"Le 7-Octobre a tout modifié": la communauté musulmane, un vote clé pour la présidentielle américaine

J-8 avant l'élection présidentielle américaine. Au coude-à-coude dans les sondages, Kamala Harris comme Donald Trump sont à la chasse au moindre vote pouvant leur offrir leur entrée à la Maison-Blanche.

Depuis le 7-Octobre et l'attaque du Hamas en Israël, la communauté musulmane s'est visiblement détournée de son vote démocrate traditionnel. Une incertitude et un réservoir de milliers de votes non-négligeable pour les deux camps, qui pourrait s'avérer crucial pour s'assurer d'une victoire le 5 novembre prochain. Ce qui place la question de la guerre au Moyen-Orient au cœur du débat politique outre-Atlantique.

À Dearborn, dans le Michigan, ville à majorité musulmane, la question de la présidentielle américaine est sur toutes les lèvres. "En ce moment, le sujet le plus important, c'est Gaza et la guerre d'Israël au Liban. Et Donald Trump et Kamala [Harris] les soutiennent tous les deux, nous ne voterons donc pas pour eux", affirme Mohamed Alemara, étudiant en médecine, né aux États-Unis de parents immigrés irakiens.

"Comme beaucoup d'Arabes américains", il explique se "sentir trahi par le Parti démocrate": "c'est comme s'ils nous avaient poignardés dans le dos en ne voulant pas écouter nos demandes en n'arrêtant pas le massacre de nos familles à Gaza et au Liban."

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Depuis un an, une grande partie de la communauté musulmane souhaite, comme Mohamed Alemara, sanctionner le Parti démocrate pour son soutien militaire à Israël. "Je ne dis pas aux gens pour qui voter, mais personnellement, j'estime qu'aucun candidat ne nous aidera", explique à BFMTV l'imam Hassan Qazwini, fondateur de l'Islamic Institute of America.

"[Kamala] Harris malheureusement a considéré les Musulmans comme acquis, mais elle avait tort", ajoute-t-il.

"Le 7-Octobre a tout modifié"

Historiquement, la majeure partie de la communauté musulmane américaine votait pour le camp démocrate. Mais les attaques de l'an passé ont changé bien des paradigmes. "Le 7-Octobre a tout modifié", résume Dominique Cadinot, maître de conférences à l'université Aix-Marseille et spécialiste de la communauté arabe des États-Unis.

Dans un contexte international toujours plus tendu, les musulmans américains reprochent à Joe Biden son manque de fermeté avec Benjamin Netanyahu et son inaction face à la mort de milliers de civils à Gaza sous les frappes israéliennes.

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"La communauté musulmane a demandé à Joe Biden d'être plus sévère avec Israël. C'est face à cette inaction, à cette absence de changement dans la politique de Joe Biden que certains musulmans et Arabes ont pu se dire qu'ils ne voteraient pas pour le camp démocrate", explique Dominique Cadinot.

Un divorce jusqu'au Congrès américain

Autour de cette élection présidentielle, l'indécision s'instigue jusqu'aux plus hautes sphères de l'État. Au Congrès américain, Ilhan Omar et Rashida Tlaib, deux femmes musulmanes, avaient été élues en 2018 respectivement dans le Minnesota et le Michigan. Une grande première dans l'histoire du parlement et deux soutiens de taille pour le camp démocrate.

Mais ni l'une ni l'autre ne s'est jusqu'ici engagée pour Kamala Harris, ce qui est "très surprenant", selon Dominique Cadinot spécialiste des communautés musulmane et arabo-américaine. "Même les parlementaires sont divisés", alors même qu'Ilhan Omar et Rashida Tlaib "avaient toujours été unies", rappelle-t-il.

Un électoral volatil

Pour les deux candidats à la Maison-Blanche, l'électorat musulman, bien loin d'être homogène, représente un réservoir de votes déterminant. Une victoire, notamment dans l'État-clé du Michigan, peut se jouer à quelques dizaines de milliers de voix - environ 10.000 seulement ont manqué à Hillary Clinton en 2016 pour remporter ce swing state et ses 16 grands électeurs.

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Dominique Cadinot rappelle en effet qu'il y a environ "250.000 musulmans dans le seul État du Michigan - c'est pour ça que Donald Trump et Kamala Harris y sont en ce moment - ça peut faire un écart si un candidat convainc ces électeurs volatils."

Alors pour séduire l'électorat musulman, les deux candidats tâtonnent. "La technique de Kamala Harris est de rester discrète et de promettre une politique différente de celle de Joe Biden, sans se prononcer sur ce que sera sa politique extérieure", explique l'universitaire. La candidate démocrate, qui s'est prononcée pour un cessez-le-feu à Gaza, est critiquée pour ne pas s'opposer clairement à l'aide militaire à Israël et donc, rompre avec la politique de Joe Biden.

"Donald Trump fait des promesses, ce qu'il a toujours fait", ajoute Dominique Cadinot.

Donald Trump promet la paix et surfe sur la colère de la communauté arabe contre la guerre à Gaza, ce qui lui aura valu le soutien de certains leaders musulmans, qui l'ont rejoint sur scène lors de son meeting du 26 octobre dernier dans le Michigan. "Il promet la paix", a assuré l'imam Belal Alzuhairi, dans une séquence partagée en masse sur les réseaux sociaux.

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Toutefois, il est nécessaire de rappeler que la communauté musulmane aux États-Unis n'est pas uniforme et que ces fameux leaders musulmans en faveur de Donald Trump sont des représentants de la mouvance chiite, soit "10 à 15% des musulmans aux États-Unis", et "sont minoritaires dans la communauté, très conservateurs", rappelle Dominique Cadinot.

Ni Harris, ni Trump

Si elle ne vote ni pour Kamala Harris, ni pour Donald Trump, la communauté musulmane pourrait finalement s'abstenir ou voter pour un autre candidat, comme l'écologiste démocrate Jill Stein, qui elle a pris parti contre ce qu'elle qualifie de "génocide" à Gaza. C'est d'ailleurs ce que compte faire Mohamed Alemara.

"Il y a 300.000 à 400.000 Arabes dans le Michigan, donc ils ont besoin de notre vote. Je ne pense pas que [Joe] Biden aurait pu gagner en 2020 sans nous. Cette année, si nous restons tous à la maison, je pense que Trump l'emportera", explique l'étudiant.

Donald Trump et Kamala Harris réussiront-ils à rallier à leur cause les électeurs musulmans? Rien n'est moins sûr. Pour eux, cette présidentielle ressemblerait plutôt à "un choix entre la peste et le choléra", souligne Dominique Cadinot, quand la communauté arabe semblerait finalement souhaiter "soutenir un candidat qui travaille pour leur intégration", notamment économique.

Article original publié sur BFMTV.com