14 juillet : La Révolution Française, retour sur l'ambitieuse fresque sortie en 1989

14 juillet 1989. Pour célébrer le bicentenaire de sa Révolution Française, la France a vu les choses en très grand. A Paris, 500.000 personnes se sont massées sur l'avenue des Champs-Elysées, pour suivre en direct le défilé organisé par Jean-Paul Goude, également suivi par 600 millions de personnes dans le monde, rivés sur leurs écrans de télévision. Dans un incroyable patchwork musical où se mêlent accordéons, steel band, cornemuses, trombones et autres tambours du monde, la foule est dense, compacte. Les festivités s'achèvent sur la place de la Concorde, en forme d'apothéose, lorsque la cantatrice Jessye Norman, drappée dans une robe bleue signée par le couturier Azzedine Alaïa et juchée sur un char, entonne la Marseillaise...

Le producteur de films d'origine russe Alexandre Mnouchkine et son partenaire Antoine de Clermont-Tonnerre souhaitent aux aussi marquer le coup. L'ambition est là, folle, démesurée : produire la plus grande fresque jamais réalisée sur la Révolution Française. S'il y a bien eu, depuis l'invention du cinématographe, pas moins de 150 oeuvres consacrées au sujet, aucune n'avait pourtant pris le risque de s'appeler La Révolution Française. Soit, en d'autres termes, l'ambition de faire un film somme sur cette période. Une oeuvre qui sera un diptyque en fait : La Révolution Française - les années lumière, et La révolution Française - les années terribles. Deux films qui totaliseront 5h30 de spectacle, respectivement signés par deux metteurs en scène chevronnés. Robert Enrico d'abord, le brillant cinéaste de l'inoubliable Vieux fusil et d'Au nom de tous les miens pour la première partie, tandis que la seconde sera confiée à Richard T. Heffron.

"Si aucun film avant celui-là n'a porté ce titre, c'est peut-être que tous ceux qui ont été faits auparavant ne portaient que sur un moment privilégié de la Révolution, un épisode, un personnage, une anecdote. Nous, nous avions la volonté de couvrir la période allant de la convocation des Etats généraux à la chute de Robespierre, le 9 Thermidor. C'est très ambitieux en effet !" déclarait Mnouchkine dans une interview, en octobre 1989. Et d'ajouter  : "avant de commencer, nous pensions même que c'était impossible. Parce qu'au fur et à mesure que nous avancions dans nos recherches en travaillant avec des historiens, des documentalistes, des équipes de scénaristes, au fur et à mesure que nous accumulions des matériaux, nous nous rendions compte qu'il était de plus en plus difficile d'échapper à la multiplicité des faits, des événements, des personnages, des groupes sociaux, à leur complexité. Nous avions le sentiment d'être dans l'état où nous laisse la lecture de beaucoup de livres d'Histoire : chapitre après chapitre, on comprend. Mais une fois à la fin, on reste avec le sentiment frustrant de ne pas saisir l'ensemble, l'enchaînement, le pourquoi de l'Histoire..." Il a fallu deux ans au scénariste du film en deux parties, David Ambrose, ainsi qu'au dialoguiste Daniel Boulanger, pour trouver une construction qui rendait le projet réalisable. Ambrose s'attache alors à raconter la Révolution en suivant des personnages connus, comme le roi Louis XVI, la reine, Danton, Robespierre, Marat, LaFayette, Camille Desmoulins, ect... Pendant les années allant du début 1789 à l'été 1794, soit la chute de Robespierre.

Des moyens colossaux...

Mnouchkine et Antoine de Clermont-Tonnerre parviennent à convaincre les financiers de l’intérêt de proposer au public cette grande fresque, et obtiennent une enveloppe colossale de 300 millions de francs, soit plus de 45 millions €. Un budget proprement pharaonique pour l'époque, qui permet de distribuer quelques 2000 rôles, recruter 36000 figurants, 380 techniciens, la création de 15000 costumes; 3000 perruques... Les deux époques se tourneront en même temps par deux équipes durant six mois, à partir de février 1988.

L'Etat français n'est évidemment pas en reste. Outre le fait de mettre la main au portefeuille, il assure un énorme soutien logistique. Grâce au soutien de la Caisse des monuments historiques et à la compréhension des propriétaires privés, le film a bénéficié des cadres les plus prestigieux du patrimoine français : Versailles d'abord, avec la Galerie des Glaces et l'Opéra, le château de Maintenon, Vincennes, Saussay Champs-sur-Marne, Chantilly, l'Hôtel de la Monnaie de Paris, le château du Duc d'Epernon à Cadillac (Aquitaine), le château de Vaux-le-Vicomte, le château de Saint Cloud et Fontainebleau...


