Énergie, air chaud, gaz... La climatisation, symbole de la "maladaptation" face au réchauffement climatique
L'été dernier a été le tournant. À Lyon, alors que le thermomètre affichait certains jours plus de 38°C et qu'il n'est que très rarement descendu en dessous de 30 en journée, Jean et Pascale ont décidé de passer le cap et d'installer une climatisation lorsqu'ils ont emménagé dans leur nouvel appartement cette année. "On a beaucoup hésité mais ne pas le faire nous paraissait impossible pour le futur", concède la quinquagénaire.
Et pour ceux qui ne possèdent pas un tel équipement dans leur logement, il est régulièrement tentant, en période de fortes chaleurs, d'aller se réfugier au cinéma ou au centre commercial pour profiter de quelques instants de climatisation et de fraîcheur.
En France, à la mi-juillet, la barre des 40°C a été dépassée à plusieurs reprises dans le Sud, quand de nombreux records absolus sont enregistrés aux quatre coins du globe. Comment faire face à ces températures qui vont devenir de plus en plus fréquentes et intenses?
Extrêmement pratiques, parfois indispensables, pour faire face à de tels événements, les climatiseurs accélèrent les conséquences du mal dont ils se nourrissent: le dérèglement climatique.
Bientôt tous climatisés?
Avec l'augmentation des températures, l'Agence internationale de l'énergie estime que la demande mondiale en climatiseurs va passer de 1,6 milliard en 2018 à 5,6 milliards en 2050. "Cette demande est une conséquence du réchauffement climatique car jusqu'à présent on pouvait s'en passer", affirme à BFMTV.com Céline Laruelle, ingénieure au service bâtiment de l'Ademe.
Un quart des ménages français étaient équipés de climatiseurs en 2020, contre 14% en 2016, selon l'Ademe. Alors qu’environ 350.000 appareils se vendaient chaque année au milieu de la dernière décennie, ce nombre s'est hissé à 800.000 en 2020. Aux États-Unis, où 90% des logements sont climatisés, de nombreuses villes du sud ne ne sont véritablement vivables que grâce à cette technologie.
"Le problème n'est pas la climatisation mais son utilisation massive et déraisonnée: ça évite aussi des impacts néfastes sur la santé donc il faut l'utiliser avec modération pour les maisons de retraite, les personnes vulnérables ou les fortes canicules", explique Vincent Viguié, chercheur en économie du changement climatique au Cired.
"Mais c'est un piège de ne compter que sur ça", ajoute-t-il.
Pic de consommation d'énergie en été
D’après l'Agence internationale de l’énergie, la climatisation représente 10% de la consommation d'électricité dans le monde. En outre, dans l'Hexagone, un degré au-dessus des normales de saison se traduit ainsi par une augmentation de la consommation électrique d'environ 700 MW lorsqu'il fait chaud.
Conséquence, en 2022, la consommation d'électricité a connu une importante augmentation durant l'été, mettant sous pression le réseau et poussant le pays à compter sur les importations à cause de la faible disponibilité de son parc nucléaire, indiquait RTE.
"Il n'y a pas d'inquiétude sur la sécurité d'approvisionnement" mais "on compte sur les importations", précisait le gestionnaire du réseau haute tension.
Les climatisations consomment beaucoup. "Un appareil équivaut à deux ou trois radiateurs électriques", illustre ainsi Céline Laruelle. La consommation des climatiseurs en exploitation, en 2020, représenterait en moyenne la consommation énergétique annuelle d'environ 2.536.000 ménages français, selon une récente étude.
Aux États-Unis, les coupures d'électricité en été, à cause d'une trop forte pression des climatiseurs ou d'autres raisons, par exemple les tempêtes, posent paradoxalement des risques sanitaires importants car ces systèmes sont désormais quasiment indispensables.
"Plusieurs milliers de fois" plus réchauffant que le CO2
Le majeur problème de la climatisation reste toutefois les fluides frigorigènes, un gaz à effet de serre très puissant, indispensable à la production d'air frais, qui se libère dans l’atmosphère en cas de fuites, lors de la maintenance des appareils ou à leur fin de vie. En 2020, elle a été responsable de 5% des émissions de gaz à effet de serre du secteur du bâtiment, a évalué l'Ademe.
Les fluides HFC, moins nocifs pour la couche d’ozone, ont remplacé les CFC et HCFC mais ils n’en restent pas moins un puissant gaz à effet de serre.
