Élections législatives 2024 : pourquoi un tel écart entre les sondages et les résultats du second tour ?

Le Rassemblement national était donné en tête par les instituts de sondage mais c'est finalement le NFP qui est arrivé premier grâce à un barrage contre l'extrême droite plus important que prévu.

Entre 200 et 230 sièges pour le Rassemblement national, de 165 à 190 élus pour le Nouveau Front populaire et entre 120 et 140 députés pour Ensemble. Telles étaient les projections effectuées par l'institut de sondage Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune Dimanche dans son ultime enquête publiée vendredi, avant le second tour des élections législatives. Les autres instituts, d'Ipsos à l'Ifop en passant par Toluna Harris Interactive, donnaient également le Rassemblement national en tête sans majorité absolue mais devant la coalition de gauche et le camp présidentiel.

L'ordre d'arrivée des trois grands blocs était pourtant tout autre ce dimanche. Le RN et ses alliés, loin de terminer en tête, finissent en troisième position et envoient 143 députés à l'Assemblée nationale. Ils sont devancés par le Nouveau Front populaire, avec 182 élus, tandis qu'Ensemble conserve 163 sièges, selon notre décompte Elabe.

"Il s'est passé une surprise totale, ne nous racontons pas d'histoire. Je ne vais pas vous dire qu'on l'avait prévu, un peu prévu, à moitié prévu. Ce n'est pas vrai", a reconnu d'emblée Bernard Sananès, président de l'institut Elabe, interrogé ce lundi matin sur RMC.

Pourquoi un tel écart entre les derniers sondages publiés vendredi et le résultat du second tour connu seulement deux jours plus tard? La principale explication est à chercher dans le front républicain, ce barrage contre l'extrême droite bâti par les électeurs sur les fondations des désistements dans quelque 200 circonscriptions durant l'entre-deux-tours.

"On mesurait il y a trois jours un front républicain très faible, moribond, et hier (dimanche), il a été très puissant", résume pour BFMTV.com Vincent Thibault, directeur conseil opinion pour Elabe.

Du côté d'Ipsos, le diagnostic est similaire. "Le front républicain a été encore plus puissant que ce qui avait été mesuré avec des reports extrêmement importants", a déclaré sur France Inter Brice Teinturier, le directeur général délégué de l'institut.

Son de cloche légèrement différent chez Frédéric Dabi, directeur du pôle Opinion et stratégies chez Ifop. Il affirme ainsi sur Sud Radio ce lundi que si "personne" n'avait prédit la défaite du RN, "la tendance était quand même là" dans les derniers jours de la campagne. Il cite notamment le front républicain et le report des voix qui ont été "encore meilleur" que prévu.

Pour Vincent Thibault, ce barrage à l'extrême droite a en effet été "réactivé" pendant la semaine de l'entre-deux tours et "de jour en jour" en raison notamment des polémiques concernant certains candidats du RN relayées dans les médias.

"C'est un peu l'inverse de ce que l'on a mesuré en 2022", poursuit-il. "On mesurait alors un front républicain puissant et finalement il ne l'avait pas été autant que ça." Il y a deux ans, juste avant le second tour, les instituts de sondage tablaient en effet sur quelques dizaines de députés pour le RN. Le parti avait finalement obtenu près de 90 élus au Palais-Bourbon.

Le barrage contre l'extrême droite a été plus large qu'escompté, à la fois chez les électeurs qui avaient voté Ensemble au premier tour et chez les soutiens du NFP. Dans sa dernière enquête, Elabe notait qu'en cas de duel entre le NFP et le RN, 32% seulement des électeurs d'Ensemble déclaraient qu'ils se porteraient sur le candidat NFP, 18% disaient vouloir voter pour le RN et la moitié comptait s'abstenir.

En réalité, lorsqu'un candidat de La France insoumise se présentait face au RN, 43% des électeurs d'Ensemble ont opté pour le représentant de la gauche et 38% se sont abstenus, d'après Ipsos Talan. Et lorsque le Rassemblement national faisait face au PS, à EELV ou au PCF, plus de la moitié de l'électorat d'Ensemble (54%) s'est mobilisée pour la gauche.

Le front républicain a été également plus efficace que prévu chez les électeurs qui avaient mis un bulletin NFP au premier tour. Il y a quelques jours encore, ils disaient être 62% à être prêts à voter pour un candidat macroniste contre le RN alors que 32% entendaient bouder les urnes, selon Elabe.

Dans les faits, 72% d'entre eux se sont résolus à donner leur voix pour Ensemble et 25% seulement ont fait le choix de l'abstention. Ils ont même été 70% à voter pour Les Républicains dans un duel.

Au-delà du report des voix des électeurs qui s'étaient exprimés au premier tour, une mobilisation a également pu être observée entre le 30 juin et le 7 juillet et contribué au renforcement du front républicain.

"La participation d'hier a été à un niveau très proche de celle du 30 juin, mais un certain nombre d'électeurs sont sortis du jeu et ne se sont pas déplacés pour le second tour, remarque Vincent Thibault. "Il y a aussi eu des gens qui n'étaient pas allés au premier tour et qui sont allés au second sans doute à cause de cette envie de faire barrage au Rassemblement national."

Résultat de tous ces facteurs conjugués: les circonscriptions où les résultats s'annonçaient serrées et qui paraissaient pouvoir basculer pour le RN sont en réalité tombées dans l'escarcelle de la gauche ou du centre. "Sur 160 duels gauche/RN, 100 ont été remportés par la gauche. Sur 130 duels centre/RN, les trois quarts ont été remportés par le centre", a résumé Bernard Sananès sur BFMTV.

Et c'est ainsi que des personnalités données pourtant perdantes après le premier tour ont réussi à s'imposer sur le fil. C'est le cas notamment de Franck Riester, Éric Woerth ou Agnès Pannier Runacher dans le camp présidentiel, de Julien Dive chez Les Républicains ou de François Ruffin pour le NFP. Tous l'ont emporté avec des scores finaux compris entre 50 et 55%.

Article original publié sur BFMTV.com