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Alstom replonge le gouvernement dans ses contradictions

L'affaire Alstom replonge le gouvernement français dans ses contradictions entre tentation de l'interventionnisme et impuissance en matière de stratégie industrielle, au moment où il s'efforce de relancer investissement et emploi en France. /Photo prise le 27 avril 2014/REUTERS/Stéphane Mahé

par Emmanuel Jarry PARIS (Reuters) - L'affaire Alstom replonge le gouvernement français dans ses contradictions entre tentation de l'interventionnisme et impuissance en matière de stratégie industrielle, au moment où il s'efforce de relancer investissement et emploi en France. Si le sort de l'industrie française ne se résume pas à celui de quelques grands groupes, le projet de vente des activités énergie d'Alstom à l'américain General Electric (GE) ou à l'allemand Siemens ne peut que conforter l'opinion dans le sentiment d'un décrochage économique inéluctable. "La place de la France est en jeu. Nous sommes en train de devenir progressivement insignifiants", estimait, sans nuance, l'économiste Elie Cohen dans le Journal du Dimanche. A quoi s'ajoute la méfiance persistante d'une grande partie de la gauche au pouvoir en France à l'égard des multinationales américaines, doublée d'un sentiment de plus en plus prononcé d'infériorité envers le partenaire allemand. "GE a des activités assez complémentaires à Alstom mais présente l'inconvénient d'être une entreprise américaine, avec le danger que cela peut représenter de délocalisation des centres de décision", juge ainsi le député socialiste Yves Blein, de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée. L'affaire tombe mal pour François Hollande, au plus bas dans les sondages et pour son Premier ministre, Manuel Valls, qui doivent se battre pour imposer à une majorité rétive un plan d'économies de 50 milliards d'euros et des baisses de charges en faveur des entreprises. Les élections européennes du 25 mai, sur fond de chômage record, s'annoncent en outre comme un nouveau désastre pour la gauche après sa déroute aux municipales de mars. "MAUVAIS MANAGEMENT" Après l'absorption de Pechiney par le canadien Alcan dans la chimie ou d'Arcelor par l'indien Mittal dans la sidérurgie, il y a quelques années, les récents mariages de PSA avec le chinois Dongfeng et du cimentier Lafarge avec le suisse Holcim, ce nouveau psychodrame ne surprend pourtant pas les spécialistes. Les formules envisagées par GE et Siemens l'étaient déjà en 2004, avant que le ministre de l'Economie de l'époque, Nicolas Sarkozy, opte pour une solution franco-française et une aide de l'Etat, afin de sauver une première fois Alstom, rappellent-ils. Mais "cette voie purement nationale ne se révèle pas viable à cause de la conjoncture plus difficile et de la montée de la concurrence", souligne un de ces experts. "C'est la faillite d'un mauvais management", renchérit Philippe Mangeard, vice-président de l’Agence française pour le développement international des entreprises UbiFrance, et membre de la commission internationale du Medef. Un avis partagé par le président socialiste de la région Aquitaine et de l'Association des régions de France, Alain Rousset, qui a vécu les affres des collectivités locales clientes des tramways d'Alstom. Fidèle à son habitude, Arnaud Montebourg, a commencé par élever la voix en refusant par avance qu'une décision soit prise "dans la précipitation". Mais privé de marges financières et mis devant le fait accompli par le PDG d'Alstom, Patrick Kron, dont la préférence va à GE, le gouvernement n'a de nouveau d'autre choix que de tenter d'accompagner au mieux une décision qui lui échappe. François Hollande a ainsi dit que la création d'activités en France serait, pour l'Etat, un critère décisif dans ce dossier. "L'Etat a forcément à dire son mot parce qu'il est celui qui commande à l'entreprise un certain nombre d'achats dans des secteurs tout à fait stratégiques", a déclaré le président français, qui a reçu les dirigeants des groupes concernés. QUE DEVIENDRA ALSTOM TRANSPORT? La question qui semble le préoccuper au premier chef à ce stade est ce qu'il adviendra de ce qui restera d'Alstom une fois délesté des trois quarts de ses activités. Autrement dit, "la véritable inquiétude du gouvernement ne porte pas sur l’offre de GE mais l’avenir d’Alstom Transport", qui produit les trains à grande vitesse (TGV), dit-on de source industrielle. "Ils ne pensent pas que la société pourra survivre seule" et craignent que la question de la survie se repose vite. Un avis partagé par Philippe Mangeard, selon qui "on est en train d'essayer de vendre la pépite énergie pour garder le plomb transport, sachant que M. Kron a dit lui-même il y a dix jours que le transport ne marchera que si l'Etat finance ses clients." Cela amène des spécialistes du secteur à plaider plutôt pour une solution Siemens, qui semble également avoir la préférence d'Arnaud Montebourg. L'allemand céderait alors ses activités ferroviaires en échange des activités énergie d'Alstom, fût-ce au prix de restructurations socialement douloureuses. "A ce stade, l’offre de Siemens semble plus attractive parce qu’il y aurait un plan de développement pour ce qu’il resterait d’Alstom", souligne-t-on de source gouvernementale. Avec GE, "on mange le fruit, on recrache le noyau." Mais pour Philippe Mangeard, cela relève de l'illusion car "les TGV allemands ont les mêmes problèmes que les TGV français" et souffrent eux aussi, désormais, de la concurrence chinoise. Il défend pour sa part une solution GE - "Ils sont bien installés en France, c'est pour moi une entreprise aussi européenne en termes de chiffres". La cession des activités énergie d'Alstom, quel que soit le repreneur, jette un doute sur la capacité de la France à peser sur une politique énergétique européenne - François Hollande, plaidait le 14 janvier pour un "Airbus de l'énergie". Mais pour le vice-président d'UbiFrance, il faut penser au "coup d'après", surtout au moment où l'Union européenne négocie un traité de libre-échange avec les Etats-Unis. "Est-ce qu'on ne peut pas penser à un 'Airbus européo-américain' qui fasse front aux Chinois, aux Indiens, aux Sud-Américains ?" demande-t-il. (Avec Benjamin Mallet, Elizabeth Pineau et service français, édité par Sophie Louet)