Elle accuse une vingtaine de pompiers de l'avoir violée entre 13 et 15 ans

la cour d'appel de Versailles. (Illustation) - Patrick Janicek - flickr - CC
la cour d'appel de Versailles. (Illustation) - Patrick Janicek - flickr - CC

Le 19 juillet 2019 a été vécu comme "un déni de justice". Ce jour-là, Julie*, une jeune femme de 25 ans, apprend que trois des 22 pompiers qu'elle accuse de viol, sont renvoyés devant un tribunal correctionnel pour "atteinte sexuelle en réunion". Ce jeudi, elle demande à la justice une requalification des faits en "viol en réunion", crime passible, devant une cour d'assises, de 20 ans de prison.

"Ce jour-là, la justice lui a dit 'finalement tu étais consentante, je vous laisse imaginer comment une jeune fille peut alors se reconstruire", souffle Corinne, la mère de Julie, joint par BFMTV.com.

Etat psychique fragile

Il y a dix ans, Julie rompt le silence. En août 2010, la jeune fille alors âgé de 15 ans raconte à sa mère avoir été violée à de multiples reprises par des sapeurs-pompiers de Paris entre 2008 et 2010. À cette période, son état de santé, déjà fragile, avait d'ailleurs nécessité plus de 130 interventions des pompiers.

Décrite comme "une enfant précoce", Julie, alors âgée de 13 ans, rencontre pour la première fois Pierre, un pompier de 21 ans lors d'une intervention. L'adolescente alors scolarisée en classe de quatrième vient d'être victime d'une crise de tétanie à son collège. À cette époque déjà, la jeune fille est sous traitement médicamenteux pour gérer son état psychique.

Après cette intervention, le pompier conserve le numéro de Julie, puis noue contact avec elle sur Facebook, avant de communiquer ses coordonnées à certains de ses collègues. "Il a agi comme le chef d'orchestre, assure Me Jean Tamalet, l'avocat de la jeune fille. Il a fait circuler le numéro de ma cliente, organiser des rencontres avec d'autres hommes comme un maquereau aurait pu le faire."

"Sentiment d'emprise"

Les rencontres entre l'adolescente et le pompier avaient parfois lieu au domicile des parents de cette dernière, où une fois la porte de la chambre de l'adolescente refermée, le pompier lui imposait une fellation, selon le récit de Julie. "Ma fille a été élevée dans le respect de la parole de l'adulte", assure Corinne, sa maman, pour expliquer le "sentiment d'emprise" dans lequel se trouvait la jeune fille face à l'uniforme de pompier.

"Je recevais des messages des pompiers de Paris qui me demandaient de faire connaissance", a déclaré Julie lors d'une audition en 2011 devant les enquêteurs. Évoquant un pompier, elle confie devant le juge: "il m'en a envoyé beaucoup, c'était beaucoup de pression... J'étais à l'école quand il m'a envoyé des SMS".

Les rencontres et les rapports sexuels se multiplient pendant ces deux années. Un jour de juin 2009, le pompier, qui a admis pendant l'instruction savoir que Julie était mineure, la fait venir à son domicile, où deux autres collègues pompiers sont également présents. Ils assurent que la jeune fille était consentante pour avoir des relations sexuelles. Ils la décrivent comme une nymphomane.

"Il s'agit du premier viol en réunion", estime la maman de Julie.

Trois policiers renvoyés devant un tribunal

Au fur et à mesure des rencontres, Julie s'enfonce dans la dépression. Antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques sont prescrits à la jeune fille qui fait plusieurs tentatives de suicide. Lors d'une hospitalisation dans un service pédopsychiatrique, un pompier lui rend visite, là encore pour obtenir une relation sexuelle. En juillet 2010, à nouveau hospitalisée dans un hôpital parisien, les médecins cessent son traitement.

"Julie a alors retrouvé ses esprits, raconte Corinne. À ce moment-là, elle a réussi à me révéler qu'elle avait été violée."

Une plainte a été déposée à l'été 2010. Mais l'instruction, parasitée par la succession de juges d'instruction, va durer 10 ans. Trois pompiers sont mis en examen pour viols sur mineur en réunion. Les autres pompiers, cités par Julie, sont entendus. Tous reconnaissent des rapports, mais assurent soit ne pas avoir été au courant de son âge, soit de son état de fragilité.

"Ils intervenaient pour des malaises, des crises de tétanie, ils ne pouvaient pas ne pas connaître son état de détresse, plaide Me Tamalet, qui défend la jeune femme aux côtés de Me Joseph Cohen-Sabban. Ils savent qu'ils abusent d'une jeune fille, donc le consentement ne peut exister. Ma cible, ce ne sont pas les pompiers, c'est une bande de violeurs."

"Ni blanc, ni noir"

Finalement, le juge d'instruction a décidé de renvoyer trois des 22 pompiers pour "atteinte sexuelle en réunion", estimant que l'abus d'autorité n'était pas caractérisé pour les autres. "La question du consentement a été réglée par le procureur et par le juge d'instruction", estime Me Daphné Pugliesi, l'avocate du pompier principalement mis en cause par Julie, indiquant que son client a "répondu à toutes les questions" et s'est "expliqué sur la relation qu'il a entretenu" avec la jeune fille, une relation suivie.

"Il y a un certain nombre d'expertises et d'éléments matériels sont venus contrecarrer la parole de la partie civile, poursuit-elle. Ce n'est pas du tout un dossier tranché, les choses sont beaucoup plus compliquées, ce n'est ni blanc, ni noir."

Les trois pompiers aujourd'hui inquiétés ont été démissionnés par leur institution. "La justice ne peut pas lui rendre justice", interpelle désormais la maman de Julie, à la veille d'une audience devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles qui va examiner la demande de requalification des faits pour ces trois policiers renvoyés.

Julie sera elle présente à cette audience. Au mois de juillet dernier, la jeune femme de 25 ans, handicapée à 80% après s'être défenestrée en 2014, a fait une nouvelle tentative de suicide en avalant des médicaments, la plongeant deux jours dans le coma. "Elle va se défendre, quand elle a été auditionnée, elle a toujours répondu. C'est une battante, je suis très fière d'elle", confie la mère de la jeune femme qui sera également présente à Versailles avec le père et le frère de Julie.

* Le prénom a été modifié

Article original publié sur BFMTV.com