Jean-François Balmer alias Louis XVI, à son procès mené dans l'enceinte de la Convention Nationale / capture d'écran

Même l'Armée est largement mobilisée. Sa contribution a permis de réunir les effectifs nécessaires à la reconstitution des scènes de batailles. On peut ainsi citer celle de la Garde Républicaine à cheval, qui a participé aux tournages de plusieurs séquences à Fontainebleau, Senlis ou Compiègne. C'est naturellement elle qui s'est assurée de la reconstitution de charges de cavalerie. La prise de la Bastille, tournée en fait au château de Tarascon, a réuni les effectifs de la base aéronavale de Nîmes et ceux de la 3e région maritime de Toulon, tandis que la séquence du franchissement de la frontière française par les troupes autrichiennes a été réalisée près de la ville de Nevers, avec un effectif de 600 soldats.

... Au service d'un éblouissant casting

L'une des forces de ce diptyque La Révolution Française réside dans son casting international de grand luxe. Dans la première partie, Les années Lumière, la mise en scène à la fois minutieuse et ample de Robert Enrico est largement épaulée par un casting très incarné. A commencer par un formidable Jean-François Balmer, qui campe un Louis XVI affable, faible et dépassé par les événements. Jane Seymour prête quant à elle ses traits à Marie-Antoinette. On citera volontiers dans cette impressionnante galerie de personnages celui du Comte de Mirabeau, incarné par un génial Peter Ustinov. La figure de Danton est portée par un autre immense acteur, l'autrichien Klaus Maria Brandauer, dont la performance oscarisée dans l'extraordinaire Mephisto (1981) d'Istvan Szabo et plus encore dans Colonel Redl (1985) a laissé une trace indélébile chez les cinéphiles. La froideur calculatrice de Robespierre est quant à elle remarquablement incarnée par un autre très grand comédien; un acteur d'origine polonaise et naturalisé français, sociétaire de la Comédie Française : Andrzej Seweryn. A ses côtés, Camille Desmoulins, l'ami d'enfance de Robespierre, qui sera finalement envoyé lui aussi à l'échaffaud, est incarné par un irrésistible François Cluzet. Et comment ne pas évoquer la distribution du rôle du Marquis de La Fayette, incarné par un très convainquant Sam Neill, une poignée d'années à peine avant de jouer le fameux Dr Alan Grant de Jurassic Park ? On ne cite ici qu'une toute petite poignée de comédiens, mais il faut rendre grâce à la qualité globale de l'interprétation des figures historiques qui peuplent le film.


Sam Neill est le Marquis de La Fayette / Capture d'écran

La seconde période, Les années terribles, se concentre quant à elle sur les événements qui vont de l'enfermement de la famille royale à la prison du Temple, peu après la prise d'assaut du Palais des Tuileries le 10 août 1792, jusqu'à l'exécution de Robespierre et de Saint Just le 10 Thermidor de l'an II (28 juillet 1794), marquant la fin du régime de terreur imposé par la dictature du Comité de Salut Public. Le cinéaste a ainsi la lourde tâche de mettre en scène les événements les plus violents de la Révolution, comme les massacres de septembre 1792, qui feront plus de 1300 morts rien qu'à Paris, ou les exactions du régime de Grande Terreur imposé par la dictature du Comité de Salut Public, dont le bras armé de la Justice expéditive est tristement incarné par l'accusateur public du Tribunal Révolutionnaire, Antoine Fouquier Tinville, qui finira à son tour guillotiné (en 1795). Véritable suite du premier volet appuyée par une distribution aussi efficace qu'inspirée, cette seconde partie offre une reconstitution intelligente et rythmée.

Ci-dessous, un extrait du film, concernant les massacres de septembre. Ou lorsque Marat réclame "de faire tomber pas moins de 100.000 têtes, "pour paralyser d'effroi [nos] ennemis"...

 

Tant qu'à (encore) parler des qualités du film, on glissera quelques mots sur la fabuleuse bande originale composée par le regretté George Delerue, décédé en 1997. Celui à qui l'on doit notamment les BO de Platoon et celle, très émouvante, du Diên Biên Phu de Pierre schoendoerffer, dont le poignant Concerto de l'Adieu, signe avec la BO de la Révolution Française une de ses plus belles partitions. En particulier la composition d'un chant, l'hymne à la liberté, dont la résonnance est encore tout à fait d'actualité. Sa version chantée fut assurée par la cantatrice Jessye Norman.

A découvrir ci-dessous, pour le plaisir...

