Abrogation de la réforme des retraites : "chaos", "obstruction"... Quand la macronie dénonçait le blocage institutionnel qu'elle assume désormais

Avec le dépôt de 986 amendements sur la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites, la macronie est accusée de d'obstruction parlementaire par la gauche.

Photo d'illustration (Photo by JULIEN DE ROSA / AFP)
Photo d'illustration (Photo by JULIEN DE ROSA / AFP)

C'est une - mauvaise - habitude des politiques opposés à un texte débattu à l'Assemblée : faire de l'obstruction parlementaire, c'est-à-dire déposer en masse des amendements pour ralentir l'examen d'un texte à l'Assemblée, obligeant à débattre sur l'ensemble des amendements.

C''est ce que fait la macronie avec le dépôt de 986 amendements sur le projet de loi visant à abroger la réforme des retraites, qui sera débattu jeudi 28 novembre à l'Assemblée nationale. Une pratique qui irrite les défenseurs du texte. "La macronie a craqué (...) on est partis sur de l'obstruction, déplore Ugo Bernalicis, rapporteur du projet de loi, en point presse.

Une pratique qui pourrait empêcher le vote du texte dans le cadre de la niche parlementaire puisque les débats s'arrêteront à minuit, jeudi.

Sauf que l'obstruction parlementaire était dénoncée hier par ceux-là même qui y ont recours aujourd'hui. Lors des débats sur la réforme des retraites, finalement abandonnée en raison du Covid, en février 2020, près de 41 000 amendements étaient déposés dont 23 000 venant de LFI et 13 000 du PCF. Guillaume Gouffier-Cha, député LREM et rapporteur du projet de loi, regrettait alors une "volonté de la part d'une minorité d'obstruer les débats".

“Nous allons assumer que nous faisons de l’obstruction. Parce que de la même manière qu’un syndicaliste fait grève pendant 43, 45, 50 jours et perd tout son salaire, les députés manqueraient à leur devoir s’ils n’utilisaient pas toutes les armes possibles pour retarder la décision finale", assumait quant à lui Jean-Luc Mélenchon en 2020.

"C’est dévoyer le rôle du Parlement, c’est dégrader le rôle d’un parlementaire, c’est au fond, devant les Français, dire qu’on ne veut pas le débat", dénonçait à l'époque sur FranceInfo, Marc Fesneau, ministre des relations avec le Parlement, fustigeant la "stratégie d’obstruction" en particulier de LFI; une stratégie pleinement assumée par LFI.

Stratégie renforcée en ajoutant des sous-amendements à chacun des 40 000 amendements. Une méthode qui avait fait bondir le député Renaissance Jean-René Cazeneuve : "Déposer 40 sous-amendements par amendement pour 40 000 amendements, c’est 20 ans de débat nuit et jour ! Vous paralysez nos institutions et créez un climat de chaos !", dénonçait-il.

Rebelotte trois ans plus tard lors du retour de la réforme des retraites à l'Assemblée. Environ 20 000 amendements, dont près de 13 000 de LFI, sont déposés. "Examiner tous ces amendements nécessiterait 4 mois de débat parlementaire. Ils le savent, c'est impossible. Cela s'appelle de l'obstruction", regrettait alors Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance.

Élisabeth Borne, Première ministre de l'époque, dénonçait des amendements d'"obstruction", le porte-parole du gouvernement Olivier Véran appelant à ce que "l'obstruction, les invectives, les injures s'arrêtent". L'actuelle ministre de l'Éducation et députée à l'époque, Anne Genetet, déplorait elle une obstruction persistante de la Nupes.

Une stratégie qui ne date pas d'hier, au gré des propositions de loi majeures. Lors de la session 2006-2007, un nombre record d'amendements avait été déposé, comme vous pouvez le constater sur le graphique ci-dessous : plus de 140 000 amendements déposés pour seulement 3 116 adoptés.

En 2013, plus de 5 000 amendements au projet de loi sur le mariage pour tous avaient été déposés, sur les 30 000 de l'année parlementaire.

L'année de la première réforme des retraites sous la présidence d'Emmanuel Macron, en 2019-2020, 40 000 des 54 000 amendements déposés lors de cette session parlementaire l'avaient été contre la réforme des retraites, examinée en février 2023.

En 2023, 20 000 amendements sont déposés contre la deuxième version de la réforme des retraites, sur les 60 000 déposés cette année-là. Mais le dépôt massif d'amendements au contenu creux n'est pas la seule solution à disposition du gouvernement pour retarder l'examen d'un texte.

Comme le rappelle le site de l'Assemblée nationale, le temps de parole du Gouvernement n’est pas limité. L’intervention du rapporteur de la commission est quant à elle généralement limitée à 10 minutes, sauf décision contraire de la Conférence des présidents et sauf pour les lectures des textes d’une commission mixte paritaire et pour les lectures définitives, pour lesquelles le temps d’intervention est de 5 minutes.

Une stratégie dénoncée en décembre 2022, lors de la niche parlementaire LR. Aurélien Pradié, rapporteur d’une proposition de loi créant une juridiction spéciale contre les violences intrafamiliales accusait le gouvernement de profiter de son temps de parole illimité pour "parler le plus possible pour ne rien dire" et empêcher "que le texte puisse être voté avant minuit".

"Vous pouvez me croire : j’avais suffisamment d’énergie pour conserver la parole jusqu’à minuit quinze", assurait le lendemain le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti.