Androcur et tumeurs du cerveau : vers un nouveau scandale sanitaire ?

Lancé dans les années 1980 par la firme Bayer, ce médicament qui inhibe les effets des hormones sexuelles mâles serait responsable de plusieurs centaines de cas de méningiomes.

L'Androcur, un médicament progestatif au cœur d'un possible scandale sanitaire (illustration) (Photo : Getty Images)

Les éléments transmis à la justice laissent craindre un scandale sanitaire comparable à ceux du Mediator et de la Dépakine. Ce mardi 5 novembre, une plainte a été déposée auprès du tribunal judiciaire de Paris par l'association Amaeva, regroupant plus de 1000 victimes de l'Androcur et d'autres traitements hormonaux dérivés de la progestérone, médicaments accusés d'avoir provoqué des tumeurs au cerveau.

Comme le décrit l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'acétate de cyprotérone (molécule qui compose l'Androcur et ses équivalents) est un "dérivé de la progestérone" utilisé pour ses "propriétés anti-androgéniques". Plus précisément, selon le dictionnaire médical Vidal, "il s'oppose à l'action des hormones androgènes, essentiellement la testostérone".

Chez l'homme, cet effet se traduit d'après la définition du Vidal par un ralentissement de "la croissance des cellules de la prostate". Chez la femme, il peut permettre d'agir contre les petites quantités d'hormones masculines qui provoquent "des troubles de la pilosité et des excès de sébum".

Selon l'ANSM, dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché (AMM), l'Androcur peut être prescrit chez l'homme en traitement de "certaines formes de cancer de la prostate" et chez la femme uniquement "en dernier recours dans le traitement de certaines maladies hormonales se manifestant par une augmentation majeure du système pileux (hirsutisme)".

L'ANSM reconnaît toutefois que l'Androcur et ses équivalents "sont parfois prescrits en dehors de leur AMM, comme contraceptif, traitement contre l’acné ou l’hirsutisme modéré, ou encore dans les processus de transition de genre". Le Monde rappelle par ailleurs qu'après son lancement sur le marché par la firme Bayer dans les années 1980, l'Androcur a longtemps fait figure de "pilule miracle prescrite pendant des années pour traiter l’endométriose, l’acné, la chute de cheveux ou encore comme moyen de contraception".

D'après le dictionnaire Vidal, plusieurs effets secondaires particulièrement néfastes peuvent être associés à l'administration prolongée d'Androcur. La notice consacrée à ce médicament affirme ainsi qu'il "peut, à fortes doses, être responsable d'une atteinte du foie parfois grave", qui justifie un bilan hépatique en amont du traitement et un suivi médical renforcé pour les personnes souffrant de diabète ou d'une maladie chronique du foie.

Toujours selon le Vidal, des "accidents thromboemboliques", c'est-à-dire résultant "de l'obstruction (embolie) d'un vaisseau sanguin par un caillot (thrombus)" ont également été rapportés en lien avec la prise d'Androcur.

Le dictionnaire médical signale enfin que "des études ont montré une nette augmentation du risque de survenue de méningiome chez les patients traités par de l'acétate de cyprotérone à fortes doses sur une longue période". Ces cas de méningiome sont précisément ceux qui sont à l'origine de la plainte déposée mardi 5 novembre.

Dans son article intitulé "Androcur et risque de méningiome", l'ANSM explique que le méningiome est "une tumeur, le plus souvent non cancéreuse, se développant à partir des membranes qui enveloppent le cerveau et la moelle épinière (les méninges)". Il est à l'origine de symptômes variés, parmi lesquels "maux de tête fréquents, troubles de l’audition, vertiges, troubles de la mémoire, troubles du langage, faiblesse, paralysie, troubles de la vision, perte d’odorat, convulsions, nausées", selon l'ANSM, qui précise que la liste n'est pas exhaustive.

L'organisme public précise par ailleurs que "le méningiome représente plus d’une tumeur cérébrale primaire (non métastatique) sur trois" et qu'il s'agit de "la tumeur cérébrale la plus courante à partir de 35 ans". Relativement bénigne (si on la compare à d'autre types de tumeurs), cette affection nécessite toutefois, selon Le Monde, "une intervention chirurgicale à risque" et peut occasionner "des séquelles invalidantes (fatigue, maux de tête, perte de la vision ou auditive, troubles neurocognitifs, épilepsie…) plusieurs années après l’opération".

D'après l'ANSM, "9 personnes sur 100 000 sont susceptibles de développer un méningiome chaque année" en prenant pour base l'ensemble de la population française. Citant une étude de l'Assurance maladie datée de 2018, l'organisme affirme que cette proportion augmente de manière importante pour les populations féminines utilisant à fortes doses l'acétate de cyprotérone dans le cadre de traitements médicaux.

L'ANSM affirme ainsi que le risque de développer un méningiome est "multiplié par 7 au-delà de 6 mois de traitement" et "par 20 après 5 années de traitement". Ces chiffres s'appuient sur des cas très concrets observés par les autorités sanitaires dans le cadre de la structure EPI-PHARE, consacrée à l'épidmiologie des produits de santé. Selon les conclusions de cet organisme, relayées par Le Monde, "2 578 femmes ont été opérées d’un méningiome à cause de la prise d’un médicament progestatif entre 2009 et 2018".

L'association de victimes de l'Androcur (Amaeva) a donc saisi ce mardi 5 novembre le tribunal judiciaire de Paris, dans le but de faire reconnaître par la justice le préjudice vécu par des centaines de femmes victimes de méningiomes à cause de traitements progestatifs. Déposée contre X, la plainte recouvre selon Le Monde "cinq infractions pénales : administration de substance nuisible, atteinte involontaire à l’intégrité de la personne, mise en danger d’autrui, non-signalement d’effet indésirable, tromperie aggravée".

S'il est encore trop tôt pour savoir qui pourrait être poursuivi dans le cadre de l'ouverture d'une information judiciaire, les témoignages recueillis par l'Amaeva mettent notamment en cause le rôle joué par des gynécologues et des endocrinologues qui auraient prescrit le médicament "sans alerter les patients du risque de méningiome".

Le Monde indique par ailleurs que les plaignants dénoncent depuis des années "la réaction tardive du laboratoire et des autorités de santé" aux nombreuses alertes sur la dangerosité de l'Androcur. "Alors qu’il est commercialisé par Bayer depuis 1980, il faudra attendre 2019 pour que sa notice d’information mentionne clairement les risques de développer un méningiome et 2020 pour que la nécessité de pratiquer une IRM en début et en cours de traitement soit ajoutée à l’autorisation de mise sur le marché", souligne ainsi le quotidien vespéral.