Énigmes, trahisons... L'histoire folle de la "Chouette d'or", la plus grande chasse au trésor de France
L'histoire commence il y a trente et un ans. Nous sommes dans la nuit du 24 avril 1993, il est 3h30 du matin. Un homme, seul, ensevelit sous 80 centimètres de terre, quelque part en France, une chouette en bronze. Elle donne droit à une autre, celle-ci en or et aux yeux sertis de diamants. Valeur de la statuette: 1 million de francs de l'époque, soit 150.000 euros d'aujourd’hui.
Un trésor d'or et de diamants qui appartiendra à celui ou celle qui le trouvera. Mais si le lieu où la chouette a été enfouie est un endroit public et accessible à tous à toute heure du jour ou de la nuit, il reste tenu secret. Et le restera pendant 31 ans, 5 mois, et 9 jours. Car pour posséder la chouette d'or, encore faut-il résoudre onze énigmes. Onze énigmes éditées dans un recueil, Sur la trace de la chouette d'or, livre qui paraît quelques semaines après que la chouette a été enterrée. Des énigmes rédigées par un certain Max Valentin -l'homme qui a caché la chouette- et illustrées par l'artiste peintre Michel Becker -un descendant du comte de Chambord, c'est lui qui a imaginé et surtout financé la conception de la chouette.
Chaque énigme se présente sur deux pages avec un texte et une peinture en miroir. Cette dernière contenant des indices pour résoudre la première. Le jeu est lancé, il ne s'achèvera que le 3 octobre 2024 au matin.
Il faudra donc attendre trente et un ans pour qu'une personne -qui reste encore inconnue- parvienne à résoudre les onze énigmes, toutes plus sibyllines les unes que les autres. Des charades, des éléments de cryptage, du morse mais aussi beaucoup de poésie qui ouvrent la voie à une infinité d'interprétations.
Tous les chemins mènent à Dabo?
Voyez donc avec la toute première, titrée "OUVERTURE" mais numérotée 530. "Mon premier, première moitié de la moitié du premier âge, Précède mes Second et Troisième, cherchant leur chemin, Mon Quatrième s'inspire, mon Cinquième est en rage, Mais, sans protester, suit mon Quatrième et l'alpha romain. Mon Sixième, aux limites de l'ETERNITE se cache. Mon Septième, dressé, crache son venin. Pour trouver mon tout, il suffit d'être Sage, Car la Vérité, en vérité, ne sera pas affaire de Devin." Si, pour cette énigme liminaire, la communauté des chouetteurs -le nom consacré pour les chercheurs de la chouette d'or- s'accorde sur la réponse, à partir de cette étape, les avis prennent des chemins différents.
Pour les "daboistes", toutes les pistes mèneraient à Dabo. Ce gros bourg de Moselle entre Strasbourg et Nancy, lieu sacré pour les chouetteurs (à l'heure d'écrire ces lignes, le site où la chouette a été retrouvé n'avait pas encore été communiqué).
Ce serait le "navire noir perché" évoqué dans l'une des énigmes de Max Valentin. Autour de son rocher et de sa chapelle Saint-Léon, les chemins, la forêt, la terre est grêlée des assauts des chouetteurs. On ne compte plus les trous à Dabo. Notamment le secteur de la borne Saint-Martin "littéralement dévasté par des milliers de trous, le plus souvent non rebouchés et dissimulés sous des feuilles", s'en indigne le site de la chouette d'or. Une fausse piste, balaie les "anti-daboistes".
"Les gens se fourvoient dans les fausses pistes. Mais une chasse au trésor sans fausse piste n'est pas une chasse au trésor", s'en amuse Max Valentin lui-même.
La fièvre de la chouette
"C'est bien compliqué, ça nous tient bien, on passe des nuits", témoigne dès 1993 une chouetteuse dans ce document de l'Ina. "Je passe des nuits et des jours", abonde une autre, deux ans plus tard, pour l'émission de France 2 Envoyé spécial. "Lorsque le soir mon travail est terminé et que je peux me mettre à la chouette, je n'ai plus de réveil, plus d'horloge."
"Et le petit matin peut se lever que je suis encore en train de chercher la chouette."
Très vite, des centaines, des milliers de chouetteurs se lancent dans cette chasse. Près de 200.000, dit la légende. La chouette obsède. "Dès la première énigme, j'étais foutu. C'est tellement addictif", confie au Figaro un chouetteur, ingénieur de 29 ans.
