Agnès Pannier-Runacher, la nouvelle ministre de l'Écologie, est liée par sa famille au deuxième plus important groupe pétrolier français

Dévoilés en 2022, les liens entre Agnès Pannier-Runacher et la multinationale Perenco avaient fait l'objet d'une enquête de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Agnès Pannier-Runacher reste au gouvernement, mais change de ministère. (Photo : Bertrand GUAY / AFP)

Un passif forcément encombrant pour une ministre qui s'est donné pour objectif de "sortir des énergies fossiles". Depuis l'annonce, samedi 21 septembre, de la composition du gouvernement du nouveau Premier ministre Michel Barnier, les profils sélectionnés font l'objet de nombreux commentaires.

Alors que les passations de pouvoir se succèdent ce lundi dans les différents ministères, de nombreuses voix se sont par exemple élevées pour rappeler les liens ambigus existant entre la nouvelle Ministre de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, Agnès Pannier-Runacher, et l'industrie pétrolière.

Fidèle soutien d'Emmanuel Macron depuis 2016, cette dernière a d'ailleurs seulement déménagé ce lundi, puisqu'elle occupait le poste de ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire dans le gouvernement de Gabriel Attal. Auparavant, entre mai 2022 et janvier 2024, cette ancienne inspectrice des finances avait déjà exercé les fonctions de ministre de la Transition écologique.

C'est à cette époque que les liens étroits entre Agnès Pannier-Runacher et le géant pétrolier Perenco, numéro 2 du secteur en France, avaient été dévoilés. En novembre 2022, le média d'investigation Disclose avait en effet publié les conclusions d'une enquête menée en partenariat avec l'organisme Investigate Europe, révélant des collusions financières entre Perenco et une entreprise détenue par plusieurs membres de la famille de la députée macroniste du Pas-de-Calais.

Comme le détaille Disclose, le personnage central dans cette affaire est le père d'Agnès Pannier-Runacher, Jean-Michel Runacher, ancien cadre de la société Perenco, au sein de laquelle il a notamment occupé les fonctions de directeur général, de directeur financier et d'administrateur, entre le milieu des années 1980 et l'année 2020.

En 2016, alors qu'il travaillait encore pour le géant pétrolier, Jean-Michel Runacher a créé la société Arjunem, selon Disclose dans le but d'opérer "une donation familiale". Parmi les actionnaires principaux de cette entreprise, répertoriée au registre légal dans les "fonds de placement et entités financières similaires", figurent en effet les trois enfants d'Agnès Pannier-Runacher, respectivement âgés de 13 ans, 10 ans et 5 ans au moment de la création d'Arjunem.

D'après le média d'investigation, cette façon de procéder s'apparente tout simplement à un moyen de "faire une donation de plus d’un million d’euros à ses petits-enfants, en évitant qu’ils n’aient à payer des droits de succession à son décès". Les journalistes ont par ailleurs enquêté sur l'origine des fonds ainsi transmis, dévoilant un montage financier complexe, en lien direct avec l'employeur de Jean-Michel Runacher.

Disclose affirme ainsi que l’intégralité du capital initial de la société (1,2 million d'euros) "provient de fonds spéculatifs dissimulés dans des paradis fiscaux et dans lesquels Perenco détenait ses propres investissements". "À l’époque où Jean-Michel Runacher crée Arjunem, sa fortune est si étroitement liée à celle du groupe pétrolier que les fonds investis dans l’entreprise familiale proviennent des mêmes placements que ceux de la compagnie pétrolière", ajoute l'article co-signé par cinq journalistes.

En soi, le dispositif mis en place par Jean-Michel Runacher ne constitue pas une entorse à la loi, mais la question d'un possible conflit d'intérêt avec la mission ministérielle de sa fille (par ailleurs mère de trois actionnaires principaux d'Arjunem) se posait déjà en 2022. À la suite de ces révélations, Agnès Pannier-Runacher s'était défendue en affirmant qu'il ne s'agissait pas de son patrimoine, mais la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait tout de même ouvert une procédure.

Une semaine après la publication des révélations de Disclose, l'organisme avait fini par publier un communiqué, dans lequel il expliquait avoir mené des "échanges et investigations complémentaires" et finalement blanchi la ministre, arguant notamment qu'elle n'avait pas manqué "à ses obligations déclaratives".

Concernant les "risques de conflit d'intérêt", la HATVP jugeait par ailleurs qu'ils étaient automatiquement prévenus par un décret publié au Journal Officiel le jour même (le 15 novembre 2022) par le gouvernement de l'époque. Un décret rédigé précisément en réponse à la polémique née de l'article de Disclose.

Reconnaissant en creux que les liens familiaux entre Agnès Pannier-Runacher et Perenco constituaient bien un problème, ce texte stipulait ainsi que "la ministre de la Transition énergétique" était dorénavant dessaisie des "actes de toute nature relatifs au groupe Défense conseil international, au groupe EP2C et au groupe Perenco" et que ces dossiers seraient désormais confiés à la Première ministre Elizabeth Borne.

À l'époque, cette disposition gouvernementale avait suffi à éteindre la polémique et à permettre le maintien à son poste d'Agnès Pannier-Runacher. Près de deux ans plus tard, la macroniste retrouve un poste de responsabilité dans le même domaine, mais avec un domaine de compétence élargi. Dans un message publié sur X à la suite de sa nomination, elle a d'ailleurs affiché des objectifs ambitieux : "sortir des énergies fossiles, adapter notre pays aux effets du dérèglement climatique, stopper l’effondrement de la biodiversité".

Or, pour tenir cet agenda, la ministre devra nécessairement composer avec et parfois s'opposer à des acteurs opérant dans le domaine des énergies fossiles, comme le groupe Perenco, ce qui pourrait au bout du compte impacter les actions détenues par ses enfants. Ses liens familiaux avec cette entreprise pourraient-ils être cette fois considérés par l'HATVP comme un obstacle à sa mission ministérielle ? Doit-on s'attendre à un nouveau décret désinvestissant la ministre de l'Écologie des dossiers concernant Perenco ? Réponse dans les jours à venir...