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Accusé de viol par plusieurs patientes, défendu par d'autres: qui est le professeur Daraï, mis en cause à l'hôpital Tenon?

L'hôpital Tenon, le 23 septembre 2021 à Paris - THOMAS COEX © 2019 AFP
L'hôpital Tenon, le 23 septembre 2021 à Paris - THOMAS COEX © 2019 AFP

"Ma famille n’était pas au courant du traumatisme, car j'avais trop honte. Je prenais du tramadol (un analségique, NDLR) avant de venir le consulter." Pour Lise, les rendez-vous avec le professeur Emile Daraï étaient devenus une véritable épreuve. Cette femme âgée de 38 ans souffre d'une sévère forme d'endométriose. La maladie, qui peut engendrer des douleurs chroniques, l'a conduite dès 2008 sur les conseils d'autres médecins, dans le cabinet du spécialiste de l'hôpital Tenon, aujourd'hui mis en cause par de nombreuses femmes pour des violences gynécologiques.

Lise raconte son premier rendez-vous dans le bureau du professeur Daraï, séparé en deux espaces, l'un équipé d'un bureau, l'autre d'une table d'auscultation: "Il m'a dit 'Levez-vous, mettez-vous sur la table'. Il y avait trois médecins avec lui. Il rentre le spéculum, les doigts, devant, derrière. Mon mari était à côté. Il me dit 'Calmez-vous, arrêtez, faut que je le fasse!'. Puis il a dit aux autres médecins de m’ausculter aussi. J’étais en pleurs, mon mari n’était pas bien. J’ai dit plus jamais, je ne voulais plus remettre les pieds là-bas."

"J'ai pris sur moi"

Après cette consultation pour estimer les chances qu'elle avait d'avoir un enfant malgré sa maladie, Lise passe "trois jours pliée dans son [mon] lit". "J’avais tellement mal que je ne pouvais pas travailler", poursuit la trentenaire auprès de BFMTV.com. Elle ne parle à personne de ce "traumatisme", de peur de voir son parcours de PMA (procréation médicalement assistée) écourté. Toutefois pendant 5 ans, Lise ne retourne plus voir le professeur Daraï. "Il sait que ça fait très mal, mais il appuie de toutes ses forces", s'agace-t-elle.

"Toutefois mon désir d’enfant était toujours présent, aucun hôpital ne voulait me prendre en charge car mon endométriose était trop sévère, se souvient-elle. J’y suis retournée en me disant que j’allais prendre sur moi, que je n’avais pas le choix."

"On m’a dit que c’était une référence, un ponte. C’était quelqu’un de reconnu mondialement, il ne pouvait pas faire exprès." Le professeur Daraï est en effet considéré comme l'un des quatre meilleurs spécialistes de l'endométriose au monde. Elodie l'a elle aussi consulté pendant plusieurs années, orientée par sa gynécologue. Elle aussi souffre d'une endométriose sévère qui a nécessité une lourde opération. "Quand j'ai lu les premiers témoignages dans la presse, je me suis dit 'ça pourrait être moi', explique la jeune femme. J’ai mis plusieurs jours à l’idée que j’avais été victime."

Elodie dénonce elle aussi les violences subies lors de l'auscultation: "D’abord il y a le toucher vaginal, le toucher anal, il entre le spéculum, le corps se cabre, les pieds sortent des étriers, on se recroqueville, on hurle et il recommence. J’ai crié tellement fort, j’étais au bord de l’évanouissement. La personne qui m’accompagnait a passé une tête pour voir si ça allait. Les examens avaient été faits, pourquoi continuer à s’acharner sur un corps? Après l'auscultation, il a ouvert son agenda 'à part une chirurgie lourde, je n’ai rien d’autre à vous proposer. Rendez-vous le 3 janvier.'"

"Oui, ça s'appelle un viol"

Elodie, dont le témoignage est entrecoupé par de longs sanglots, dénonce les violences, les "20 minutes d'horreur" mais aussi le "dédain" du médecin. "C’est toute une ambiance, c’est un tout, on est sali, c’est l’humiliation totale", détaille-t-elle, se rappellant "la boule au ventre" qu'elle avait avant chaque consultation. Après une nouvelle opération ratée qui devait lui permettre de tomber enceinte, Elodie a "fui" le professeur Daraï, souvent perçu par ses patientes comme le médecin de la dernière chance. "Je ne pouvais même plus retourner voir la gynécologue qui me l’a conseillé, je ne voulais pas me justifier, je ne voulais pas trop en parler", confie-t-elle.

Dans les récits, le sentiment de honte est partagé par les anciennes patientes du professeur Daraï. Les premiers témoignages des internes du médecin, recueillis par le collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques, ont poussé Elodie à sortir de son silence. "Ce qu’il m’a fait à moi adulte, ça m’a traumatisée. Mais quand j’ai vu qu’il avait fait la même chose à des gamines de 16 ans...", souffle Lise, qui n'hésite pas à parler de "viol". "Quand on dit 'Arrêtez! ça me fait mal' et qu’on continue, oui, ça s’appelle un viol", tranche-t-elle, précisant qu'elle se joindrait à la plainte collective qui est en préparation. Au moins trois femmes ont déjà porté plainte contre le médecin dont une pour "viol sur mineur", déclenchant l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris.

