40 ans après l'abolition de la peine de mort, pourquoi en débat-on encore souvent en France?

Robert Badinter, ministre de la Justice, s'adressant au Sénat pour présenter son texte sur l'abolition de la peine de mort le 28 septembre 1981 - PIERRE GUILLAUD / AFP
Robert Badinter, ministre de la Justice, s'adressant au Sénat pour présenter son texte sur l'abolition de la peine de mort le 28 septembre 1981 - PIERRE GUILLAUD / AFP

"La peine de mort est abolie", dit l'article 1 de la loi du 9 octobre 1981. Portée par le ministre de la Justice de l'époque Robert Badinter, la promulgation de cette loi, il y a aujourd'hui quarante ans jour pour jour, est un événement historique majeur en France.

"Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue", avait lancé le garde des Sceaux, plaidant devant les parlementaires. "Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées".

Mais quarante ans après, la France semble avoir encore un peu de mal à clore ce chapitre. Dernièrement c'est le polémiste Éric Zemmour, qui a évoqué la possibilité du retour de la peine capitale, en se disant "philosophiquement" favorable à son rétablissement, et en assurant qu'une "majorité de Français" l'était aussi.

Le retour de la peine de mort faisait également partie du programme du FN (aujourd'hui RN) jusqu'en 2012. Et si le terme "peine de mort" n'apparaissait plus dans les propositions de Marine Le Pen en 2017, elle avait expliqué laisser la possibilité aux Français de faire un référendum d'initiative populaire à ce sujet.

Une opinion divisée

Dans les derniers sondages, parmi ceux qui se prononcent en faveur de la peine de mort, on retrouve une forte majorité de personnes de droite, et surtout d'extrême droite. Selon la dernière enquête d'Ispos datée d'août 2021, 80% des personnes se déclarant proches du RN étaient ainsi favorables à son rétablissement, contre 29% pour les sympathisants de La France Insoumise.

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Ce sujet "est en effet un marqueur politique fort de la droite et en particulier de l'extrême droite, mais cela ne veut pas dire que tous les militants y sont favorables, ni que ceux de gauche y sont forcément défavorables", souligne auprès de BFMTV.com Nicolas Picard, historien et auteur de Le Châtiment suprême.

Globalement, ces dernières années, les Français apparaissent très divisés sur la question: les enquêtes d'opinion donnant à chaque fois autour de 50% de pro et 50% d'anti peine capitale, avec quelques oscillations d'une année sur l'autre.

"Nous sommes ici dans la psychologie des foules", analyse pour BFMTV.com Jean-Yves Le Naour, historien et auteur de Histoire de l’abolition de la peine de mort. Deux cents ans de combat. "La peine de mort, depuis ses origines, vise à rétablir un ordre qui a été troublé par le crime. La peur et la colère envahit le corps social et la mort du criminel, en compensation, vient soulager l'angoisse collective."

Rétablir "l'ordre du monde et la sécurité"

Dans les sondages, on note ainsi une forte augmentation des personnes favorables à sa remise en place en 2015, après les attentats qui ont frappé la France. "Si vous posez la question après un crime horrible, les réponses vont évidemment être différentes", note Anne Denis, responsable de la commission sur l'abolition de la peine de mort pour Amnesty International France. "L'opinion publique réagit aux crimes violents avec de la violence".

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Elle "est attachée à la mort car elle y voit une vengeance, cela apaise son courroux, cela lui donne l'illusion qu'elle est en sécurité", estime Jean-Yves Le Naour. Mais il s'agit, pour lui, "d'un réflexe archaïque de sacrifice pour rétablir faussement l'ordre du monde et la sécurité".

Or, "il n’existe aucune preuve crédible que la peine de mort soit plus dissuasive qu’une peine d’emprisonnement" explique Amnesty International. On tuait par le passé pour "le vol, même d'un mouchoir par une domestique, l'homosexualité, l'abattage d'un arbre dans une forêt appartenant au roi, etc.. 115 cas relèvent de la peine de mort avant 1789", rappelle Jean-Yves Le Naour. "Et ces sociétés étaient extrêmement violentes et criminogènes".

Et aujourd'hui? "Dans les pays qui ont interdit la peine de mort, les chiffres relatifs à la criminalité n’ont pas augmenté. Dans certains cas, ils ont même baissé", selon Amnesty International. "Au Canada, le nombre d’homicides en 2008 était inférieur de moitié à celui de 1976, lorsque la peine de mort y a été abolie."