Et dans son extraordinaire version orchestrale, puissante et épique, qui ouvre chacune des deux parties :

Les qualités de ses défauts

Si les deux films sont de bonnes et solides factures, comportent certes des omissions mais peu d'erreurs, leur souci et leur sens de la reconstitution et du détail en ont fait avec le temps des outils pédagogiques efficaces pour les professeurs d'Histoire, n'hésitant pas à diffuser de larges extraits commentés en classe.

En fait, le film a les qualités de ses défauts. Ce souci justement de l'exhaustivité à tout prix fait souvent basculer l'oeuvre dans le défaut du livre d'Histoire illustré, veillant à bien mettre en scènes les moments marquants de la période, comme celui du "serment du jeu de paume", pour ne citer que celui-ci. Cet aspect parfois catalogue vaut aussi pour certaines formules célèbres prononcées par les acteurs de cette Révolution. En fait, la vision des événements qu'offre le film correspond beaucoup à une vision scolaire de la période, telle qu'elle était enseignée jusque dans les années 1980. Corseté par la nécessité de la reconstitution, la chronique peine à s'affranchir de l'exposé des faits, dates et symboles. Les événements marquants s'enchaînent sans que s'impose une vision singulière et réellement critique, même si l'on a pu accuser le film d'avoir une vision très dantoniste des faits.

"Notre but est d'abord de distraire le spectateur, de lui faire voir ça avec intérêt : s'il a vu la première époque, qu'il ait envie de voir la seconde parce qu'il y a suspense - même si en France, on connaît l'Histoire... Mais combien de français connaissent l'Histoire de la Révolution française, et combien d'écoliers, de lycéens, d'étudiants l'apprennent ? Notre parti est celui du film, du spectacle. Ce n'est pas une leçon d'Histoire qu'on impose à coups de citations et au détriment du plaisir" justifiait le producteur Alexandre Mnouchkine dans sa démarche.


Robespierre (gauche) et Camille Desmoulins (François Cluzet), siégeant à la Convention Nationale / capture d'écran

Le film s'achève de manière émouvante : par de la pure fiction. Soit l'enfant de Camille Desmoulins et ceux de Danton, préparant une aube nouvelle pour l'Humanité, tandis que l'on entend une citation de George Danton, en voix off. Une citation aussi superbe qu'apocryphe d'ailleurs, puisqu'il n'a en effet jamais prononcé ou écrit celle-ci. Il n'empêche...

"Nous avons brisé la tyrannie des privilèges en abolissant ces pouvoirs auxquels n'avait droit aucun homme. Nous avons mis fin au monopole de la naissance et de la fortune dans tous ces grands offices de l'État, dans nos églises, dans nos armées, dans toutes les parties de ce grand corps magnifique de la France.

Nous avons déclaré que l'homme le plus humble de ce pays est l'égal des plus grands. Cette liberté que nous avons acquise pour nous-mêmes nous l'avons affectée aux esclaves et nous confions au monde la mission de bâtir l'avenir, sur l'espoir que nous avons fait naître.

C'est plus qu'une victoire dans une bataille, plus que les épées et les canons et toutes les cavaleries de l'Europe. Et cette inspiration, ce souffle pour tous les hommes, partout, en tout lieu, cet appétit, cette soif de liberté, jamais personne ne pourra l'étouffer".

Pourquoi terminer ainsi, sur ces mots, le film ? "En fait, nous avions en tête la vraie fin : la mort de Robespierre. Une mort joyeuse - sauf pour lui- en plein été. Les femmes se sont mises en décolleté, elles chantent, elles jettent des fleurs, elles plaisantent. Tout le monde est très gai, c'est la fin de la Terreur... Imaginez Paris libéré... On pouvait terminer là-dessus, mais c'était affreux., réductif" expliquait Mnouchkine. "Alors on a cherché une autre fin. Avec la voix de Danton qui revient, en off, nous avons voulu montrer que tous ces gens ne sont pas morts pour rien, que leurs idées ont mis du temps à s'appliquer : on a mis cent ans à refaire une république, cinquante ans à libérer les esclaves. Quant aux droits de l'homme et du citoyen dans le monde..."

Sorti à l'automne 1989, le film fut malheureusement un échec commercial. Une vraie  injustice, tant l'oeuvre est loin, très loin d'être dénuée de qualités, au-delà de ses vraies vertues pédagogiques. A découvrir donc si vous ne l'avez jamais vu. La Révolution française - Les années lumière et La Révolution française - les années terribles restent, 29 ans après sa sortie, un film référence sur cette période aussi passionnante que terrible de notre Histoire.