Abbé Pierre : les nouvelles révélations de violences sexuelles peuvent-elles avoir des suites judiciaires ?

Abbé Pierre : les nouvelles révélations à son encontre peuvent-elles avoir des suites judiciaires ?(Photo de l’Abbé Pierre en 1988)
GEORGES BENDRIHEM / AFP Abbé Pierre : les nouvelles révélations à son encontre peuvent-elles avoir des suites judiciaires ?(Photo de l’Abbé Pierre en 1988)

VIOLENCES SEXUELLES - Les révélations sur l’abbé Pierre se succèdent ces dernières semaines, sur la base de nombreux témoignages et d’enquêtes journalistiques. Vingt-quatre femmes l’accusent aujourd’hui de violences sexuelles et il est désormais attesté que de nombreuses personnes – cadres de l’Église, membres d’Emmaüs ou encore de la Fondation abbé Pierre – étaient au courant des accusations d’agressions sexuelles et de viol. Et ce, depuis au moins les années 1950.

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Selon une enquête de la cellule investigation de Radio France publiée ce lundi 9 septembre, l’abbé a été envoyé par sa hiérarchie dans une clinique psychiatrique en Suisse à la fin de l’année 1957. Officiellement pour raisons de santé, officieusement pour être mis à l’écart à cause de comportements inappropriés répétés envers les femmes.

En juin 1958, l’archevêque de Paris, le cardinal Feltin, a même adressé une lettre au ministre de la Fonction publique, Edmond Michelet qui comptait décorer l’abbé. Ceci pour lui suggérer d’abandonner cette idée « fort inopportune » car « l’intéressé est un grand malade », comme le révèle Radio France.

Mais alors, si tout le monde autour de l’Abbé Pierre était dans le secret, des poursuites judiciaires peuvent-elles être engagées aujourd’hui pour « non-dénonciation » ? Le principal concerné étant décédé, il ne peut plus faire l’objet de poursuites judiciaires. Et les faits sont très anciens, donc prescrits.

Dans cette affaire, le parquet de Paris indique au HuffPost n’avoir reçu aucune plainte ou signalement, en particulier visant des personnes qui auraient protégé l’abbé Pierre. Ce qui ne l’empêcherait toutefois pas d’ouvrir une enquête portant sur des faits prescrits dans le but de recueillir la parole des victimes et rechercher de nouveaux témoignages afin de faire toute la lumière sur cette affaire.

La délicate question du délai de prescription

Compte tenu de la longue période pendant laquelle l’abbé Pierre a entretenu un comportement déviant envers les femmes – entre les années 1950 et 2005, selon les derniers témoignages, soit quelques années avant sa mort –, combien de membres du clergé étaient au courant ? Qu’ont-ils fait ? Interrogée par franceinfo, l’avocate Carine Durrieu Diebolt assure à franceinfo que « des procédures en non-dénonciation de crimes ou de délits peuvent être mises en œuvre ».

Mais cela ne va pas être simple. Car le délit de non-dénonciation est prescrit au bout de six ans à compter de la date où l’auteur prend connaissance des faits. Mais comment arriver à déterminer ce délai ? « Il faut la preuve que l’information a été portée à la connaissance des instances cléricales. Il faut joindre au dossier les lettres qui ont été adressées, et celles de réponse », souligne Carine Durrieu Diebolt qui s’interroge encore. Et de noter que le délai de prescription est sujet à interprétation : est-ce que cette date « sera reportée ou non au moment où le parquet, les instances juridiques sont informées de la non-dénonciation des faits ? »

Une possibilité qui permettrait donc d’engager des poursuites. Si ce délit est caractérisé, il est passible de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, cinq ans et 75 000 euros lorsque la victime est un mineur de 15 ans.

Au-delà du pénal, d’autres recours sont toutefois possibles pour les victimes, comme le souligne franceinfo. Elles peuvent intenter une action en responsabilité civile. Ceci a pour but de demander la réparation d’un dommage, sans que cela ne sanctionne pour autant son auteur. Benjamin Moron-Puech, professeur de droit, explique ainsi que « les actions contre sa succession et contre des structures pour lesquelles il travaillait sont possibles », en invoquant par exemple une « faute pour négligence en raison de l’inaction » ou la « responsabilité du fait d’autrui ».

Demander une indemnisation financière

En ce qui concerne les victimes, elles peuvent de leur côté demander une indemnisation financière auprès de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) et la Commission reconnaissance et réparation (CRR), organismes mis en place par l’Église catholique en 2021.

Par ailleurs, Emmaüs International « réfléchit » à une forme d’indemnisation des victimes de l’abbé Pierre, a indiqué ce lundi 9 septembre son directeur général.

La présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref), Véronique Margron, a pour sa part plaidé pour l’instauration d’« un processus de justice, de reconnaissance, de réparation », à l’image de ce qui a été fait après le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase).

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