Abrogation de la réforme des retraites : comment le RN compte piéger la gauche

Lors de sa niche parlementaire du 31 octobre, le parti d’extrême droite entend mettre sur la table la suppression de la réforme honnie. De quoi embarrasser la gauche.

POLITIQUE - Un savant calcul politique. Sous cette législature, le Rassemblement national (RN) est le premier à bénéficier d’une niche parlementaire : pendant une journée, en l’occurrence le 31 octobre, libre à lui de déterminer l’agenda de l’Assemblée et de soumettre au vote les textes qui lui semblent importants. Comme un symbole, le groupe d’extrême droite a choisi de mettre sur la table l’abrogation de la réforme des retraites adoptée au forceps en 2023, qui prévoit un report de l’âge légal de départ à 64 ans.

Emmanuel Macron appelle à « toujours prendre en compte » le vote des Français, la gauche s’étouffe

Pour le RN, c’est gagnant-gagnant. D’abord parce que les conditions d’adoption du texte, autant que son contenu, ont laissé des traces dans la société. Jusqu’à 3,5 millions de personnes se sont mobilisées dans la rue à l’époque, et 90 % des actifs y étaient opposés. La formation lepéniste cherche ainsi à surfer sur un mécontentement largement partagé dans le pays.

Ensuite parce que c’est une manière pour le RN de doubler la gauche sur un credo qui lui est cher. Le Nouveau Front populaire (NFP) a construit sa campagne des législatives sur ce rejet, promettant de revenir sur la réforme dès son arrivée au pouvoir. « L’abrogation est une de nos priorités », a confirmé la candidate commune à Matignon Lucie Castets.

Désormais, le NFP est confronté à un dilemme : voter ou non en faveur de la proposition de loi du RN ? Le choix est cornélien et la ligne de crête, ardue à tenir. « Je ne la voterai pas, parce que c’est le RN, a exprimé le député LFI Sébastien Delogu sur Sud Radio. On a déjà tout posé sur la table en essayant de l’abroger. » Les Insoumis ont en effet l’intention de déposer une proposition de loi au plus vite, espérant pouvoir l’étudier avant celle du RN. Ce qui semble hautement improbable.

« On sera présents »

De leur côté, les communistes se montrent moins gênés par l’idée de voter un texte du RN. « Je suis favorable à l’abrogation de la réforme des retraites, dès qu’il y en a l’opportunité, il faudra que l’ensemble des députés soit au rendez-vous, a affirmé Léon Deffontaines, porte-parole du PCF sur France Info. Si on peut arracher ça à la macronie, on sera présents ». Le secrétaire national du Parti, Fabien Roussel, a aussi expliqué qu’il ferait « tout pour que l’abrogation de la réforme des retraites existe ». Bien qu’il ait perdu son siège de député aux dernières élections législatives, le communiste estime que toute initiative pour revenir sur l’âge légal de départ à la retraite est bonne à prendre. Sans qu’on sache si c’est la position majoritaire d’un groupe, GDR, qui compte pour moitié des élus d’outre-mer.

Le contenu exact de la proposition du RN n’est pas connu. Rien n’est définitif, mais Marine Le Pen a laissé entendre que l’idée globale serait « le retour de l’âge légal de départ à 62 ans et aux 42 annuités de cotisation ». Un calibrage pas tout à fait conforme au programme du NFP, qui entend revenir à la retraite à 60 ans, mais qui pourrait constituer une « étape ». Encore faut-il que les députés RN convainquent leurs alliés ciottistes qui, lorsqu’ils étaient aux Républicains, plaidaient pour un départ à la retraite à... 65 ans. Peu avant le premier tour des élections législatives, Éric Ciotti déclarait d’ailleurs : « Il n’est pas dit que la réforme des retraites sera abrogée ». Depuis, il ne s’est plus exprimé sur le sujet.

Socialistes et écologistes n’ont pas non plus fait savoir leur vote. Depuis deux ans, ils ont pourtant systématiquement refusé d’apporter leurs voix à un texte du RN, refusant de s’allier, même de façon provisoire, à l’extrême droite. Le risque pour eux, sur un sujet aussi symbolique que la réforme des retraites, est de voir l’entourage de Marine Le Pen s’arroger la victoire. Ses troupes fourbissent déjà leurs armes, en reprochant à la gauche de déserter à l’avance ce combat. « Comme à son habitude, LFI vote contre les Français et contre l’intérêt général. Leur sectarisme et leur haine de l’autre n’en feront jamais un parti comme les autres ! », ose sur X le député RN Matthieu Marchio, oubliant les multiples tergiversations de Jordan Bardella à ce sujet lors de la campagne des législatives. Dans un contexte politique aussi inflammable, et alors que la prochaine élection présidentielle est dans toutes les têtes, donner un point à l’adversaire peut s’avérer (très) périlleux.

À voir également sur Le HuffPost :

Barnier Premier ministre : « On ne peut pas nous accuser de hold-up », estime le député LR Vincent Jeanbrun

François Ruffin s’en prend à Jean-Luc Mélenchon et à la stratégie électorale de la France insoumise