Certains y passent plusieurs heures par jour, y consacrent leurs week-ends, leurs vacances, leur temps libre et même plus, pris par la fièvre de la chouette. Chaque nouvelle piste, chaque nouvelle expédition, chaque nouveau trou creusé est forcément le bon, la chouette est là, au bout de la pelle. Et puis finalement non. Mais loin de les décourager, les fausses pistes, les expéditions avortées et les trous creusés en vain ne font que renforcer les chouetteurs dans leur quête.
L'un d'entre eux raconte encore au Figaro avoir perdu beaucoup de temps, d'argent, son métier, aussi, mais continue de chercher. "Peut-être qu'il y a un moment tu bascules, tu raisonnes autrement, tu comprends un indice, quelque chose de poétique et de moins mathématique." Et ajoute, sans vraiment y croire: "Si je ne le trouve pas demain, j'arrête."
La chouette a même failli briser quelques couples. "On n'avait plus de vie, il ne parlait que de la chouette, en plus il parlait 'chouette' (...) J'avais l'impression de vivre avec un barjo", confie la compagne d'un chouetteur à Envoyé spécial. Ce dernier reconnaît qu'à l'époque où il était "à fond dedans", "je passais trois, quatre, cinq heures par jour à chercher, à potasser, à essayer d'interpréter et c'est dur à conjuguer avec le boulot, le travail, la vie sentimentale". Et reconnaît, avec envie: "Il ne faudrait faire que ça".
Max Valentin, le "maître"
L'univers des chouetteurs, c'est un microcosme dont les membres se réunissent une fois par an. Chacun a son pseudonyme mais tous partagent des références communes, un même langage. Les "madit", ce sont les réponses de Max Valentin, paroles d'évangile. La maditologie, c'est donc la science de l'interprétation des "madit". Contrairement à la maditomancie, ou "l'art de faire dire n'importe quoi aux madits", détaille l'Association des chercheurs de la chouette d'or.
Max Valentin, un pseudonyme dont l'identité réelle ne sera dévoilée que bien plus tard, est vénéré. Certains l'appellent "maître". Internet n'existe pas encore, mais le Minitel préfigure déjà les forums et réseaux. Chouetteurs et chouetteuses s'y retrouvent, entrent en contact, échangent mais aussi communiquent avec Max Valentin, en personne, au 3615 MAXVAL.
Car il est possible de lui poser des questions -il reçoit jusqu'à 200 messages par jour- auxquelles il répond. En prenant le soin d'entretenir le mystère. Ses réponses sont courtes, toujours ambiguës. "Je suis un as des 'madit', je me suis écorché les yeux dessus", raconte au Monde de son pseudonyme de chouetteuse Tina Delly, directrice d'un centre d'hébergement dans le civil.
Quelque 10.000 connexions par mois, là est aussi l'autre trésor de la chouette. Sur le Minitel, la minute est facturée plusieurs centimes d'euros. Max Valentin en touche un pourcentage. Un revenu fixe estimé à plusieurs milliers d'euros par mois, selon le documentaire À la poursuite de la chouette d'or diffusé sur Canal+.
"Ça doit simplement apporter assez d'argent pour que ça puisse continuer à tourner", se défend Max Valentin dont le visage ne sera jamais dévoilé de son vivant. "Mais je rassure ou je renseigne les chercheurs qui pensent que tout le monde est milliardaire dans cette affaire, c'est faux."
"Ça permet de gagner correctement sa vie et de faire tourner une entreprise, ni plus ni moins."
La chouette saisie par la justice
Dès le début de la chasse, Max Valentin a un plan: après avoir publié le guide des énigmes -réédité trois fois, écoulé à 70.000 exemplaires et épuisé aujourd'hui, indique Le Monde- il éditera le guide des solutions une fois la chouette trouvée. Mais il n'avait pas prévu que la chouette reste enterrée aussi longtemps -c'est en réalité une réplique en bronze qui est enterrée et donne droit à la véritable, 10 kilos dont 3 d'or. Et en 2009, Max Valentin meurt. Un séisme pour les chouetteurs, devenus orphelins.
Ce n'est d'ailleurs qu'à son décès que les chouetteurs découvrent la véritable identité de leur idole: Régis Hauser, un publicitaire expérimenté qui a publié plusieurs ouvrages de marketing ainsi qu'une étonnante compilation de graffitis trouvés dans les toilettes des trains.
Au moment de la mort de Max Valentin, la chasse à la chouette a déjà du plomb dans l'aile. Quelques années plus tôt, les chouetteurs ont découvert que la maison d'édition détenant les droits du guide avait fait faillite. Pire, un liquidateur judiciaire a saisi la chouette d'or, la vraie.
