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Alep, pivot d'une Syrie "viable" pour Bachar al Assad

Soldats des forces gouvernementales syriennes dans les environs d'Alep. Les bombes qui s'abattent sans répit sur la ville la plus peuplée de Syrie montrent son importance dans la stratégie du président Bachar al Assad visant à préserver un Etat "viable" sur les ruines du pays. /Photo prise le 25 mars 2014/REUTERS/George Ourfalian

ALEP Syrie (Reuters) - Les bombes qui s'abattent sans répit sur Alep montrent l'importance de la ville la plus peuplée de Syrie dans la stratégie du président Bachar al Assad visant à préserver un Etat "viable" sur les ruines du pays. Près de deux ans après la prise par les rebelles de la moitié d'Alep, ces derniers se battent dos au mur, cernés par les forces gouvernementales qui avancent de trois côtés. Si Bachar al Assad parvient à reprendre Alep, il aura le contrôle des trois principales villes syriennes: Damas, Alep et Homs, sorte de rempart pour les provinces méditerranéennes de Lattaquié et Tartous, fiefs des Alaouites, la minorité chiite du président. Et, avec le reste du pays scindé entre les zones autonomistes kurdes dans le nord-est et une myriade de groupes rebelles sunnites à l'est, le morcellement de la Syrie pourrait devenir irréversible. Sur le terrain, le front est mouvant: les rebelles ont regagné quelques quartiers stratégiques ce week-end mais les forces d'Assad ont riposté lundi, en larguant des barils d'explosifs à partir d'hélicoptères sur plusieurs quartiers tenus par les insurgés à l'est. "Nous leur avons dit que chaque obus qu'ils tirent égale cinq barils d'explosifs", résume Amar, un policier de la ville. A ses yeux, les civils touchés par ces bombes de fortune constituées de bidons de pétrole remplis d'explosifs et de shrapnels, méritent leur sort parce qu'ils tolèrent la présence de "terroristes" parmi eux. "Ils ne nous ont pas crus et ils ont continué à tirer des obus. Aussi l'armée a-t-elle répondu par un pilonnage de barils d'explosifs", raconte Amar. LE PASSAGE DE LA MORT L'armée a accéléré son offensive sur Alep au mois de décembre, larguant des quantités de barils d'explosifs sur les zones civiles. Plus de 700 morts ont été enregistrés en six semaines, pour la plupart des civils. Des dizaines de milliers de personnes ont dû fuir. Après le largage d'un baril d'explosifs sur son quartier fin janvier, Khadidja et ses six enfants ont quitté leur maison d'Al Soukkari, un quartier de l'est d'Alep. Ils ont réussi à traverser le "passage de la mort", un couloir de 100 mètres surveillé par les snipers entre la partie est et la partie ouest d'Alep dans l'espoir de pouvoir mener une vie meilleure de l'autre côté, raconte Khadidja. "Quand nous sommes parvenus en zone gouvernementale, les soldats nous ont violemment frappés", raconte-t-elle. Elle n'a finalement pas été autorisée à habiter en zone tenue par le gouvernement. Aussi sa famille dort-elle où elle peut. Elle ne reste jamais plus de quelques jours au même endroit pour éviter de se retrouver nez-à-nez avec les forces de sécurité. Entre début novembre et fin février, les images satellites montrent que 340 sites d'Alep situés en zone contrôlée par l'opposition ont été bombardés, a indiqué lundi l'organisation américaine de défense des droits de l'homme Human Rights Watch (HRW). Les puissances occidentales considèrent l'utilisation de barils d'explosifs comme un crime de guerre mais cela n'empêche pas que ces engins s'abattent pratiquement tous les jours sur Alep ainsi que sur d'autres régions de la Syrie. "PUNITION COLLECTIVE" La guerre civile, qui vient d'entrer dans sa quatrième année, a fait plus de 140.000 morts. Les bombardements ont aussi chassé des millions de Syriens de chez eux. Certains ont fui en Turquie voisine, tandis que d'autres, comme Khadidja, sont partis pour les secteurs d'Alep contrôlés par le gouvernement où ils sont contraints de camper dans les rues, dans des parcs publics ou dans des écoles. Selon Abir, chercheuse au Service jésuite des réfugiés, une ONG basée à Alep, les forces du président Assad bombardent même les quartiers d'Alep repris par le gouvernement aux rebelles en guise de "punition collective". "Ils continuent à frapper les quartiers avec des barils d'explosifs pour punir leurs habitants d'avoir accueilli les combattants de l'opposition quand ils sont entrés", a-t-elle déclaré à Reuters. Certains de ceux qui ont été contraints de fuir vivent dans la rue avec souvent une frêle bâche pour tout abri. D'autres se sont mis à l'abri dans des bâtiments scolaires. Ils s'entassent dans des salles de classe, souvent par dizaines, même quand les élèves sont en cours, ce qui accroît les tensions dans une ville autrefois réputée pour accepter la diversité politique et religieuse. "Alep subit une sorte de fracture sociale horrible en raison de la haine entre ses habitants et du nombre croissant de déplacés", commente Abir. Abdel Djabar et sa famille ont réchappé à une attaque au baril d'explosifs en janvier. Depuis, ils vivrent tels des parias dans un jardin public de l'autre côté de la ville. Selon lui, les forces de l'ordre lui ont interdit de vivre avec ses proches dans un quartier tenu par le gouvernement. "Les autorités nous imposent des restrictions résidentielles, dit-il, comme si nous étions des étrangers dans notre propre pays." (Danielle Rouquié pour le service français, édité par Tangi Salaün)