5 idées reçues sur l'immigration en France

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a livré une interview, saluée par l'extrême droite, dans laquelle il affirme notamment que "l’immigration n’est pas une chance".

Manifestation contre la loi immigration à Paris, le 11 décembre 2023 (Photo by ALAIN JOCARD / AFP)
Manifestation contre la loi immigration à Paris, le 11 décembre 2023 (Photo by ALAIN JOCARD / AFP)

L'interview du nouveau ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau sur LCI n'est pas passée inaperçue. Connu pour ses idées conservatrices, le ministre a notamment ciblé l'immigration, jugeant que celle-ci "n’est pas une chance". Bruno Retailleau a estimé qu’"il n’y aura(it) de maîtrise de l’immigration que si on a un plan d’ensemble".

Il a également réaffirmé son souhait d'un referendum sur la question, toutefois impossible pour des raisons constitutionnelles, mais aussi affirmé son souhait de voir rétablie entièrement la double peine ou encore ses réserves concernant une "société multiculturelle", susceptible selon lui de basculer vers une "société multiraciste". Le Premier ministre Michel Barnier avait dit vouloir "maîtriser l'immigration avec humanité".

L'immigration, sujet inflammable, est l'un des plus cités par les sondés parmi ceux qui déterminent leur vote à une élection, derrière le pouvoir d'achat la sécurité et la santé, mais devant l'éducation, la protection de l'environnement ou encore la sauvegarde des services publics. Un sujet autour duquel de nombreuses idées reçues circulent depuis des années, et qui devrait être au coeur de la déclaration de politique générale du Premier ministre, le 1er octobre.

  • Le coût faramineux de l'immigration pour les finances publiques

C'est l'un des arguments électoraux les plus souvent mis en avant par l'extrême droite : son coût. Durant la campagne des européennes, Jordan Bardella affirmait par exemple que le coût net de l'immigration pour les finances publiques françaises était de "40 milliards d'euros par an", un argument de poids alors que le sujet des finances publics est au coeur des débats politiques. Un chiffre issu de l'interprétation, par une association, de deux études. Sauf que leurs auteurs réfutent catégoriquement ce montant auprès de l'AFP, et dénoncent une "interprétation fallacieuse".

"Ce chiffre n’est pas issu de mes travaux. La dernière estimation que nous avons pu faire pour 2011 était de -0,49% du PIB, soit 8,8 milliards", a indiqué à l'AFP l’économiste Xavier Chojnicki professeur à l’université de Lille et membre du Centre d’études prospectives et d’informations internationales. En 2022, il estimait dans la Revue économique que "la contribution de l’immigration aux finances publiques françaises, entre 1979 et 2011, est globalement négative, mais très faible, contenue en-deçà de 0,5% du PIB". Plus globalement, les économistes reconnaissent la difficulté d'un calcul du coût de l'immigration en raison d'éléments difficilement quantifiables comme "le rayonnement de la France dans le monde, sur le plan de la culture, des affaires, de la diplomatie".

Une étude menée par l’OCDE sur l’impact budgétaire de l’immigration de 2006 à 2018 évaluait à "une contribution budgétaire nette totale des immigrés entre − 1 % et + 1 % du PIB", évalue auprès du Monde Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE.

D’après l'organisme, pour 1 euro perçu, les immigrés ont contribué en moyenne à 0,88 euro, tandis que pour les natifs pour 1 euro de dépense publique, ils ont contribué à hauteur de 0,93 euro. Une différence qui "s’explique par des taux d’emploi inférieurs et des taux de pauvreté supérieurs chez les immigrés mais pas par le fait qu’ils recevraient plus de prestations individuelles", poursuit le membre de l'OCDE. Et pour 1 euro perçu par un natif, l'immigré perçoit 0,94 euro.

  • Le lien entre immigration et délinquance

La récupération politique des faits divers est devenue une quasi habitude, alimentant l'idée selon laquelle il existe un lien entre immigration et délinquance. Quelques jours avant les européennes de juin dernier, Jordan Bardella affirmait sur RTL que "40 % des vols de voiture, 38 % des cambriolages et 31 % des vols violents sont le fait d’étrangers (...) ceux qui ne veulent plus faire le lien entre l’immigration et l’insécurité, je ne peux plus rien pour eux". Des chiffres officiels qui viennent du service statistique du ministère de l’Intérieur (SSMSI).

Pour autant, Jordan Bardella fait un raccourci en interprétant ainsi ces chiffres, alertent plusieurs spécialistes. Tout d'abord, ces chiffres du SSMSI recensent les mis en cause, et non les personnes condamnées par la justice.

Ensuite, s'y ajoute une question de définition d'"étranger", qui diffère entre l'Insee et le SSMSI. Le ministère de l'Intérieur intègre dans ses statistiques les étrangers de passage en France alors que pour l'Insee, les étrangers, sont ceux "qui résident en France et ne possèdent pas la nationalité française".

Mais surtout, pointent différents experts interrogés par l'AFP, ces chiffres cités par Jordan Bardella ne permettent pas de faire un lien entre immigration et délinquance, car ils ne prennent pas en compte certains biais. Ainsi, les hommes jeunes sont de façon générale surreprésentés dans la délinquance. Or, une importante part des étrangers sont aussi des hommes jeunes. Autre élément, basés sur des travaux scientifiques qui démontrent que "les étrangers sont discriminés à chacune des étapes du processus pénal, dès les interpellations par la police", ajoute Valérie Icard, docteure en sciences politiques, chercheuse associée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).