Quand Max Valentin disparaît, Michel Becker est finalement parvenu, après plusieurs années de procédures, à récupérer la chouette d'or -il en est le propriétaire officiel. Mais il ne détient pas les solutions aux énigmes et ne connaît pas l'emplacement de la chouette. Est-ce la fin de la chasse? Les chouetteurs ont-ils chouetté toutes ces années pour rien? La communauté est divisée.
Un modeste oiseau rouillé
Pour certains, c'est la preuve que le jeu est truqué. D'autant que Max Valentin est mort le 23 avril 2009, soit seize ans nuit pour nuit après avoir enterré la chouette. Une date qui interroge, drôle de coïncidence. Au point de douter de sa mort, laissant libre court aux théories les plus folles.
Michel Becker, lui, demande les clés des énigmes aux héritiers de Max Valentin. C'est non. "Après de nombreux déboires et un contrôle fiscal de dix ans", comme il l'explique au Monde, le peintre décide de vendre aux enchères la chouette aux 3 kilos d'or. C'était sans compter les chouetteurs qui harcèlent Drouot. La maison de ventes recule. Et en 2021, Michel Becker finit par récupérer les clés du jeu. La chasse est relancée. Mais certains ne lui pardonneront jamais d'avoir voulu vendre la chouette.
Une nuit, il vérifie accompagné d'un huissier que la réplique est toujours là, à attendre d'être trouvée. C'est un modeste oiseau en fer rouillé qu'il découvre au fond du trou. Est-ce la statue enterrée Max Valentin cette nuit de 1993? Ou bien est-ce une autre? Qui l'a mise là? Personne ne saura jamais, Max Valentin a emporté son secret.
Quant à Michel Becker, il décide de remplacer l'oiseau vermoulu par une réplique de la chouette en bronze. Nouvelle offense qui alimente, encore un peu plus, le camp anti-Becker.
Avec l'essor d'internet, la communauté des chouetteurs bouillonne sur les forums. Certains s'entraident. "On se complète tous. Aucun chercheur ne pourra se prévaloir de tout avoir trouvé tout seul", témoigne encore Tina Delly. Mais d'autres préfèrent orienter leurs concurrents vers des impasses. "Il y a des comportements agressifs et des interventions très limites. Avec des farfelus plus dangereux que d'autres", déplore pour Le Monde Simon Juliac, modérateur sur le forum LaChouette.net.
Du Minitel à Discord
Fini le Minitel, c'est maintenant sur Discord (une plateforme de messagerie instantanée) que se joue la chasse. Michel Becker a remplacé Max Valentin et distille, lui aussi, des indices. Comme quand il revisite la fable de La Fontaine Pierrette et le pot-aux-roses lors de la convention des 30 ans de la chouette d'or -événement qui fait date chez les chouetteurs, puisque la chouette d'or est exposée pour la première fois.
"En un lieu tout commence, En un point tout s'achève. Allant de l'un à l'autre, serrée entre ses mains, La rose de Pierrette, présent de Valentin, A semé ses pétales, tels petits cailloux blancs, Tandis qu'hésitants, mesurés, cadencés, Jusqu'au bout du chemin ses pas l'avaient portée, Comme en un autre monde dont elle serait le centre, Diligente et zélée, Pierrette vint à comprendre... Par la Chouette d'Or, enfin, elle se ferait surprendre."
Certains lui reprochent de distiller trop d'indices, de vouloir accélérer le jeu qui n'aurait pas encore assez durer. Finalement, ce n'est peut-être pas tant les 3 kilos d'or qui ont tenu en haleine les chouetteurs durant trois décennies. "Il y a toujours un mystère à découvrir, c'est jamais fini", confiait Mickey, ingénieur télécom de métier, à Envoyé spécial.
"Ce qui m'intéresse, c'est d'avoir l'espoir d'être étonné encore, de me dire que le lendemain, je peux trouver quelque chose d'extraordinaire."
"Dans la vie quotidienne, il n'y a pas beaucoup d'occasion de rêver ou de s'étonner."
La chouette d'or, du moins sa réplique, a été trouvée ce mercredi à 8h26, comme l'a annoncé Michel Becker sur Discord. Si le ou la gagnante décroche ainsi le gros lot -avec la hausse du cours de l'or, la chouette vaut certainement plus que 150.000 euros- c'est la fin d'un rêve pour des milliers de chouetteurs.