"La volonté que les coupables souffrent"

Nicolas Picard explique que cette volonté de plus de fermeté vient, en partie, du fait que notre société actuellement "supporte de moins en moins les atteintes aux personnes". Il donne l'exemple des "atteintes sexuelles, considérées aujourd'hui comme gravissimes", ce qui n'était pas le cas "pendant la majeure partie du XXe siècle". Avec la peine de mort, "il y a la volonté que les coupables souffrent de façon proportionnelle à ce qu'ils ont pu faire aux victimes".

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L'évolution du jugement à ce sujet s'accompagne de ce que l'historien appelle un "'populisme pénal' qui se développe depuis les années 1970, avec une accélération dans les années 2000 (notamment lors des années Nicolas Sarkozy), qui réclame des peines plus fortes, plus longues pour réprimer la violence".

Il note également "une promotion importante de la figure de la victime" dans les tribunaux depuis les années 1970. Elles ont obtenu plus de place et prennent davantage la parole, parfois pour "dénoncer les insuffisances de la justice". "Cela a pu être utilisé pour aggraver la répression de certains crimes insuffisamment considérés, mais aussi pour réclamer des peines plus fortes", explique-t-il.

En ce sens, la question de la peine de mort et de sa remise en place s'apparente davantage aujourd'hui, pour lui, à "un marqueur autoritaire, pour évaluer la demande de sécurité de la population", qu'à une véritable volonté du retour de la guillotine.

Les Français "ne savent plus ce que c'est de vivre dans un pays" avec la peine de mort

D'autant que 40 ans après, certaines générations de Français n'ont jamais connu la peine de mort. "Ils ne savent pas, ou plus, ce que c'est de vivre dans un pays où on tue des condamnés", note Anne Denis. Si les "sondages permettent de voir l'évolution des réponses à une même question des années 1970 à aujourd'hui, le contexte n'est plus du tout le même", abonde Nicolas Picard.

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Pour Jean-Yves Le Naour, les enquêtes d'opinion n'ont de toute façon que peu de valeur pour la peine de mort, car "il s'agit d'une réponse à une question posée au téléphone, par mail ou encore dans la rue". "Elle ne nous engage pas. On y répond vite et on passe son chemin". Le "vrai sondage" selon lui, "c'est celui des jurys populaires, des assises qui jugeaient les criminels au temps de la peine de mort".

La dernière personne condamnée à mort en France a été exécutée le 10 septembre 1977, et dans les 20 années précédant l'abolition, on compte 17 condamnés à mort sur plusieurs milliers d'affaires pouvant la réclamer, explique l'historien.

"Être juré ce n'est pas être sondé, c'est écouter toute une histoire, avoir un homme en vie devant soi et selon sa décision, lui ôter la vie et rester seul avec cette sentence", analyse-t-il.

"Pas de retour en arrière" possible

Pour Nicolas Picard, si la question de la peine de mort ressurgit de temps à autres, elle reste un sujet secondaire dans notre société. Et Anne Denis rappelle que de toute façon, cette sentence ne peut en réalité pas être remise en place dans notre pays.

Outre l'inscription de cette interdiction dans la Constitution en 2007, la France a signé plusieurs traités internationaux qui interdisent la peine de mort, comme les protocoles 6 (en 1983) et 13 (en 2007) de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui proscrivent la peine de mort. Or, "ces deux protocoles additionnels ne comportent pas de clauses permettant un retrait de la Convention", explique Amnesty International. Décider de ne plus les respecter reviendrait "probablement" à ce que la France quitte la CEDH, entrainant une fracture très forte au niveau européen.

Certes, dans les faits, la France pourrait briser les traités auxquels elle est raccordée, ce ne serait pas une première dans l'histoire des accords internationaux. En revanche, cela signifierait qu'elle "se retirerait de toutes les instances internationales", explique Anne Denis, alors que l'on sait que la France "a besoin de la communauté internationale sur plusieurs niveaux, le coût diplomatique serait bien trop fort".

Robert Badinter lui-même en est convaincu: dans une récente interview à Libération, il jugeait que "la peine de mort en France, c'est fini", et ce "comme dans toutes les démocraties européennes."

Article original publié sur BFMTV.com