"En 14 minutes, on en fait parfois autant qu'en 80", ce qui va changer pour Dupont en passant du XV au 7
C’est désormais officiel. Comme l'a confirmé la FFR, Antoine Dupont participera bien aux Jeux olympiques de Paris 2024 avec l’équipe de France de rugby à 7. Le demi de mêlée va donc délaisser la sélection du XV et manquer le tournoi des VI Nations pour prendre ses marques lors d’étapes du Rugby Sevens à Vancouver (23-25 février) et Los Angeles (2-3 mars). Mais qu’est-ce que cela change de passer du XV au 7?
Moins de joueurs, plus d’espaces et quelques règles différentes
Si les bases du jeu ne changent pas, Antoine Dupont va tout de même découvrir un nouveau monde à 7. Les dimensions du terrain restent les mêmes qu’à XV, avec deux fois moins de joueurs dessus, ce qui offre plus d’espace et un côté très spectaculaire et intense. Une rencontre se joue en deux mi-temps de sept minutes (deux fois dix minutes en finale, contre deux fois quarante minutes à XV) avec des mêlées à trois joueurs (contre huit à XV) et des transformations en drop (contre des coups de pied placés à XV) dans les quarante secondes suivant un essai.
"Outre le nombre de joueurs et quelques détails propres à chaque discipline, cela reste du rugby, on plaque, on se fait des passes", confiait Virimi Vakatawa, qui a navigué entre les deux disciplines, sur le site de la FFR en 2016. "Alors oui, il y a moins d’espace pour le XV et des placements différents mais on parle de la même chose. Je pense que l’on peut pratiquer les deux sans aucun problème."
Un demi de mêlée à la fois talonneur et arrière à 7
Une équipe de rugby à 7 est composée de trois avants et quatre arrières, dont la charnière composée du 4 et du 5 (contre le 9 et le 10 à XV), même si les attributions de chaque poste changent (le talonneur à 7 n'a rien à voir avec celui à XV). Numéro 9 des Bleus capable de dépanner à l’ouverture, Dupont postule pour les deux postes. En 5 (ouvreur), il serait plus relayeur. En 4, il serait chargé d'introduire le ballon en mêlée, mais aussi de lancer les touches et d'assurer un rôle de "libéro", comme l'arrière à XV en couvrant les ballons adverses.
Il pourra s’inspirer de la légende de l’équipe de France à 7 et recordman de points en sélection, Terry Bouhraoua, ancien demi de mêlée passé du XV au 7 puis l’inverse. Le premier joueur à avoir signé un contrat fédéral (en 2010) avec la FFR brillait par son centre de gravité bas (il mesure 1,67m), comme celui d'Antoine Dupont (1,74m). "Je dirais qu’à ce jeu, si tu n'es pas le plus solide, il faut essayer d'aller vite, et plus vite que les autres. Anticiper, voir avant eux", confiait-il à Rugbyrama en 2015.
Aller vite, le maître mot d'un sport qui va à 100 à l'heure, comme l'explique au micro de RMC Sport l'arrière international de l'USAP Jean-Pascal Barraque, qui compte une sélection à XV mais 182 à 7.
"Le 7, c'est la Formule 1 du XV. Il y avait un ailier américain, Carlin Isles, qui allait à 41km/h. A XV, on n'a jamais vu ça. Quand tu te retrouves derrière, tu restes derrière et tu le vois aplatir derrière la ligne d'essai."
Des efforts différents
Antoine Dupont (27 ans) va donc jauger une nouvelle perception de l’espace sur un terrain de rugby. Le challenge s’annonce multiple pour le Toulousain. D'un point de vue athlétique, le capitaine des Bleus du XV dispose du profil adapté, au regard de son énorme débauche d’énergie en match à XV. Mais la marche reste haute, tant le niveau d'intensité est important à 7. "Ce qui change, c'est l'enchaînement de tâches répétées à haute intensité, qui fait qu'on a moins le temps de se reposer, poursuit Jean-Pascal Barraque.
"En 14 minutes, on fait parfois autant de tâches qu'en 80", estime-t-il.
La préparation physique est donc très spécifique, avec un gros accent mis sur le cardio. "Au début, on a vite les cannes engorgées, poursuit le joueur de l'USAP. Et petit à petit, ton corps s'habitue. Le corps est bien fait: quand tu fais une bonne préparation à 7, tu perds toujours deux ou trois kilos en ne faisant rien. Ton corps s'adapte à ce nouveau sport".
Et qui dit nouveau sport dit nouveaux automatismes. D'un point de vue stratégique, il faudra probablement un temps d’adaptation au capitaine des Bleus, que son alternance entre le XV (avec Toulouse) et le 7 (avec la France) jusqu’aux JO ne devrait pas faciliter. "Il va falloir qu'il se sente bien sur le terrain, qu'il ait des certitudes, anticipe Jean-Pascal Barraque. Je me souviens que Gabien Villière avait du mal au début. Il disait: 'à 7, j'ai du mal à retrouver la confiance que j'avais'. Mentalement, c'est dur parce qu'en face, on ne connaît pas vraiment les joueurs, comme le 7 est un peu moins médiatisé. On peut vite se faire mystifier par une personne lambda, ça peut être compliqué".
Il faudra donc qu'Antoine Dupont profite des tournois de Vancouver et de Los Angeles pour s'imprégner de la philosophie du 7 afin d'identifier les pièges à éviter. "On a l'impression qu'il y a des espaces partout à 7, on a facilement envie de s'y engouffrer", confie l’internationale française de 7 Jade Ulutule dans L’Équipe. "Mais il faut faire attention aux faux trous. Souvent, les meilleurs espaces sont les plus loin du ballon."
Des quinzistes à la peine à 7
De nombreux joueurs ont fait la passerelle entre le 7 et XV ou inversement. Et selon les témoignages, découvrir le 7 après le XV serait plus difficile à appréhender. En mai dernier, Jérôme Daret, sélectionneur de l’équipe de France à 7, ouvrait en grand la porte à Antoine Dupont, tout en rappelant que son intégration demanderait un nécessaire temps d’adaptation. Il rappelait ainsi les difficultés rencontrées par de grands noms du XV lors de leur passage à 7 pour les derniers JO de Tokyo en 2021.
"Antoine Dupont a des standards très élevés. Maintenant, notre jeu est très spécifique", expliquait-il dans Sud-Ouest.
"On l’a vu par le passé avec des joueurs comme Radradra, qui était un des top players engagés aux derniers JO mais qui n’a pas performé. Et aussi avec Sonny Bill Williams (Nouvelle-Zélande), Quade Cooper (Australie), Juan Imhoff (Argentine), des joueurs qui sont passés complètement à côté. Les choses se travaillent, se construisent."
Antoine Dupont risque-t-il de vivre pareille mésaventure? Jean-Pascal Barraque est plutôt optimiste, lui qui se souvient même l'avoir vu fouler les terrains de rugby à 7 par le passé. "J'avais déjà fait un tournoi contre lui petit, et il était déjà bon. Je pense que ça risque de lui plaire".