"Ils ne sont pas en grande quantité mais sont à l'origine d'un tiers des gaz à effets de serre des climatiseurs", détaille Vincent Viguié. En effet, ces fluides frigorigènes ont un fort pouvoir réchauffant: "plusieurs milliers de fois plus que le CO2", précise le spécialiste.
Maladaptation
Les climatiseurs ont également un effet direct sur les températures extérieures, alimentant ainsi un véritable cercle vicieux. En plus de leur contribution globale au réchauffement climatique, ils rejettent de l'air chaud et participent ainsi à réchauffer localement la température.
Une étude du CNRS et de Météo France à laquelle Vincent Viguié a participé montre qu'à Paris, si tout le monde utilise la climatique lors d'une canicule, cela peut entraîner une hausse de 2°C dans les rues.
"Ça augmente les températures pour tout le monde notamment pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas utiliser la climatisation", explique le chercheur, mentionnant notamment les personnes qui vivent ou travaillent dans les rues. En somme, plus les gens sont équipés en climatiseurs, plus il est compliqué pour les autres de ne pas en avoir.
"On est là sur une maladaptation car on s'adapte au réchauffement climatique en aggravant le problème et notre vulnérabilité", affirme Vincent Viguié.
De plus, l'accès à la climatisation reste pour l'heure très inégal puisque 37% des cadres et professions intellectuelles supérieures sont équipés à leur domicile, contre seulement 19% des ménages avec une personne sans emploi ou inactive. Du côté des bâtiments tertiaires, si les centres commerciaux sont presque systématiquement équipés de climatisation, les bâtiments d’enseignements eux, ne sont climatisés qu’à 7%.
Rafraîchir les villes
"Le problème c'est qu'en utilisation la climatisation, on ne fait pas d'autres choses" pour lutter contre les conséquences de la hausse des températures, déplore Vincent Viguié. L'objectif est d'investir dans l'isolation thermique des bâtiments et le refroidissement plus large des villes.
"Au final, l'usager a peu de champs d'action", concède Céline Laruelle.
"La rénovation énergique ça marche très bien mais ça ne va pas assez vite, alors que c'est ça le plus efficace", poursuit la spécialiste. "C'est comme le chauffage, si le logement est mal isolé, il y a plus de consommation d'énergie". L'enjeu est également ainsi d'intervenir en amont, en construisant des logements neufs plus respectueux de l’environnement.
Pour se rafraîchir et améliorer le confort d'été, les chercheurs appellent à végétaliser davantage les zones urbaines. Selon l'Ademe, un arbre mature au sein d'une plantation évapore 450 litres d'eau par jour, soit l'équivalent de cinq climatiseurs fonctionnant 20 heures par jour.
Dernier recours
La mission de l'Ademe est "d'informer sur tout ce qu’il faut faire avant de recourir à la climatisation". Céline Laruelle dresse ainsi une liste de conseils pour faire face à la chaleur dans son logement: aérer quand il fait plus frais, mettre des protections solaires aux fenêtres ou éviter les appareils qui chauffent comme le four ou l'ordinateur.
L'agence rappelle également que la présence de végétaux permet à la fois de créer de l'ombre et rafraîchit l’atmosphère grâce à l’évapotranspiration. En outre, il est possible d'opter pour un ventilateur. "C'est 40-70W contre 2000W pour un climatisateur", note Vincent Viguié.
"La climatisation, c'est le dernier recours", martèle Céline Laruelle.
Si on possède un tel appareil, il est également possible de limiter son impact environnemental. "Entre une clim à 22 ou à 26°C, on consomme deux fois plus", explique Céline Laruelle. De plus, une mise en route à partir de 30°C à l'extérieur au lieu de 27°C la divise par trois.
En Italie d'ailleurs, une réglementation fixe un seuil à 25°C en dessous duquel l’usage de la climatisation est interdit. De l'autre côté des Alpes, il est recommander de ne pas descendre à moins de 26°C mais il n'existe pas d'obligation. Plusieurs villes françaises ont toutefois pris des arrêtés pour interdire aux commerces de laisser leurs portes ouvertes quand la climatisation est activée.
En outre, tous les appareils ne se valent pas et leur empreinte écologique varie grandement. "Le pire ce sont les climatisateurs mobiles qui sont peu performants et qui nécessitent qu'on laisse la fenêtre ouverte pour évacuer l'air chaud", détaille Céline Laruelle.
L'Ademe explique qu'un climatiseur de classe A représente une consommation d'électricité de plus de 130 euros pour un mois d'utilisation. C'est trente fois plus qu'un ventilateur et 2,5 fois plus qu'un climatiseur fixe.