Enfin s'y ajoutent des paramètres comme la pauvreté ou la difficulté d’accès au marché du travail qui peuvent aussi être corrélés avec les données liées à la délinquance, ajoute Michel Wieviorka, sociologue et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).

Une étude publiée en avril 2023 par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales, organisme rattaché à Matignon, montre que "les immigrés ne sont pas à l’origine d’une augmentation des taux d’infraction dans les pays d’accueil". "Le nombre de délits commis dans un pays n’augmente pas à la suite d’une vague migratoire", écrit l'un des auteurs, à une exception près : une petite partie des immigrés présente "une probabilité légèrement plus élevée de commettre un vol lorsqu’ils n’ont pas accès au marché du travail".

  • La France face à une "submersion migratoire" menaçant son identité

Jordan Bardella l'a redit durant la campagne pour les législatives, il veut "protéger la France d'une submersion migratoire qui n'en est qu'au début du commencement". Une "submersion" qui sous-entendrait une arrivée massive de migrants en France, qui rejoindrait l'un des concepts à la mode à l'extrême droite durant la dernière campagne présidentielle : le grand remplacement, idée selon laquelle les Européens blancs et donc les Français seraient remplacés à moyen terme "par des non-Européens d'Afrique subsaharienne et du Maghreb, dont la majorité sont musulmans.

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Sauf que les chiffres sont très loin d'étayer l'idée d'une submersion. Selon l'Insee, au 1er janvier 2022, on dénombrait en métropole et en outre-mer, près de 7 millions d’immigrés sur 67,6 millions d’habitants, soit 10,3% de la population. La France comptait 6,6 % d’étrangers en 1931, elle en compte 7,8 % en 2024 (5,3 millions de personnes).

Concernant les titres de séjour accordés, la France est passée de 193 000 en 2005 à 311 000 en 2022. Une hausse dont la moitié est due aux étudiants internationaux, un quart aux travailleurs qualifiés, et 15% aux réfugiés reconnus ou régularisés. Et sur cette période, la migration familiale a baissé de 4%.

  • Les conditions d'accueil des migrants en France créeraient un "appel d'air"

C'est l'un des mythes les plus répétés par l'extrême droite en France : les conditions d'accueil des migrants dans l'Hexagone, jugées favorables, créeraient un "appel d'air" et inciteraient de nombreux candidats au départ de leur pays à tenter d'arriver en France.

Répétée depuis des années par l'extrême droite, cette idée est au coeur de la loi immigration qui a divisé la classe politique, finalement votée en décembre 2023. Sauf que l'idée d'un tel appel d'air n'a jamais été prouvé.

"La répartition des migrants et des réfugiés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l’appel d’air est un mythe jamais démontré", expliquaient dans une tribune publiée au lendemain de l’adoption de la loi immigration, l’Institut Convergences Migrations, qui réunit plus de 700 chercheuses et chercheurs en sciences sociales.

"Les migrations n’ont pas besoin d’appel pour se produire. Elles sont le fait de l’activité naturelle des femmes et des hommes ou alors de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux ", explique Pascal Brice, ancien directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), dans une vidéo du site Migrations en Questions. De quoi balayer cette théorie.

Lorsque quelque part dans un pays on améliore les tentations d'accueil, les arrivées augmente. La tentation dans de nombreux pays est d'en tirer la conséquence qu'il faudrait dégrader les conditions d'accueil de manière à dissuader ces arrivées. Or, tout démontre que l'effet de dissuasion n'existe pas", poursuit le spécialiste.

Au coeur de cette "générosité" qui entrainerait cet appel d'air, l'Aide médicale d'État en est le dispositif le plus emblématique et le plus ciblé par l'extrême droite. Une enquête de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), datant de 2019, menée auprès d’un échantillon représentatif d’étrangers en situation irrégulière montrait que seuls 9,5 % d’entre eux évoquent la santé comme motif de venue en France, et seuls 51 % des étrangers éligibles ont demandé à bénéficier de l’AME.

"Pour les migrants, le premier critère est d’ordre professionnel : ils cherchent à accéder soit à un emploi, soit à un cursus universitaire, explique Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS dans un article publié par Le Monde. Le second critère, c’est l’existence, dans le pays d’accueil, d’une communauté issue de leur pays d’origine.

  • Les étrangers volent le travail des Français

C'est une idée reçue véhiculée à l'époque du Front nationale par Jean-Marie Le Pen puis par Marine Le Pen mais qui semble avoir fait son temps. Car les travailleurs immigrés sont surreprésentés dans les métiers dans lesquels les employeurs peinent à trouver suffisamment de main-d’œuvre. Ce sont les métiers avec des conditions de travail contraignantes et dans les métiers en pénurie de main-d’œuvre.

Ainsi, les immigrés, qui représentent 10,3% de la population, pèsent 38,8% des employés de maison, 28,4% des agents de gardiennage et de sécurité, 24,1% des ouvriers non qualifiés du BTP ou 22% des cuisiniers, selon le Musée de l’histoire de l’immigration. Près de la moitié des travailleurs immigrés vivent en Ile-de-France, où ils représentent 60% des aides à domicile.