive de mercredi a débuté quatre jours après l'attentat suicide imputé à l'EI qui a fait 54 morts lors d'un mariage à Gaziantep, dans le sud-est de la Turquie. (Avec les bureaux d'Ankara, Istanbul et Beyrouth; Danielle Rouquié, Jean-Philippe Lefief, Eric Faye et Tangi Salaün pour le service français)