Amandine, morte de faim à 13 ans: entre actes de torture et humiliations, le calvaire infligé par la mère de l'adolescente

Des mois de souffrance, avant une mort en catimini. La jeune Amandine, 13 ans, meurt en 2020, chez elle, dans l'Hérault, affamée et battue par sa mère. Elle ne pèse alors que 28 kg pour 1m55.

Souffre-douleur depuis le plus jeune âge, Amandine subit des actes de tortures, des violences psychologiques, mais aussi des privations de nourriture et de soins de la part de sa mère. Sa situation se dégrade en 2020 pendant le premier confinement lié à la pandémie de Covid-19, son beau-père ne faisant rien pour la sauver.

Si plusieurs signalements sont effectués pour mauvais traitements, tous aboutissent à des non-lieux et l'adolescente meurt dans l'indifférence générale le 6 août 2020, d'un arrêt cardiaque.

Sa mère Sandrine Pissara a été condamnée à la réclusion à perpétuité avec période de sûreté de 20 ans pour actes de "torture" et de "barbarie", par la cour d'assises de l'Hérault vendredi 24 janvier. Son compagnon Jean-Michel Cros, a été condamné à 20 ans de prison pour "privation de soins ou d'alimentation".

Contrainte de faire le ménage nue

Immortalisée pour la traditionnelle photo de rentrée scolaire en 2019, Amandine, alors âgée 12 ans, apparaît vêtue d'un large pull vert. Son visage dessine un discret sourire qui ne dit rien des souffrances qu'elle endure.

Le calvaire d'Amandine débute pourtant dès l'école primaire et se poursuit pendant ses premières années de collège. Selon sa soeur Ambre, née un an seulement avant elle et âgée de 19 ans aujourd'hui, la jeune fille vit un enfer.

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"On ne voyait pas souvent Amandine, qui était toujours en bas, dans le débarras", dit-elle.

Elle n'en sortait "que pour faire le ménage, d'abord en t-shirt, puis nue, pour éviter qu'elle vole dans le placard aux goûters", assure Ambre. Ses seules autres activités autorisées consistent à "faire des lignes" ou à rester "au piquet".

Le petit frère d'Amandine, Ethan, a lui aussi été témoin de scènes très dures. "Ma mère frappait la tête de ma soeur contre le mur", confie-t-il à la barre. Il confirme qu'Amandine faisait le ménage nue et précise qu'elle était battue si "elle faisait mal" le travail demandé.

Coups et humiliations

Avant Amandine, une autre de ses soeurs, Cassandra, aujourd'hui âgée de 28 ans, affirme avoir été la première à subir des violences et des privations de nourriture de la part de leur mère. "Un jour, ma mère m'a ouvert la tête avec un manche de balai", confie la vingtenaire pour la première fois lors du procès.

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"Personne ne pouvait nous sauver, on ne pouvait qu'attendre nos 18 ans pour prendre notre envol et espérer que ceux qui restent survivent", assure Cassandra.

Même quotidien pour Jérémy, un autre frère d'Amandine. Âgé aujourd'hui de 29 ans, il raconte avoir reçu des "menaces de mort" et des violences physiques pendant son enfance. Sa mère tente notamment un jour de l'étrangler parce qu'il a fait tomber un pot en céramique. S'ajoutent à cela des actes dégradants, comme cette fois où sa mère lui sert un unique flageolet pour son repas. "C'était humiliant", juge-t-il.

"J'ai aussi subi des coups, des punitions, au piquet", assure Ambre. "Mais moi et mon frère, on avait tout ce qu’on voulait. Pas Amandine", précise-t-elle. Interrogée lors du procès sur son acharnement sur un seul de ses 8 enfants, Sandrine Pissara avancera pour seule explication qu'Amandine "ressemblait à son père".

Son école s'interroge

Si les frères et soeurs d'Amandine sont les premiers témoins des souffrances de leur soeur, d'autres membres de l'entourage de la jeune adolescente remarquent également que quelque chose ne va pas.

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En 2014, la directrice de son école observe des ecchymoses sur l'épaule et les genoux d'Amandine, qui est alors en classe de CE1. Questionnée à ce sujet, la petite fille évoque d'abord sa mère, avant de se rétracter.

Sandrine Pissara, de son côté, dément. Si sa fille a des bleus et perd des cheveux, c'est à cause d'une maladie et non en raison d'une quelconque maltraitance, dit-elle à l'établissement de sa fille.

Le personnel enseignant remarque également qu'Amandine "vole des goûters dans les poubelles", comme le rapporte lors du procès la policière qui dirige l'enquête, Émilie V.

"À une camarade, (Amandine) avait expliqué qu’elle était punie de manger, et qu’elle était enfermée dans une pièce", assure la policière.

