65 ans après leur création, les Schtroumpfs changent pour la première fois de look
Depuis leur création en 1958, les Schtroumpfs n'avaient jamais connu pareille révolution. Pour la première fois en 65 ans d'existence, les personnages imaginés par le dessinateur belge Peyo, de son vrai nom Pierre Culliford, vont hériter de nouveaux visages, à découvrir dans Qui est ce Schtroumpf?, un album signé Tébo qui sort ce vendredi.
Hormis l'introduction de nouveaux personnages comme la Schtroumpfette et de nouveaux univers comme "le village des filles", la licence avait jusqu'à présent toujours su se moderniser sans bouleverser sa formule ou le design des Schtroumpfs, immuable depuis la mort de leur créateur en 1992.
Véronique Culliford, fille de Peyo et gardienne du temple, s'y opposait d'ailleurs vivement, contrairement aux ayants-droit de Corto Maltese ou Lucky Luke. Mais elle a su se laisser séduire par le travail de Tébo, auteur du très remarqué La Jeunesse de Mickey. Si bien qu'elle espère lancer une collection "Les Schtroumpfs vus par...".
Un coup de bol
Tout a commencé il y a quatre ans, lors d'un dîner. Les éditions Le Lombard proposent à Tébo "de bosser sur un scénario des Schtroumpfs". "Je travaillais en même temps sur Captain Biceps et ma nouvelle série, Raowl, et je n'avais pas le temps", se souvient-il. "Je n'ai pas cherché à écouter la proposition et j'ai refusé."
Mais en rentrant chez lui, le dessinateur a une idée: raconter les mésaventures d'un Schtroumpf ne parlant pas un mot de schtroumpf. Accompagné par la Schtroumpfette, le Schtroumpf costaud et le Schtroumpf à lunettes, il décide de partir à la recherche de ses origines.
Pendant des mois, l'idée le hante. "Et l'année dernière, j'ai eu un déclic. S'il ne parle pas le schtroumpf, c'est qu'il a perdu la mémoire, et le reste est venu facilement!" En mettant en scène un Schtroumpf amnésique, Tébo propose aussi un commentaire méta ironique sur sa propre réinterprétation visuelle de l'œuvre de Peyo.
Tébo recontacte alors Le Lombard, "histoire de vérifier si la proposition tient toujours". Coup de bol: elle tient toujours et IMPS, la société qui gère l'image et la marque des Schtroumpfs depuis 1984, serait favorable à la seule condition que Tébo se charge de cette relecture, en raison de la qualité de son travail sur Mickey.
"Contrôlé à bloc" pour "préserver le mystère"
Le dessinateur soumet son idée de Schtroumpf amnésique à Véronique Culliford, qui la valide. Le plus difficile est alors "de faire passer la pilule du dessin".
"Elle ne voyait que son père. Mais je comprends. Si j'avais été le fils de Peyo, j'aurais fait en sorte que personne ne touche au travail de mon père", s'amuse le dessinateur.
Véronique Culliford finit par accepter le projet. Mais Tébo travaille sous surveillance: "C'était contrôlé à bloc, par quinze personnes du Lombard et de chez IMPS, mais je n'ai pas été embêté." Un gag potache imaginant ce que cache le bonnet des Schtroumpfs est cependant modifié pour ne pas être trop trash:
"Véronique Culliford m'a dit que Peyo n'avait jamais montré ce qu'il y avait sous le bonnet. On ne sait pas s'ils ont des cheveux ou s'ils sont chauves. Comme Peyo n'a rien dit, il faut préserver le mystère."
"Toujours en train de corriger"
Tébo a tâtonné pour trouver le style adéquat de ses Schtroumpfs: "Comme j'en avais déjà bavé sur Mickey, et que j'ai maintenant 25 ans de métier, je pensais que j'allais m'éclater, que ça serait trop facile. Et bien non. Ça a été l'enfer. Je n'arrivais pas à dessiner les Schtroumpfs comme je le voulais."
"Dès je les maîtrisais, tout de suite après, je n'y arrivais plus", raconte-t-il. "L'œil était soit trop bas, soit pas assez haut. Idem pour le bonnet. Les jambes étaient toujours plus longues, et les pieds trop petits. Tout l'album, j'étais mal, toujours en train de corriger des trucs."
Si son style est très différent de Peyo, Tébo reconnaît son influence sur son travail. "Quand j'allais chez le dentiste, il y avait le dessin d'un Schtroumpf qui se brossait les dents. Il était super beau, avec des pleins et des déliés, soit des traits fins et des traits épais. Ça m'a marqué à vie, mon dessin très rond vient de là."
Dessiner les Schtroumpfs lui a aussi permis de se rendre compte de la perfection du dessin de Peyo:
"Quand j'ai essayé de dessiner un Schtroumpf sans son bonnet, je me suis rendu compte que ce n'était pas un Schtroumpf, mais juste un bonhomme bleu! Tout repose sur le bonnet et le collant. Le design est aussi simple qu'indépassable."
"Ce n'est pas un multiverse"
L'autre défi principal de l'album a été d'utiliser à bon escient le mot "schtroumpf" dans les dialogues. "Dès qu'il te manque un synonyme, tu peux mettre 'schtroumpf', mais il faut faire attention à ce que ce ne soit pas tendancieux. Ça peut arriver vite: 'Je vais t'en mettre plein le schtroumpf', 'Ça a le goût de schtroumpf.'..."
Un travail minutieux pour réaliser un véritable album des Schtroumpfs, ludique, et "non pas une parodie ou un hommage", insiste Tébo. "Les Schtroumpfs sont mignons, ça n'a pas besoin d'être tout le temps délirant. L'album fonctionne dans la continuité des autres. Ce n'est pas un multiverse, où je change tout."
Qui est ce schtroumpf?, Tébo (éditions Le Lombard), 56 pages, 11,50 euros.