"État amoureux", "relations passagères": lorsque l'Abbé Pierre évoquait son vœu de chasteté

Un rapport commandé et rendu public par Emmaüs et la Fondation l'Abbé Pierre révèle, ce mercredi 17 juillet, qu'au moins sept femmes accusent l'abbé Pierre de gestes déplacés commis entre la fin des années 1970 et 2005. L'occasion de revenir sur le rapport complexe qu'a entretenu l'homme de foi au vœu de chasteté et au célibat tout au long de sa vie.

Coup de tonnerre à la Fondation Abbé Pierre. 17 ans après sa mort, le fondateur d'Emmaüs est accusé de gestes déplacés entre 1970 et 2005 par sept femmes. Un rapport rendu public par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre mettent en avant des comportements, dont certains peuvent être qualifiés d'agressions sexuelles, de propos sexistes ou encore de sollicitations.

Au cours de sa vie, l'abbé Pierre a évoqué à plusieurs reprises ce rapport compliqué qu'il entretenait au vœu de chasteté et plus largement de célibat imposé par l'Église catholique. Quelques années avant sa mort, il avait même confié dans deux entretiens avoir eu des relations "passagères" et "insatisfaisantes" avec des femmes et avoir connu "un état amoureux" quoique platonique avec un garçon à l'adolescence.

"Le fait que j'aie consacré très jeune ma vie à Dieu n'enlève rien à la force du désir, et il m'est arrivé d'y céder de manière passagère", écrivait-il avant sa mort avec Frédéric Lenoir dans l'autobiographie Mon Dieu, pourquoi?, publiée en 2005.

Dans cet ouvrage, l'abbé explique n'avoir jamais "laissé le désir sexuel prendre racine". "Cela m'aurait conduit à vivre une relation durable avec une femme, ce qui était contraire à mon choix de vie." Pour autant, il ne voulait pas non plus "aller vers la suppression du désir", dans le sens où cela reviendrait pour lui "à réduire la vie, la limiter". De son vivant, l'abbé Pierre considérait que "le désir en soi n'(était) pas un obstacle au progrès spirituel. Seulement, il faut savoir orienter ses désirs."

À plusieurs reprises, l'abbé Pierre avait pris position en faveur de davantage de flexibilité vis-à-vis du célibat des prêtres, estimant que cela ne devait plus être une obligation. Ainsi dans un entretien avec Marc-Olivier Fogiel en 2005, il s'est dit "convaincu" qu'autoriser le mariage des prêtres "ne diminuerait pas le nombre de vocations au célibat".

Pierre Lunel, un grand ami et biographe de l'abbé Pierre l'ayant suivi régulièrement pendant 20 ans, confie à BFMTV.com n'avoir "jamais été témoin du moindre geste déplacé" ou de paroles à caractère sexistes ou sexuelles à l'égard de qui que ce soit. Le septuagénaire confie n'avoir jamais vu l'abbé Pierre "pulsionnel" et selon lui, son ami n'aurait jamais "fait de mal" à une femme ou "été dans la manipulation".

Pour autant, il ne nie pas que cela ait pu arriver. "Ce n'est pas parce que je ne l'ai pas vu que ça n'est pas arrivé", nuance cet universitaire d'aujourd'hui 77 ans, qui reconnaît volontiers qu'à l'époque, les violences sexistes et sexuelles n'étaient absolument "pas un sujet de société qu'on abordait".

"Qu'il ait eu des difficultés à observer la chasteté durant toute sa vie, c'est possible (...) Lui-même en a fait l'aveu avant sa mort: il a bien dit que 'oui, il avait eu des moments de faiblesse sensuelle'".

Toutefois, son ami salue le fait qu'il ait eu "le courage d'en parler ante mortem".

Pierre Lunel décrit l'abbé Pierre "un homme qui a toujours été profondément charnel et profondément humain", "pas du tout un être désincarné". S'il évoquait "très librement" les - épineuses - questions du célibat et du voeu de chasteté, "c'était une souffrance pour lui, franchement", confie l'écrivain et universitaire. Selon lui, l'abbé "était si absolu" dans ce qu'il faisait que l'idée d'avoir "failli à cela ne lui plaisait pas". "Il n'a jamais eu de volupté à briser ce vœu. Chaque fois que j'en parlais avec lui, il en parlait avec remord car sans doute aurait-il voulu être fort comme Dieu à ce sujet".

En tout cas, le biographe se rappelle d'un homme qui associait "l'acte de chair" au pêché, comme le veut la religion catholique: "je ne l'ai jamais vu prendre cette question cyniquement, dire que 'ce n'était pas si grave' ou que c'était qu'un pêché véniel", poursuit l'écrivain, qui se souvient que l'abbé Pierre portait "un jugement assez dur là-dessus": "pour lui, c'était une faiblesse. Il ne pouvait pas regarder ça comme quelque chose de bien".

À BFMTV.com, Pierre Lunel raconte aussi que l'abbé Pierre a pu par le passé lui confier ses carnets d'adolescents, "dans lesquels il racontait clairement s'être pris de passion pour un jeune homme de son âge". "Ça montre bien à quel point il était humain, charnel... Il incarne bien la complexité de la nature humaine". Un épisode que l'abbé avait également évoqué dans l'interview télévisée réalisée par Marc-Olivier Fogiel en 2005.

Les faits rapportés par ce rapport indépendant font état de "comportements inadaptés d'ordre personnel, une proposition sexuelle, des propos répétés à connotation sexuelle, des tentatives de contacts physiques non sollicités, des contacts non sollicités sur les seins". Une des femmes rapporte ainsi que l'Abbé Pierre "s'est mis à" lui tripoter le sein gauche" alors qu'elle se trouvait "au pied de l'escalier, un endroit de type sas".

Quelques années plus tard, elle raconte une autre scène dans un bureau. "Je me suis avancée vers lui pour lui serrer la main. Il a essayé de m'attirer vers la fenêtre. Je lui ai dit 'Non, Père'. Il m'a dit 'J'en ai besoin'. J'ai dit 'non', il est parti." Une autre femme raconte la fois où l'Abbé Pierre "pose ses mains sur (sa) poitrine, (ses) seins", pendant "qu'on parle du travail".

Icône de la lutte contre l'exclusion, l'Abbé Pierre - de son vrai nom Henri Grouès - est mort en 2007. Pendant un demi-siècle, il a été l'infatigable pèlerin des démunis, des sans-toit et des sans-droits, ce qui lui valut le soutien et l'admiration des Français pour qui il était une des personnalités les plus aimées.

Article original publié sur BFMTV.com

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