Les signalements n'aboutissent pas

Décrite lors du procès comme "un tyran domestique", un "dictateur des intérieurs" et le "bourreau d'Amandine, par l'avocat général Jean-Marie Beney, Sandrine Pissara passe pourtant entre les mailles du filet.

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Si plusieurs signalements sont effectués et que le juge des enfants est saisi à trois reprises, toutes les mesures débouchent sur des non-lieux. De quoi interroger sur la responsabilité des services sociaux. Lors du procès, quatre associations, dont "L'Enfant Bleu - Enfance Maltraitée", spécialisée dans la protection de l'enfance, se portent d'ailleurs partie civile.

Selon l'enquête, Sandrine Pissara, vigilante, changeait sa fille d'établissement tous les ans à partir de son entrée au collège, afin de faire taire les soupçons que pouvait avoir le personnel éducatif.

Dans la fratrie, Ethan, aujourd'hui âgé de 15 ans, assure aider Amandine comme il peut. "Je lui donnais à manger sous la porte", dit-il à l'audience. Ambre, de son côté, reconnaît avoir menti aux enquêteurs, lorsqu'elle est interrogée peu après la mort d'Amandine, en disant que sa soeur souffrait de troubles alimentaires. Alors âgée de 15 ans, l'adolescente redoutait que sa mère ne finisse en prison et la protégeait.

Son calvaire immortalisé par la vidéosurveillance

En plus de ces témoignages, des vidéos immortalisent le calvaire subi par Amandine. Car pour surveiller leur jeune souffre-douleur, une caméra de vidéosurveillance était installée dans le cagibi où la jeune adolescente est enfermée.

Collectées par les enquêteurs, les images montrent la réalité brute des années de sévices subies par Amandine. Projetées lors de l'audience, elles montrent une enfant d'une maigreur extrême.

Sur l'un des clichés, elle apparaît nue, genoux sur un rouleau de lino, les mains placées dans le dos. Sur une autre, elle est encore plus maigre, s'appuyant sur un meuble avec les jambes croisées, comme une marionnette désarticulée.

Face aux photos de sa fille décharnée, Sandrine Pissara reste muette et le visage inexpressif, lors de l'audience. Malgré l'insistance de la cour, la mère semble indifférente aux clichés qu'on lui présente.

"Je ne vais pas tenir"

En 2020, le quotidien d'Amandine bascule. Avec l'arrivée de la pandémie de Covid-19, un confinement est instauré au mois de mars dans toute la France.

Alors en classe de quatrième, Amandine est interne dans un collège de la commune de Sigean, dans l'Aude. Pour elle, le confinement signe la fermeture de son établissement et le retour chez elle. Une catastrophe pour la jeune adolescente.

"Je vais mourir. Combien de temps ça va durer? Je ne vais pas tenir", souffle-t-elle, devant l'écran de télévision, alors qu'elle écoute l'annonce d'Emmanuel Macron.

Lola Gallego, une des surveillantes du collège où Amandine est interne, assiste à la scène. Intriguée, elle questionne l'élève, mais cette dernière, en pleurs, refuse d'en dire plus. Autour d'Amandine, les autres élèves "sautent de joie", selon la surveillante. Pour eux, "c'était les vacances", explique la surveillante.

Amandine meurt avant l'arrivée des pompiers

Le 6 août 2020, l'adolescente rend son dernier souffle. "Amandine essayait de me parler, mais je ne comprenais pas", raconte sa soeur Ambre qui était à ses côtés. Alors que Sandrine Pissara appelle les pompiers, il est déjà trop tard.

"Jean-Michel l'a mise en position latérale de sécurité. J'ai dit: laissez-tomber, elle est morte. Puis les pompiers sont montés, elle était en arrêt cardiaque", se souvient Ambre.

Selon le double rapport d'autopsie, l'adolescente meurt d'un "trouble du rythme cardiaque" secondaire à un état d'amaigrissement extrême associé à une septicémie et à "un possible syndrome de renutrition inappropriée". Le décès survient au domicile de sa mère et de son beau-père, à Montblanc, dans l'Hérault.

Des "négligences graves"

Lorsque son corps est retrouvé, Amandine est d'une maigreur extrême et présente de graves lésions. Les joues creuses, les yeux enfoncés dans leur orbite, elle a des dents cassées et des cheveux arrachés.

Pour le médecin légiste qui l'examine, il ne fait pas de doute qu'Amandine a "dû être victime de négligences graves de la part de son environnement familial pour atteindre un tel niveau d'amaigrissement".

Entre le début du confinement et son décès, la collégienne reste à l'isolement chez elle et ne retourne pas à l'école, malgré la réouverture des établissements scolaires au mois de mai.

Pour Ethan, après la mort d'Amandine, "c'est comme si ma mère était soulagée, comme si Amandine n'avait jamais existé", dit-il à l'audience.

