Amnesty dénonce les arrestations de jeunes en Egypte

LE CAIRE (Reuters) - Amnesty International dénonce les arrestations massives de jeunes révolutionnaires et militants des droits de l'homme en Egypte, où les autorités issues du renversement du président islamiste Mohamed Morsi par l'armée à l'été 2013 mènent, selon l'ONG, une répression tous azimuts. Dans un nouveau rapport intitulé "Génération Prison: la jeunesse égyptienne des manifestations à la prison", publié mardi, Amnesty pointe du doigt l'arrestation de 41.000 personnes en deux ans et se penche plus particulièrement sur celle de 14 figures du soulèvement contre Hosni Moubarak en 2011 ou symboles de la liberté d'expression. L'organisation constate le rétablissement total de l'Etat policier qui prévalait avant le "printemps arabe" et fustige la complicité de la communauté internationale qui préfère fermer les yeux pour privilégier la signature de contrats, notamment d'armement, avec le président Abdel Fattah al Sissi, ancien chef de l'armée. "En ciblant sans relâche les jeunes activistes égyptiens, les autorités broient les espoirs d'avenir meilleur d'une génération entière", souligne Hassiba Hadj Sahraoui, vice-directrice du programme pour le Proche-Orient et l'Afrique du Nord d'Amnesty. Présentés comme une chance pour l'Egypte et le monde arabe après 2011, de nombreux jeunes révolutionnaires laïques "croupissent derrière les barreaux, preuve que l'Egypte est redevenue un Etat ultra-répressif", dit le rapport. Badr Abdelatty, porte-parole du ministère égyptien des Affaires étrangères, a rejeté ces accusations, affirmant que "la révolution du 30 juin (ndlr: les grandes manifestations qui ont précédé le renversement du président Morsi par l'armée) visait à donner du pouvoir à la jeunesse et à créer une nouvelle démocratie". Depuis ce coup de force, les autorités militaires ont livré une lutte sans merci aux Frères musulmans du chef de l'Etat déchu et aux groupes islamistes plus radicaux, dont l'un est affilié à l'Etat islamique, tuant ou condamnant à mort des milliers de leurs membres. Mais elles ont aussi ciblé les jeunes révolutionnaires libéraux et de gauche, notamment après l'adoption en novembre 2013 par décret présidentiel - l'Egypte n'a plus de Parlement élu depuis 2012 - d'une loi restreignant drastiquement le droit de rassemblement et revenant dans les faits à interdire les manifestations. HYPOCRISIE OCCIDENTALE Qualifiant cette loi de "passeport direct pour la prison", Amnesty relève que plusieurs figures du soulèvement de 2011, dont Ahmed Maher, Mohamed Adel et Ahmed Douma, fondateurs du "mouvement du 6 avril", et le blogueur Alaa Abdel Fatah se sont vu infliger de lourdes peines de prison pour avoir contesté ce texte. Le rapport cite aussi le cas de jeunes qui ont été arrêtés, jetés en prison sans jugement et torturés pour avoir porté des tee-shirts avec des slogans critiquant l'armée ou la torture. Le porte-parole de la diplomatie égyptienne interrogé par Reuters a nié tout arbitraire, assurant que "les personnes emprisonnées le sont sur décision du procureur général, donc en respectant l'état de droit". La justice égyptienne s'est illustrée ces deux dernières années par des procès de masse qui ont débouché presque à chaque fois sur des condamnations à mort ou à la prison à vie, sans même que la défense ait dans la plupart des cas eu droit à la parole et sans autre témoin à charge que la police. Amnesty critique à ce sujet "l'hypocrisie" des alliés occidentaux de l'Egypte, en leur reprochant de multiplier les grands plaidoyers en faveur de la démocratie sans rien faire pour que celle-ci soit respectée. "Les dirigeants mondiaux trahissent la promesse qu'ils avaient faite de se tenir aux côtés de la jeunesse d'Egypte quand Moubarak est tombé en février 2011. L'Egypte emprisonne des activistes pacifiques et la communauté internationale détourne le regard", accuse l'organisation. Amnesty fustige en particulier le silence de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne, qui ont été encore moins loin que les Etats-Unis dans leur critique des autorités du Caire, privilégiant la signature de gros contrats comme celui de l'avion de chasse Rafale français. "L'hypocrisie des partenaires de l'Egypte a été mise en évidence par la course aux contrats lucratifs, à l'influence politique et aux renseignements, ainsi que par de nouveaux transferts et ventes d'équipements de maintien de l'ordre susceptibles de faciliter des violations des droits humains", lit-on dans le rapport. Amnesty dénonce enfin l'assassinat du procureur général du Caire, tué lundi dans un attentat à la voiture piégée (voir {ID:nL5N0ZF1NP]), mais invite les autorités à ne pas saisir ce prétexte pour durcir encore la répression. (Michael Georgy et Shadi Bushra; Tangi Salaün pour le service français)