Des patientes "satisfaites" du médecin

Le professeur Daraï, âgé de 65 ans a également été mis en retrait par l'AP-HP et l'université de la Sorbonne de ses fonctions de chef de service à l'hôpital Tenon et de responsable pédagogique, le temps qu'une interne soit menée au sein de l'institution. À l'hôpital, une pétition en soutien au médecin a été lancée, elle a recueilli 300 signatures. Un groupe Facebook a par ailleurs été lancé par des patientes du spécialiste. Ce groupe a été rejoint par plus de 200 membres.

"Quand j’ai vu ce qui était dit dans la presse, je me suis dit que mon expérience n’a pas été la leur, explique Sarah*, l'une des co-administratrices du groupe. Il y a aussi des patientes très satisfaites du professeur Daraï et c’est important d’avoir notre témoignage."

Sarah décrit un praticien qui peut "paraître froid mais qui est là pour dire les choses telles qu'elles sont. Au début de la consultation, il n’a pas vérifié mon IRM, je me suis dit que c’était étonnant, se souvient la jeune femme de 30 ans. Il m’a auscultée puis il m’a expliqué qu’il allait utiliser le spéculum et qu’il allait réaliser un toucher vaginal et un toucher rectal. Cela m’a surprise. Je lui ai demandé si c’était obligatoire. Il m’a dit qu’il pouvait sentir des lésions. En quelques secondes, il a repéré un nodule de 3 cm au niveau de la vessie. J’étais surprise car il percevait des choses grâce à son examen, il a vu plus d’atteintes que sur l’IRM."

La patiente reconnaît avoir eu des douleurs durant l'examen. "Oui le toucher vaginal n’est pas un plaisir, oui c’est douloureux, mais la douleur est venue à cause des lésions, pas à cause de lui."

Une pétition lancée

Une gynécologue, ancienne interne du professeur Daraï qui souhaite rester anonyme, salue également "l'un des meilleurs techniciens qu’elle a pu connaître". "Si je devais souffrir demain d’une endométriose sévère, je n’irais voir personne d’autre que lui pour me faire opérer", confie-t-elle. Elle reconnaît qu'il a une manière "paternaliste" de pratiquer la médecine, et décrit un médecin qui "n'a pas appris à demander aux patientes leur consentement".

"Ce qui m’interpelle, c’est qu’on l’accuse de viol, explique Sarah. Quand le gynécologue vous dit qu’il va vous ausculter, que vous vous levez, que vous vous mettez dans les conditions pour être auscultée, pour moi le consentement est donné. Pourquoi se déshabiller si on ne veut pas d’examen clinique?"

Par le biais de son avocat, le docteur Emile Daraï conteste toutes les accusations portées à son encontre. "Il s’en expliquera dans le cadre des enquêtes ouvertes par le parquet de Paris, l’AP-HP et Sorbonne Université", précise Me Alain Jakubowicz. "Alors que son nom est jeté en pâture sans la moindre réserve, il ignore tout des faits dont on l’accable, sous couvert de l’anonymat de celles qui les dénoncent", a ajouté le conseil estimant que "si la parole des plaignantes doit être entendue, elle ne constitue ni une vérité absolue ni une preuve".

"Injuste"

Le docteur Jonathan Cohen est l'un des seuls à souhaiter apporter publiquement son soutien au professeur Daraï. Ce spécialiste de la fertilité a travaillé sous les ordres du gynécologue pendant trois ans. Il décrit un "chirurgien à l'ancienne", "franc, sérieux, rigoureux". "Il est extrêmement sévère avec ses équipes, explique-t-il. Si on opère à 8 heures, il faut être prêt dès 7h45. Il ne compte pas ses heures, il est très investi. Il a donné sa vie à sa spécialité, il maîtrise une chirurgie extrêmement difficile. Le voir finir sa carrière en lui retirant sa chefferie, c'est injuste."

S'il reconnaît que "comme tous les médecins, il peut être maladroit", il se souvient aussi d'un gynécologue aux côtés de ses patientes 6 jours/7. Le docteur Cohen rappelle par ailleurs que l'examen gynécologique sur des femmes atteintes d'endométriose est un examen par définition douloureux. "Une patiente a le droit de dire que c'est une brute. Evidemment qu'elles ont le droit de porter plainte et la justice fera son travail mais attention au vocabulaire que l'on utilise", s'agace le médecin très remonté contre les accusations de viols à l'encontre de son confrère.

"C'est totalement déplacé de sexualiser notre profession, martèle le gynécologue. Si on vient chez le gynécologue, c'est évident qu'il va y avoir un examen gynécologique. Si les gens voient notre métier sous le prisme de la sexualité, nous ne pourrons plus travailler sereinement."

* Le prénom a été modifié.

Article original publié sur BFMTV.com