Les aveux après de longues dénégations

Pendant quatre ans, malgré l'insistance des enquêteurs, Sandrine Pissara nie avoir fait subir toute violence à Amandine et s'évertue à décrire sa fille comme une "voleuse, hypocrite et vicieuse". La veille de sa mort? Sandrine Pissara affirme avoir trouvé sa fille "normale".

Mardi, lors du premier jour d'audience, la mère de famille continue dans un premier temps ses dénégations. "(Amandine) s'est privée elle-même de manger?", lui demande le président de la cour d'assises. "Oui, je pense", affirme Sandrine Pissara. "Et elle s'est aussi cassé volontairement les dents...", ironise ensuite le président de la cour.

En fin de journée, coup de théâtre. Après des années passées à nier, Sandrine Pissara craque enfin. Après la diffusion d'un enregistrement audio de sa fille, dans lequel on entend l'enfant pleurer sous les cris de sa mère, cette dernière avoue les sévices qu'elle a fait subir à Amandine.

À la grande surprise de la cour, Sandrine Pissara reconnaît enfin avoir donné "des gifles" à Amandine. "Tirer les cheveux, ça m'est arrivé", concède-t-elle aussi.

"Je suis une mère monstrueuse", lâche-t-elle finalement, alors que le président de la cour note qu'elle pleure à l'audience pour la première fois.

Une mère sans explication

Malgré ce revirement, Sandrine Pissara campe sur un point. "Jamais, je n'ai voulu qu'elle meurt", s'entête la mère de famille, lors de son interrogatoire, alors que le président de la cour décrit le quotidien insupportable vécu par Amandine.

"Je sais que je suis en tort, mais pourquoi j’en suis arrivée là, je peux pas vous expliquer", clame Sandrine Pissara, assurant "aimer" Amandine, mais avoir "fermé les yeux sur son état".

Peu bavarde sur ce qui l'a poussée à s'acharner sur l'une de ses filles, la mère de famille est en revanche plus diserte sur les violences qu'elle dit avoir elle-même subies dans son enfance.

"Aller dormir le ventre vide, je sais ce que c'est", assure Sandrine Pissara, tout en jurant qu'Amandine "mangeait ce qu'elle voulait". Le président de la cour s'agace des aveux a minima de Sandrine P. "La vie (d'Amandine) a été une punition. Dix ans de punitions et de violences", assène-t-il.

Le beau-père reconnaît une "culpabilité"

Compagnon de Sandrine Pissara pendant les quatre ans qui précèdent la mort d'Amandine, Jean-Michel Cros vivait lui aussi dans la maison familiale. Pourtant, il assure ne s'être rendu compte de rien.

Pour se défendre, il affirme avoir été sous la coupe de sa compagne et invoque sa consommation d'alcool qui l'aurait empêché de prendre vraiment conscience de la situation de sa belle-fille.

Le 5 août 2020, Jean-Michel Cros emmène pourtant la fratrie à la rivière située près de leur domicile. Seule Amandine reste à la maison, contrainte de "faire des lignes" dans le cagibi. Avec son téléphone, le beau-père surveille Amandine. Soudain, il la voit s'effondrer, selon le président de la cour. Elle décédera le lendemain, sans que Jean-Michel Cros ne la protège.

Quatre ans et demi plus tard, confronté aux images d'Amandine décharnée lors du procès, le beau-père affirme découvrir les clichés et se dit scandalisé. "Comment on peut faire ça à un enfant? C'est dégueulasse, inhumain", s'indigne-t-il.

Un argumentaire qui convainc peu l'avocat général. Ce dernier accuse Jean-Michel Cros d'être un "lâche collaborateur du système" et d'avoir, comme sa compagne, privé Amandine de soins et de nourriture. "J'ai une culpabilité énorme là-dessus", reconnaît l'homme de 49 ans.

Les regrets du père d'Amandine

Le père d'Amandine, Frédéric Flores, apprend la mort de sa fille par un coup de fil de son ancienne compagne Sandrine Pissara. Quand il découvre son corps couvert d'hématomes à l'institut médico-légal de Montpellier, c'est un "choc", dit-il à BFMTV.

"C’était comme si ma fille sortait d’un camp de concentration", dit-il, face au visage décharné de la jeune adolescente.

Constitué partie civile dans le dossier, Frédéric Flores avait globalement peu de contact avec sa fille. Il raconte avoir eu un échange téléphonique avec Amandine pour la dernière fois en avril 2020. Durant cette conversation, il assure qu'il ne note rien d'anormal. "À aucun moment je n'ai entendu qu’elle se plaignait et c’est ça qui est terrible", se reproche-t-il aujourd'hui.

Quatre ans et demi plus tard, la culpabilité le ronge. "Je m’en veux, j’aurais dû porter plainte", confie-t-il à l'audience, assurant alors avoir eu malgré tout un "sentiment au fond de (lui)" lui disant que quelque chose d'anormal se passait.

Article original publié sur BFMTV.com